Que restera-t-il du Front de libération nationale au lendemain du départ de Abdelaziz Bouteflika ? Le parti, en proie à des luttes internes, ne parvient toujours pas à se relever de la crise chronique dans laquelle il a été plongé depuis 2004.
«réformes politiques profondes» qu’envisage de mener le pouvoir pourraient s’avérer fatales pour le parti du Front de libération nationale.
Il est vrai, qu’actuellement, la nature des changements qui seront introduits n’est toujours pas connue. Une chose reste toutefois certaine : il y aura un retour au principe de la limitation des mandats présidentiels. «Il n’y aura pas de présidence à vie», a d’ailleurs confirmé, vendredi, Ahmed Ouyahia à l’occasion d’une réunion du Rassemblement national démocratique. Après avoir soutenu la révision de la Constitution de novembre 2008, qui a permis à Abdelaziz Bouteflika de briguer un troisième mandat, Ouyahia plaide aujourd’hui pour un retour aux «normes démocratiques».
Un parti pour un homme
Et le FLN dans tout ça ? En décembre 2010, à l’occasion de la session annuelle du comité central, Abdelaziz Belkhadem se déclarait être pour que Bouteflika brigue une présidence à vie.
«Notre position est naturelle. Le président du parti c’est qui ? C’est Abdelaziz Bouteflika. Pourquoi voulez- vous qu’on aille chercher ailleurs un autre candidat ? Nous avons estimé nécessaire d’exprimer ce soutien pour mettre fin aux doutes. Vous n’êtes pas sans savoir que beaucoup de commentaires se font à ce sujet. Ce qui a, comme conséquence, de plonger le pays dans l’immobilisme. Pour nous, l’incertitude n’est pas de mise. Et si nous l’avons fait, c’est pour maintenir le pays dans la dynamique. Dans la stabilité. Et enfin, pour que certains ne se fatiguent pas». Le message de Belkhadem a le mérite d’être clair. Mais il est vrai qu’en ce début de second millénaire, le parti, avec ses militants et ses structures, s’est mis à la disposition du président. Il ne vit que pour lui.
Grandeur…
Pour tenter de comprendre la situation actuelle, il est important de revenir à 2004. Au début de cette année, le Front de libération nationale était encore dirigé par Ali Benflis.
En succédant en 2001 à Boualem Benhamouda, Benflis avait engagé un vaste plan de réformes au sein de son parti. Réformes qui permettront au FLN de devenir la première force politique du pays. Mais son parcours en qualité de secrétaire général prendra fin le 19 avril 2004, soit 11 jours après le scrutin présidentiel qui avait permis à Bouteflika de rester au palais d’El Mouradia. Benflis, pour éviter que la formation ne sombre dans une crise, installe une commission collégiale pour gérer les affaires courantes.
Présidée par Abdelkrim Abada, cette commission ne pourra faire face aux «redresseurs» dont l’objectif premier est d’effacer toute trace de l’ère Benflis. Forts du soutien présidentiel, les vainqueurs d’avril 2004 parviendront à imposer leur diktat. Les députés «légalistes » seront les premiers à faire les frais. Karim Younès, alors président de l’Assemblée populaire nationale, préfère démissionner de son poste. Il sera remplacé par Amar Saïdani, élu de la wilaya de Oued Souf. Le congrès se tient finalement en février 2005. Un 8e congrès «bis» qui permettra à Abdelaziz Belkhadem d’achever la purge dans les rangs du parti et d’asseoir la suprématie de Bouteflika sur le parti. Le président de la République est nommé officiellement président du Front de libération nationale.
… décadence
Mais Belkhadem veut toujours plus. En mai 2006, Abdelaziz Bouteflika décide de mettre fin aux fonctions d’Ahmed Ouyahia. Belkhadem prend alors les commandes de la chefferie du gouvernement. Les deux hommes, qui sont censés être partenaires dans le cadre de l’Alliance présidentielle, sont, en fait, de véritables rivaux. Libéré de toutes responsabilités, Ouyahia se consacre exclusivement à la gestion du Rassemblement national démocratique. De son côté, Abdelaziz Belkhadem tente de diriger l’équipe gouvernementale. La mission s’avère plus rude que prévue. Sa marge de manœuvre est très limitée face au président lui-même et au groupe de «supe-rministres » qui dirigent les départements de souveraineté. Au bout de quelques mois, il finit par avouer qu’il n’agit qu’en qualité de «coordinateur de l’action gouvernementale». Au niveau du FLN, la situation s’avère encore plus catastrophique. Belkhadem est incapable d’appliquer les résolutions prises lors du congrès. Il ne réussit même pas à installer les structures de base que sont les mouhafadhas et les kasmas. Le secrétaire général du FLN est confronté à une première grande crise à l’occasion des sénatoriales de décembre 2006. Majoritaire au niveau des assemblées locales, le FLN aurait dû rafler un maximum de sièges au Conseil de la nation. Mais il ne réussira à décrocher que 24 sièges.
