L’expert agronome Amina Younsi tire la sonnette d’alarme : l’Algérie n’a aucune politique de protection de son patrimoine semencier, impunément transféré aux banques de semences internationales où elle n’a plus dessus de droit de regard. Parfois, écrit-elle, ce sont des chercheurs sans scrupules qui « échangent une poignée d’ADN algérien contre 100 euros ou contre un stage ou un voyage d’étude »…
L’Algérie court un grand risque de faire partie des pays qui ne pourront plus se nourrir eux-mêmes, alors que tout son territoire est connu pour sa richesse et sa diversité naturelle. Malgré les efforts pour augmenter les productions dans différentes filières, l’inexistence d’une politique agricole s’appuyant sur la diversification des semences alimentaires, le soutien à la création et à l’innovation variétales et l’intégration des facteurs de durabilité dans toutes les politiques agricoles, menace de conduire le pays au chaos ! Cette situation se complique davantage avec les nouvelles données des changements climatiques qui auront des effets sur toute l’économie et sur l’avenir des populations.
A l’heure actuelle, la négociation de l’Algérie avec l’OMC n’a pas pris au sérieux le domaine relatif aux droits de la propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), notamment la question relative à l’accès aux ressources génétiques, au partage des avantages qui en découlent, au transfert de technologies et à l’applicabilité des brevets pour la protection des obtentions végétales : tant de thèmes qui ont un impact sur la souveraineté alimentaire et la survie du pays.
Cette situation est d’autant plus grave que les institutions publiques du ministère de l’Agriculture non seulement assimilent ces sujets à des faits divers mais sont les premières responsables de la perte des ressources phylogénétiques d’intérêt pour l’agriculture et l’alimentation, et ce, au moins de 1970 à ce jour : l’ADN « made in Algeria » continue à circuler dans des tunnels de la coopération internationale.
Cette responsabilité est partagée par les signataires de conventions, traités et accords qui n’ont pas œuvré correctement pour que le gouvernement algérien soit apte à maîtriser ces sujets et pour que les parlementaires puissent défendre la souveraineté alimentaire nationale et proposer des politiques fortes et durables mettant à l’abri le pays de toute menace extérieure.
Il y a réellement lieu de s’inquiéter, les financements publics pour la recherche agricole servant finalement à appuyer la recherche développement et l’économie… des pays riches. Pis encore, nos institutions sont devenues des champs d’expérimentation de certains centres de recherche et des banques de gènes extérieures, comme l’ICARDA (Centre international de recherche agricole dans les zones arides), le CIMMYT (Centre international d’amélioration du maïs et du blé) et tant d’autres.
A ce sujet, il est regrettable de constater que les chercheurs algériens se basent sur des échantillons « inconnus » qu’ils reçoivent de différentes institutions étrangères de recherche et de banque de gènes, avec des numéros d’identification. Ces échantillons circulent dans nos laboratoires sans qu’aucun contrôle phytosanitaire ne soit effectué dessus ! Comment peut-on négliger le fait que nous sommes au siècle des gènes, que des virus peuvent circuler dans ces semences et que tout un pays peut être effacé rien qu’à cause d’un brin d’ADN vicieux ! Je n’accuse pour l’instant personne mais j’accuse les pouvoirs publics de ne pas avoir une politique de biosécurité très développée et prévoyante. Les chercheurs passent des années à évaluer ces échantillons et les données sont soit partagées soit échangées soit oubliées !
La recherche semencière échappe à toute surveillance
Aujourd’hui, l’ADN sain des semences algériennes est emprisonné dans au moins 13 banques de semences internationales. En moyenne, pour une seule banque on compte quelques 6.750 accessions entre les céréales, les fourrages et autres. Cet ADN ne pourra jamais être récupéré car l’Algérie n’a plus le droit de regard sur les échantillons bradés.
En revanche, l’ADN algérien nous arrive dans les semences que nous achetons et payons si cher car, encore une fois, l’absence de politique algérienne des ressources génétiques ne permet pas à notre pays de jouir de ses droits de souveraineté pour percevoir des royalties sur le progrès génétique algérien qui a permis aux multinationales semencières de le transformer en progrès économique .
De même, le partage juste et équitable des résultats issus de la recherche semencière et de l’exploitation des ressources génétiques n’a jamais bénéficié ni aux laboratoires de recherche agricole ni à la filière semencière. La politique de production de semences est juridiquement vide sur ces aspects.
