Alors que les chômeurs font entendre leurs voix, L’agriculture n’a plus de bras

Alors que les chômeurs font entendre leurs voix, L’agriculture n’a plus de bras
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la veille des plantations traditionnelles de champs de pastèques, de melons jaunes et autres «bouchbekas» (petits melons verts si parfumés), les agriculteurs du pays s’inquiètent non pas des caprices du ciel, auxquels ils ont appris à se soumettre, mais pour des raisons bien plus terrestres et pour le moins insolites…

C’est à une forte pénurie de main-d’oeuvre que les fellahs font face depuis des années sur l’ensemble du territoire, plus encore dans les zones agricoles du centre du pays. Un constat amer, d’autant plus que la mécanisation de notre agriculture demeure très insuffisante.



«Ils restaient à ne rien faire sur la place du village, je leur ai alors proposé 1 500 DA la journée pendant sept à huit jours, et sur la quinzaine de jeunes désoeuvrés, seulement 4 sont venus me rejoindre sur l’emblavure.

Il a fallu que je prenne en charge le petit-déjeûner, le déjeûner et le transport de deux d’entre eux. Le travail avançait pourtant lentement, sans qu’il me soit possible de leur demander d’accélérer la cadence de peur que, d’un commun accord, ils ne jettent leurs binettes à terre en guise de démission.

J’ai dû demander de l’aide dans ma grande famille, recourant même à des cousines âgées, pour planter, en fin de journée, ce que nous n’avions pas terminé le matin.

La campagne de l’an passé m’a traumatisé. Je ne planterai plus jamais de culture nécessitant la main-d’oeuvre du chantage !» Ce sont-là les propos de âami Tahar, propriétaire d’une dizaine d’hectares de terre agricole dans la wilaya de Boumerdès.

Il écrase de ses longs doigts osseux une prise de tabac à chiquer. A soixante ans révolus, il est écoeuré par la mentalité de la jeunesse d’aujourd’hui : «Ils ont tout, ils sont bien habillés, du gel sur la tête, des chaussures à près de 10 000 DA la paire, des sous dans la poche… Comment voulez- vous qu’ils veuillent courber l’échine.

Mes 1 500 DA pour six heures de travail ne les intéressent pas. C’est d’ailleurs pareil dans le bâtiment. Pas la peine de chercher un manoeuvre, car personne ne veut plus travailler.» «La faute à l’ANSEJ…»

Au moment où un vaste mouvement des chômeurs algériens secoue le pays sur fond de tension sociale dans le Sud, la raréfication des ressources humaines pour les travaux d’exécution dans le domaine statégique de l’agriculture (les campagnes saisonnières, les plantations, les récoltes ou les vendanges), illustre le paradoxe national en matière de crise de l’emploi. Certains accusent les mécanismes «pervers du soutien de l’Etat».

Ainsi, les dispositifs tels l’ANSEJ, l’ANGEM, ou encore celui de la CNAC pour les plus âgés, sont vivement critiqués pour avoir corrompu la jeunesse sans formation sérieuse ni savoir-faire, lui laissant penser qu’avec la baraka d’un dossier constitué, on pouvait obtenir une coquette somme d’argent, qui pourrait atteindre un milliard de centimes, pour acquérir un équipement aux frais de la princesse.

En effet, les candidats à la générosité de la «dawla», savent que personne ne pourra les obliger à rembourser ces prêts théoriques. Résultat : tous les oisifs de nos villes et campagnes ont monté des projets faciles, associant acquisition de véhicules prétendument utilitaires à la création de commerces dans des secteurs vite arrivés à saturation.

Cela a bien sûr fait le bonheur des concessionnaires de petites camionnettes à ridelles ou frigorifiques, venant encombrer un réseau routier de ces milliers de jeunes chauffards pas toujours conscients de la valeur du bolide qu’ils conduisent à la vitesse maximale durant toute la journée.

Des statistiques objectives démontreraient, sans qu’on ait besoin des commentaires des économistes, l’impact négatif de cette opération massive de mercantilisation de toute une frange de notre société, qui vit surendettée en abusant d’un équipement qu’elle n’amortira probablement jamais, évitant, malheureusement, l’apprentissage d’un métier utile.

Bien entendu, il y a quand même quelques exceptions sur ce triste tableau d’une jeunesse à court d’imagination et méprisant, à tort, le travail supposant un effort de longue haleine.

Il y a aussi ce déficit flagrant de PMEPMI qui auraient pu créer des postes de travail pour les manuels et les diplômés de l’université qu’on cache dans les administrations qui les exploitent par le biais du préemploi, statut précaire soupçonné de servir à faire baisser les chiffres officiels du chômage.

La politique macroéconomique, encore basée sur la rente du sous-sol, a manifestement échoué malgré ses prétentions sociales d’apparente redistribution de la cagnotte. Il est impératif de revenir au plus vite à une organisation socioéconomique qui sache revaloriser le travail productif en même temps qu’elle revalorisera les salaires…

N. M.