Des Conseils de gouvernement se déroulent parallèlement aux auditions des ministres où aucun bilan annuel n’est présenté. Pire : le “touvabiénnisme” l’emporte sur les réserves lors de ces auditions totalement déconnectées de la réalité sociopolitique.
Le Conseil de gouvernement s’est réuni vendredi sous l’égide du Premier ministre, Ahmed Ouyahia, pour examiner plusieurs projets de loi, notamment ceux relatifs aux partis politiques et aux associations, à l’information et à la loi électorale. Ces réunions, par ailleurs non sanctionnées par un communiqué du gouvernement, devront se poursuivre à un rythme marathonien afin de peaufiner lesdits documents, nous dit-on.
Des documents qui doivent être théoriquement établis sur la base du rapport final élaboré par la commission Bensalah, qui avait auditionné le mois de juin partis et personnalités politiques en application des annonces faites par le président Bouteflika dans son discours du 15 avril. Ces Conseils interviennent quelques semaines après les auditions des partis politiques, des associations et des personnalités nationales par le président du Sénat, Abdelkader Bensalah, qui a remis son rapport final au chef de l’État. Selon notre source, une fois ces textes de loi achevés, ils seront soumis au Conseil des ministres dont la date de la tenue demeure une énigme.
D’autant que le président Bouteflika avait promis des réformes profondes et des décisions politiques à même d’aller vers un changement pour parer à d’éventuels chamboulements déjà en latence. Entre-temps, le premier magistrat du pays mène la barque et continue les auditions en nocturne avec les ministres, lesquelles auditions se suivent et se ressemblent. Depuis l’instauration de ce rituel qui intervient chaque mois de carême, les communiqués laconiques rendus publics par la présidence de la République disent “tout”, au sens protocolaire du terme et des évaluations sommaires des secteurs, sauf ce qui a changé d’année en année, secteur par secteur, dans l’examen de dossiers lourds inhérents aux véritables réformes tant attendues et aux changements souhaités par le citoyen contribuable dans son quotidien fait de lenteurs bureaucratiques, de cherté de la vie, d’insécurité, de crises et d’émeutes.
Cette année encore, le président Bouteflika “écoute” ses ministres, à chacun son tour, chiffres et rapports de synthèse à l’appui, sans pour autant mettre l’accent sur ce qu’il avait promis lors du discours prononcé au lendemain de violentes émeutes, de grèves, de sit-in et de marches qui ont exigé un changement profond du système. C’est dire que ces énièmes auditions interviennent dans un contexte politique et sécuritaire exceptionnel dans le sens où le chef de l’État, au même titre que ses proches collaborateurs et les ministres auditionnés, doit mettre à profit cette opportunité afin d’éviter une rentrée sociale explosive au vu des ingrédients socioéconomiques qui s’accumulent en assombrissant l’horizon.
Nonobstant l’institutionnalisation de ces auditions afin d’obliger les ministres de rendre des comptes, au lieu de “lire” des rapports de complaisance, le président Bouteflika se retrouve, cette fois-ci, devant une situation inédite. Face aux révolutions dans les pays “amis” et “frères”, les réformes, les vraies, doivent être abordées sans tabou et faire l’objet d’une communication transparente. Car, au risque de zapper tel ou tel chapitre, cela voudrait tout simplement dire que le chef de l’État Bouteflika ne serait pas prêt à réunir dans l’immédiat son Conseil des ministres pour annoncer des décisions à même d’assainir la vie politique. Et au rythme des communiqués rendus publics sur “ce qui a été dit”, ces auditions ne sont qu’un “copier-coller” des passages des gérants de portefeuilles ministériels devant les deux Chambres du Parlement. Autrement dit, le “touvabiénnisme” l’emporte sur les réserves émises chaque année par l’opposition et le Parlement, y compris celles exprimées par le chef de l’État qui a traité, souvenez-vous, ces ministres de “menteurs”. Montée de la violence urbaine, défaut de réalisation de marchés de fruits et légumes de gros, manque criant de médicaments, “émeutes du sucre et de l’huile”, crise du logement et bidonvilisation des grandes villes, recrudescence du terrorisme, dégradation de l’environnement, montée en puissance des lobbies au marché parallèle, chômage et autres réalisations en souffrance en matière d’infrastructures routières et ferroviaires.
Le chef de l’État avait pris au cours de l’année 2011 des décisions conjoncturelles pour faire face à la colère populaire, tout en chevauchant sur les prérogatives des ministres qu’il interroge aujourd’hui et desquels il exige des résultats. Or, ces mêmes ministres n’ont jamais raté l’occasion, devant les écrans de la Télévision nationale, de souligner que tout ce qui se fait “est placé sous l’égide de Son Excellence le président de la République”. Une manière comme une autre de décliner toute responsabilité dans les retards accusés. À la limite de l’ironie, ce serait donc Bouteflika qui devait être auditionné et non les ministres ! Mais bon. Du coup, depuis 2009, année où les auditions ont été instaurées, aucun bilan annuel n’a été présenté. Mieux, aucune perspective à court et à moyen terme n’a été rendue publique et/ou concrétisée afin de la présenter dans la prochaine audition.