Ainsi, les collections nationales des ressources utiles pour l’agriculture et l’alimentation continuent à nourrir les banques internationales de semences. Habituellement, ces collections sont prélevées des habitats naturels des plantes par des groupes internationaux après accord des pouvoirs publics. Un duplicata est censé rester en Algérie soit à l’ITGC (Institut technique des grandes cultures) soit à l’INRAA (Institut national de la recherche agronomique d´Algérie) soit dans un département universitaire, pour servir de matériel de base pour la sélection et l’innovation semencière, et un autre duplicata est déposé dans les coffres-forts des pays riches. D’autres échantillons arrivent par le biais des chercheurs qui échangent une poignée d’ADN algérien contre… 100 euros ou contre un stage ou un voyage d’étude. S’il y avait un conseil national pour les ressources génétiques, toutes les activités des chercheurs seraient sous surveillance et contrôle. Mais aujourd’hui qui s’occupe de ces aspects ?
Cette étape appelée « prospection et collecte » devrait, à elle seule, faire l’objet d’une politique sévère, similaire à la prospection et au forage des puits de pétrole. Une telle politique devrait concerner les conditions de prospection, les refus et autorisations et les procédures de contrôle et de surveillance des échantillons. De même, elle devrait déterminer les conditions de stockage et de partage des connaissances ainsi que les rémunérations des détenteurs originaux locaux.
L’Algérie a signé des accords internationaux sans en comprendre les enjeux alors que « toute personne ou groupe qui peut mettre la main sur une variété de ressources génétiques, qu’elles soient dans un entrepôt frigorifique ou dans un milieu protégé, peut en fait disposer d’un pouvoir économique et politique presqu’infini ».
Une banque de gènes ou un simple frigo pour les semences des chercheurs ?
Tout récemment, le ministère de l’Agriculture a annoncé la création d’une banque nationale de gènes alors que l’Algérie ne possède même pas de dispositif réglementaire autorisant sa création et clarifiant son statut. Inutile de croire que le projet de loi sur la protection des ressources biologiques déposé au Secrétariat général du gouvernement couvre toutes ces questions, car les textes qui ont été proposés sont un simple plagiat de la convention sur la diversité biologique et ne touchent aucunement aux questions politiques sur les ressources génétiques.
L’INRAA va se doter d’une banque de gènes qui servira aux chercheurs algériens : il vaut mieux tard que jamais ! Cette institution et d’autres, comme l’ITGC, accusent un retard de plus de 20 ans pour organiser les collections qui servent, depuis de longues années, à la recherche agricole. Une question se pose: à défaut d’entrepôts frigorifiques, où ont été déposées ces semences ? Pourquoi en 20 ans, nous n’avons pas été capables de créer une base nouvelle de production de semences tenant compte des nouvelles exigences ? Que fait-on des résultats de la recherche ? A quoi dépense-t-on l’argent public? Où est passé l’ADN algérien ?
Toutes les collections de semences de notre avenir alimentaire continueront à être menacées de disparaître. Les institutions du ministère de l’Agriculture, comme l’ITGC et l’INRAA, coopèrent avec des organismes internationaux qui, eux, détiennent la gestion des banques de gènes internationales financées par le secteur privé (multinationales semencières). Ces banques de gènes internationales détiennent les duplicatas des ressources génétiques mondiales dans différents coffres-forts, dont la Banque nationale des pays nordiques.
Aujourd’hui, le nombre d’accessions continue, malheureusement, à augmenter dans les banques internationales au même moment où les autorités publiques annoncent un projet de loi sur les ressources biologiques. En 2013, selon mon enquête, de nouveaux échantillons sont déjà arrivés en Norvège. A titre d’information, on compte en moyenne 6.700 accessions dans une seule banque de gènes : des blés, des orges, des vesces, des luzernes, des trèfles, des pois-chiche et tant d’autres espèces.
Par ailleurs, étant donné la situation sécuritaire en Syrie, l’ICARDA a réparti la richesse des collections des pays d’Afrique et du Moyen-Orient entre plusieurs banques de gènes internationales. L’Algérie mesure-t-elle les conséquences d’une telle action? A-t-elle donné son accord pour un tel dispatching de sa richesse ? Si nous avions une politique stratégique, toutes ces questions auraient été prises en charge. L’institution du ministère de l’Industrie chargée de la propriété intellectuelle aurait pu, de son côté, déjouer ce circuit infernal dans lequel sont tombés les ressources génétiques nationales.
La question des ressources génétiques est un élément de politique nationale de première importance dans tous les Etats qui se respectent. Elle constitue un indicateur stratégique de survie d’un pays aux défis de la mondialisation et des futurs changements climatiques. En Algérie, une banque de gènes n’a de signification que celle d’un frigo pour les semences des chercheurs algériens ! C’est triste pour un pays comme l’Algérie que ses plus hautes instances politiques et militaires ne soient pas encore imprégnées de l’importance de cette question.
Nul ne pouvait imaginer que la crise identitaire que vivent les Algériens aurait pour répercussion la déperdition des ressources génétiques algériennes. Cette haine gratuite de l’ADN « made in Algeria » nous coûtera très bientôt bien plus qu’un tsunami qui mettra le pays, à long terme, dans la liste des pays du Sahel.