Alors que les émiratis repeuplent la réserve d’outardes à El-Bayadh, Le camp de chasse “secret” des Qataris

Alors que les émiratis repeuplent la réserve d’outardes à El-Bayadh, Le camp de chasse “secret” des Qataris

L’outarde, cet oiseau d’environ deux kilogrammes, s’est retrouvé, le temps d’une journée, au centre d’un conflit d’intérêts sous-jacents entre deux pays du Golfe, les Émirats arabes unis et le Qatar. Le théâtre de ce duel se trouvait à près de 500 kilomètres au sud-ouest d’Alger, exactement à El-Bayadh. Le tout autour d’un lâchage d’outardes d’élevage et du thème de la chasse.

Un avion d’Air Algérie affrété, une trentaine de journalistes déplacés, trois fourgons, cinq 4X4, quatre escortes de la Gendarmerie nationale, un camion et une ambulance de la Protection civile, deux voitures de dépannage et la mobilisation d’une centaine de personnes de la région.  Une opération suivie de très près, à partir d’Abou Dhabi, par le chairman de National Holding, Cheïkh Jawaan Awaidha Al-Khaïli, membre de la famille royale émiratie. Tout ce remue-ménage pour un lâchage d’une cinquantaine d’outardes d’élevage ! Évidemment, ça ne pouvait pas être aussi simple. Cette grosse opération de charme organisée par les Émiratis dépassait le cadre de la chasse ou de la protection d’une espèce d’oiseau. Au bout, le message principal que les organisateurs ont voulu lancer pouvait se résumer en une phrase : “Nous n’avons rien à voir avec les Qataris.”

Cette opération des Émiratis se voulait une manière de se démarquer des autres émirs du Golfe, essentiellement les Qataris, qui viennent chasser régulièrement dans la région. Une manière aussi de montrer patte blanche à  l’État algérien avec lequel de nombreux projets sont en cours. C’est qu’il y de gros intérêts au bout.

Il faut préciser que ce lâchage d’outardes a été organisé par le Centre émirati de protection et d’élevage d’oiseaux, EBBCC (Emirates Bird Breeding Center for Conservation).

Il n’est autre qu’une filiale de National Holding, qui est derrière le gigantesque projet Dounia Parc à Alger, un investissement prévu de 5,2 milliards de dollars. Ce n’est pas l’unique investissement des Émiratis en Algérie. D’autres, même s’ils sont de moindre importance, sont au centre des discussions entre les responsables de National Holding et l’État algérien. Entre autres, il y a le projet des fermes-pilotes, Mahasil (environ 200 millions de dollars), en partenariat avec le ministère de l’Agriculture, ou encore celui de Kablat El-Djazaïr à Bouira, dont le montant varie entre 40 et 60 millions de dollars. Près de 6 milliards de dollars en jeu.

Des Qataris, bien cachés, et bien… protégés

Le “road-movie” que la délégation a effectué hier à partir de l’aéroport d’El-Bayadh pour rejoindre Labiodh Sidi-Cheïkh a été émaillé par un “incident” qui s’est avéré des plus instructifs. Après trois heures de route, une partie du cortège de véhicules s’est retrouvée perdue au milieu de nulle part. Ni signal réseau ni trace de vie à des centaines de kilomètres à la ronde.

Il s’est avéré que ce coin du territoire s’appelait Benoud et se trouvait non loin de Oued Namous. Un des fourgons voulait emprunter une piste, mais les gendarmes de l’escorte se sont empressés de le lui interdire ! Une réaction qui surprit plus d’un. Au même instant, un véhicule de la gendarmerie, rempli de nourriture, est passé à grande vitesse devant les véhicules à l’arrêt. L’un des accompagnateurs, enfant de la région, lança à cet instant qu’il s’agissait du “ravitaillement du camp des Qataris” ! Il indiqua, ensuite, avec la main une direction. C’était à une centaine de mètres de là. Il y avait un gigantesque camp de tentes blanches. Voilà pourquoi les gendarmes, visiblement très gênés d’ailleurs, avaient interdit au fourgon d’aller dans cette direction. Celui qui dévoila le “secret” s’étala après. “Les Qataris sont là depuis plusieurs années et ils chassent les outardes et les gazelles.”

Il précisera également qu’il y avait auparavant sur les mêmes lieux les Saoudiens, “mais ils sont partis depuis le début des années 1990 et je crois qu’ils sont maintenant au Maroc”.

Soutien algérien !

L’un des détails croustillants dans cette  “escapade” désertique est la présence de plusieurs représentants d’institutions étatiques algériennes. Il y a ainsi le directeur général de la DGF (Direction générale des forêts), d’ailleurs partenaire des Émiratis dans cette opération. Mais pas seulement ! Le chef de cabinet de la wilaya d’El-Bayadh, des représentants des ministères de l’Agriculture et du ministère de l’Aménagement du territoire, de l’Environnement et de la Ville, et bien d’autres représentants des autorités locales. Cette présence en force semble être une façon de montrer un soutien aux Émiratis.

D’ailleurs, il suffisait d’écouter le DG des forêts, Mohamed-Seghir Nouai, répondre aux questions des journalistes sur l’identité des chasseurs pour être édifié. “Je vous le dis et je le répète, il n’y a jamais eu d’Émiratis présents ici et qui ont chassé les outardes.” Par contre, quand il s’agissait des Qataris, il feignait ne pas l’entendre.

“C’est de la politique”

Et les outardes dans tout ça ! Le lâchage de cette espèce protégée et dont la chasse est interdite en Algérie s’est fait à environ 160 km de la ville d’El-Bayadh, entre Labiodh Sidi-Cheïkh et Brézina. Une cinquantaine de ces oiseaux d’élevage ont été “libérés” devant un parterre de journalistes. Mohamed-Seghir Nouai affirma que “cette année, il y aura un lâchage de 800 à 1 000 outardes et on compte faire plus l’année prochaine”.

Un des responsables de National Holding, dépêché spécialement d’Abou Dhabi pour la circonstance, en l’occurrence le Libanais Saed Shanti, s’est voulu plus explicite. “Nous faisons de l’élevage d’outardes parce que ça rentre dans la culture des Émiratis et on veut transformer l’Algérie en un modèle mondial tel que l’Afrique du Sud en créant des cartographies pour la chasse” tout

en insistant : “Pour le moment, évidemment, il n’est pas question de chasse mais de protection de cette espèce.”

À noter qu’au moment du lâchage d’outardes, un homme, la cinquantaine environ, d’un air moqueur dit à ceux qui étaient à ses côtés : “Dans quelques heures, ces oiseaux vont être mangés, que ce soit par des loups ou par les loups humains. D’ailleurs, je suis sûr que ceux qui habitent les alentours ont déjà préparé leur souricière.” Il ajoutera : “C’est clair et net que tout ce qu’ils font, c’est politique”, avant de se faufiler en regardant derrière lui.

S. K