L’impasse politique persiste en Egypte alors que les pro-Morsi ne désarment pas
Les autorités de transition ont regretté l’effusion de sang, mais en ont rejeté la responsabilité sur les militants des Frères musulmans, le mouvement du président déchu Mohamed Morsi.
«A bas l’occupation des Frères musulmans», «30 juin jour de la Libération», triomphent les graffiti au pied de la statue d’Oum Kalsoum, chanteuse et égérie du patriotisme égyptien et arabe. Les vainqueurs de la rébellion anti-Morsi jouent la carte du nationalisme en assimilant les islamistes à une puissance étrangère. Ce climat, qui vire volontiers au chauvinisme, en particulier envers les Palestiniens et les Syriens, indistinctement soupçonnés d’être des agents dormants islamistes, inquiète de rares figures intellectuelles en Egypte, largement inaudibles dans le concert de louanges à l’armée. «Ils ont justifié le coup d’Etat par la volonté de sauver le pays de l’enfer de la guerre civile, mais au bout de quelques jours, ils attisaient la guerre sociale par un discours raciste qui dépasse en ignominie le maccarthysme de l’Amérique des années 1950», écrivait la semaine dernière l’éditorialiste Waël Qandil dans le quotidien indépendant Al-Chourouq. «Ils ont affirmé avoir renversé le premier président élu de l’histoire de l’Egypte pour empêcher l’effusion de sang et préserver les vies, mais en quelques jours ils en ont fauché davantage que l’Egypte n’en a perdu en une année entière», déplorait-il. Avant même les 82 tués des affrontements de samedi au Caire, le commentateur s’insurgeait contre «un racisme social fanatique alimentant un discours qui nie la citoyenneté et l’humanité d’un grand nombre d’Egyptiens, pour en faire des ennemis à liquider». Les autorités de transition ont regretté l’effusion de sang mais en ont rejeté la responsabilité sur les militants des Frères musulmans, le mouvement du président déchu Mohamed Morsi. La seule charge officiellement retenue contre M.Morsi, placé au secret par l’armée depuis sa destitution le 3 juillet, porte sur les circonstances de son évasion de prison à la faveur de la révolution qui a emporté son prédécesseur Hosni Moubarak en 2011. Il est accusé de complicité d’opérations meurtrières imputées au mouvement islamiste Hamas, branche palestinienne des Frères musulmans, au pouvoir à Gaza. Un tribunal égyptien a statué le 23 juin que le Hamas et le Hezbollah chiite libanais étaient impliqués dans cette évasion massive de prisonniers, une procédure qui a suivi son cours malgré la chute du régime Moubarak et l’élection de M.Morsi. Les médias égyptiens fourmillent de «révélations» invérifiables sur la participation en force de membres du Hamas aux manifestations pro-Morsi et à la guérilla qui fait rage dans la péninsule du Sinaï, frontalière de la bande de Gaza et d’Israël. Le mouvement islamiste dément inlassablement ces informations, sans parvenir à dissiper la méfiance envers les Palestiniens, qui vise également les réfugiés syriens. La Coalition de l’opposition syrienne, dominée par le courant islamiste, a réclamé dimanche la libération d’ «au moins 72 hommes syriens, dont neuf garçons, arrêtés la semaine dernière, à des barrages sur des routes principales du Caire». Le Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) a indiqué vendredi dernier que «l’environnement hostile» en Egypte envers les Syriens y a provoqué «une très forte augmentation» du nombre d’enregistrements de réfugiés: plus de 1000 par jour, contre environ 200 avant le 30 juin, paroxysme des manifestations massives contre Mohamed Morsi. Dans ce contexte de nationalisme exacerbé et de retour en grâce de l’armée, certains s’alarment d’une éventuelle restauration d’un régime militaire.