Alors que les autorités font plus de concessions, les émeutiers s’adonnent à la surenchère, Dangereux engrenages à Laghouat

Alors que les autorités font plus de concessions, les émeutiers s’adonnent à la surenchère, Dangereux engrenages à Laghouat
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Rien ne semble déjà joué à Laghouat. Pour apaiser les tensions, et répondre aux injonctions d’Alger, les autorités locales multiplient les concessions vis-à-vis des émeutiers : libération depuis une semaine déjà des toutes les personnes arrêtées après le pic de tension en plein centre-ville, annulation de la liste des bénéficiaires -annulation très discutable du reste, car on ne dégomme pas une décision et un relogement consommé pour enquêter sur deux ou trois cas isolés et controversés-, réexamen des indus bénéficiaires, relogement de la totalité des habitants des bidonvilles avant juin 2012, amélioration des conditions de vie et recensement des nécessiteux.

Toutefois, la tension ne semble pas baisser. Même les imams des mosquées, dépêchés en catastrophe par le ministère des Affaires religieuses pataugent dans les turbulences des jeunes émeutiers. Deux prêches après la prière hebdomadaire du vendredi ne sont pas arrivés à faire plier les ultras des émeutiers.

Alors que tout le monde emprunte les mêmes sentiers d’analyse, il serait judicieux de faire un tour dans la proche périphérie de la ville. À Aflou, Hassi Morra et tout l’est de la wilaya, l’excédent de la pomme de terre est jetté dans des fosses avant d’être recouvert de terre. Pour manque de moyens de préservation adéquats, la difficulté de l’acheminer vers les marchés de gros de la wilaya et le peu de moyens dont disposent les paysans autochtones pour l’emmagasiner.

Sur une récolte extraordinaire de plus de 350 000 quintaux de pommes de terre, des dizaines de quintaux ont été détruites ces derniers jours, sans que les responsables locaux trouvent à redire. Cette surabondance tranche carrément -et dangereusement, serions-nous tentés de direavec les émeutes de l’indigence et de la précarité qui secouent Laghouat.

« Il est vrai que le wali contesté est sujet à amende pour sa gestion de la ville, que le chef de la police locale est tout aussi contestable, mais c’est aussi par les erreurs que l’on apprend à gérer », nous dit un des imams en charge de représenter les jeunes contestataires. Depuis le 2 janvier, jour de l’embrasement de la ville, le pouvoir semble avoir changé de camp. De victimes, les émeutiers se sont transformés subrepticement, en bourreaux.

Après avoir obtenu toutes les concessions imaginables -et même inimaginables – de la part des autorités locales, ils vont chaque jour un peu plus loin. Aujourd’hui, ils ne demandent pas, mais « exigent » le départ du wali et du chef de la sûreté de wilaya de Laghouat. Pas moins que cela… Les autorités locales battent de l’aile, entre les injonctions d’Alger et la hantise des émeutes. Conséquence de cette double emprise sur elles, les autorités locales cumulent maladresses et gaucheries.

Le wali se confine dans son bureau et n’ose plus sortir, multipliant les reproches envers ses subalternes, le chef de sûreté de wilaya cède du terrain aux émeutiers pour éviter plus de tensions, mais en cédant en fait, sur le terrain du droit et de la justice.

Et peu à peu, par un glissement psychologique propre à l’« esprit des foules », les donnes sont inversées et les réalités travesties. La placette change de nom est devient «Place de la Résistance» et «Place de la Libération», en l’honneur des révolutionnaires égyptiens et la place qui a concentré leurs efforts pour faire tomber Moubarak.

Les policiers ont été provoqués avec des pétards «gros calibres», sans que ceux-ci reçoivent ordre de réprimer. En quelques jours, les victimes se sont dangereusement métamorphosées en tourmenteurs… Ce type de glissement psychologique n’est pas le propre de Laghouat. Nous avions déjà constaté cela à Hussein-dey, à Semmar, à Hamiz, à Diar Echams et ailleurs.

Parce que l’État cherche l’apaisement avant tout – par ces temps de manipulations, de propagande et de mise à l’épreuve de la sécurité nationale- et presque automatiquement, dès lors que les autorités locales entament un curieux processus de concessions pour circonscrire l’embrasement, les rôles sont inversés au profit des plus radicaux, les ultras parmi les émeutiers menant les autres toujours vers plus de radicalisation des revendications et des conditions de « cessez-le-feu ».

Cela abouti aussi toujours à plus de concessions de la part des autorités. À Laghouat, il y a vraiment à redire sur la gestion de la cité : imaginez : au centreville, des égouts presque à ciel ouvert dégagent des odeurs nauséabondes, non, pire, disons: irrespirables.

On peut s’en prendre à des méthodes de gestion partout dans la ville. Aujourd’hui, les jeunes émeutiers baissent la pression d’un cran, et c’est bien. Cela permettra de laisser du temps aux responsables locaux de reprendre leurs esprits et de corriger leurs erreurs de gestion.

Le wali a promis devant nous que les nécessiteux seront tous, sans exception, relogés avant juin 2012. Les responsables de l’APC ont aussi promis que dorénavant, les Laghouatis, c’est-à-dire les «seuls natifs de Laghouat», seront relogés en priorité avant ceux qui sont nés en dehors de Laghouat. Là, c’est une autre erreur de gestion qui se fait en pleine phase de révision de la gestion de la ville.

Cette manière d’amadouer les jeunes de la ville porte un nom : la ségrégation. Elle peut aussi s’appeler xénophobie. Et là aussi, nous sommes, hélas, en face d’une dérive née de la crainte des émeutes ou du désir de gagner, par de fausses solutions, les habitants de la ville. La transformation du bourreau en victime est aussi dangereuse que la transformation de la victime en bourreau…

F. O