Alors que le pays en a grandement besoin ,Des milliers de cadres marginalisés

Alors que le pays en a grandement besoin ,Des milliers de cadres marginalisés

Le moral de milliers de cadres algériens est au plus bas. Tel est le constat dressé par bon nombre d’entre eux dans des témoignages accablants.

Censés constituer le fer de lance de toute entreprise et en représenter le gage de développement et de réussite, ils sont bien souvent réduits à n’être que la cinquième roue de la charrette.

«L’accord loyauté-protection entre l’entreprise et ses cadres est mort. Définitivement mort», nous dit d’emblée au début de notre enquête Sid-Ali Fizi, ex-directeur d’une PME, aujourd’hui au chômage. Il est également président de l’Association des cadres algériens marginalisés (Acam) qui lutte depuis six ans contre la bureaucratie pour obtenir son agrément. Selon notre interlocuteur, le dernier «baromètre» établi par son association démontre que «le moral de milliers de cadres algériens est au plus bas. Non seulement, ils n’envisagent aucune amélioration économique dans les prochaines années, mais ils sont aussi pessimistes sur l’évolution sociale du cadre algérien».

Le chômage est évidemment leur principale préoccupation. Toujours selon Sid-Ali Fizi, plus de 25 000 sont au chômage. «Soit deux fois plus qu’en 2008.» Il note un fait nouveau, «environ 40% des cadres au chômage jugent qu’un mouvement social peut avoir lieu» et surtout, surprise !, que «30% d’entre eux se disent prêts à y participer».

Etonnant pour cette population traditionnellement peu encline à ce type de lutte sociale. Plus inattendu encore, beaucoup d’entre eux rejettent les syndicats classiques. Question : où sont passées les composantes classiques de l’identité du cadre : proximité avec la direction ? L’identité du cadre est battue en brèche et tend même à totalement s’évanouir», explique Smaïl Benguenna, un ancien cadre et syndicaliste d’une importante entreprise étatique, qui a connu plusieurs fois dans sa carrière les affres du licenciement et de la marginalisation. «Si la lutte des cadres est entrée peu à peu dans l’ordre du pensable, c’est qu’il y a des raisons tangibles d’y croire», ajoute le président de l’Acam. Et Smaïl Benguenna de renchérir : «Les luttes ouvrières à travers le monde ont souvent eu des leaders petits bourgeois. Il n’est donc pas insensé d’imaginer nos cadres prendre la tête d’un mouvement social.» L’heure de la protesta a-t-elle pour autant sonné ?» Pas sûr, mais les bases, elles, sont jetées», nous dit-on dans les milieux de l’Acam.

Déjà, les attitudes rebelles se font jour auprès de nombreux cadres. Certains, de plus en plus nombreux, se désinvestissent de leur travail, font passer leur vie de famille avant leur carrière, d’autres choisissent de tout «plaquer» et optent pour l’exil. Bref, les discours se radicalisent.

C’est le cas d’Arezki M. cadre dans une entreprise de téléphonie. «On ne se bat que pour enrichir les actionnaires», s’insurge-t-il. Arezki était le prototype même du jeune ingénieur dynamique qui a tout fait pour atteindre ce statut privilégié. «Au départ, je n’étais pas insensible au prestige de ce travail de cadre, j’en voulais. J’ai galéré pour faire des études qui me permettraient d’y arriver, raconte-t-il. Université d’Alger, différentes expatriations en Italie et en France, un poste chez France Télécom pour démarrer. Ensuite, retour en Algérie avec beaucoup de projets en tête et un recrutement auprès d’un important opérateur de téléphonie. Au programme, plus de soixante heures de travail par semaine, des objectifs himalayens, une compétition exacerbée et, au final, peu, très peu de responsabilités. Le tout, avec l’obligation absolue de se taire sinon de dégager» ! Résultat ? «La désillusion d’abord, le licenciement au bout de trois ans ensuite.» S’engager pour changer les choses ? Arezki M. y a songé. «Je suis très proche de l’Acam, tant l’illogisme des entreprises qui n’ont pour seul horizon que le profit est destructeur pour l’homme et pour le cadre que je suis.»

notre interlocuteur nous raconte avoir tout plaqué pour s’investir dans la musique, animer des soirées en tant que DJ. «Je me sens plus en phase avec la réalité du monde», conclut-il.

R.Kh