En 2007, il sera soumis à de très fortes pressions lors de l’élaboration des listes électorales des législatives. De nombreux cadres dénoncent les conditions dans lesquelles ces listes sont établies. On évoque ouvertement des cas de copinage, voire même de corruption. Le FLN, entre de plain-pied dans l’ère de la «chkara». Belkhadem subit un autre échec lors de ce second test électoral : son groupe parlementaire à l’APN passe de 199 à 136 députés. Juin 2008, Bouteflika décide de se passer de ses services et de rappeler Ahmed Ouyahia à la chefferie du gouvernement. Il reste néanmoins à la tête du Front de libération nationale.
Zaïmisme
Mais l’homme est loin de faire l’unanimité. Plusieurs hauts responsables n’hésitent pas à remettre en cause sa gestion du parti. C’est notamment le cas de Abderezak Bouhara qui tente de lancer une initiative dite de la troisième voie pour «rénover» le FLN.
Ou encore de Abdelkader Bounekraf qui refuse de cautionner la ligne imposée par Abdelaziz Belkhadem et qui finit par démissionner du secrétariat de l’instance exécutive, l’équivalent du bureau politique. Le secrétaire général doit aussi faire face à de multiples mouvements de protestation menés par la base militante. La colère des cadres et des militants ira en s’accentuant à l’approche du 9e congrès. Belkhadem est accusé d’avoir «verrouillé le jeu» en accréditant d’indus miltants. Une stratégie qui lui permettra de se faire réélire au deuxième jour du congrès. Mais la crise interne reprendra de plus belle au courant de l’été.
Salah Goudjil, qui a été écarté des plus hautes instances du parti, est le premier à passer à l’offensive. L’ancien ministre des Transports n’hésite pas à dénoncer le comportement de Belkhadem qu’il qualifie de zaïm. «Belkhadem ne tolère pas qu’on le contredise ou qu’on demande des explications. Il veut être le seul à dicter ce qu’on doit faire, sans discuter et sans en débattre. Avec les nouveaux statuts du parti, il a complètement remis en question le fonctionnement démocratique des instances horizontales et verticales. Belkhadem est devenu un zaïm, mais la zaâma au FLN est bannie. Le parti ne peut pas fonctionner comme une zaouïa, avec un cheikh et ses moqadims », dira Goudjil dans un entretien accordé au Soir d’Algérie.
Protection fatale
En fait, Salah Goudjil ne fera qu’ouvrir la voie à un vaste mouvement de protestation mené par un groupe de ministres et de députés : El- Hadi Khaldi, Mahmoud Khoudri, Mohamed-Seghir Kara et Abdelkrim Abada.
C’est au tour du redresseur Belkhadem de se faire redresser. Le mouvement, qui s’étend à toutes les structures de base, se veut rassembleur. Ses initiateurs se dotent d’un siège sur les hauteurs d’Alger, mettent en place une structure parallèle au niveau de l’APN et organisent plusieurs rencontres régionales. Mais Abdelaziz Belkhadem dispose d’un atout imparable pour faire face à ses détracteurs : la protection présidentielle. Depuis son accession au poste de secrétaire général du FLN en 2004, il n’hésitera pas à en user à chaque fois qu’il se sentira en danger. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait lors de la session du comité central de décembre 2010. C’est à ce moment précis qu’il a annoncé que le candidat du FLN en 2014 sera Abdelziz Bouteflika. Sauf qu’à l’époque, le vent de liberté sur les pays arabes n’avait pas encore commencé à souffler et «l’obligation» d’introduire des changements politiques ne s’était pas imposée. Aujourd’hui, Abdelaziz Belkhadem dispose encore de la protection de Abdelaziz Bouteflika.
Mais jusqu’à quand ? Dans l’état actuel des choses, il est quasiment impossible que le FLN puisse présenter un candidat issu de ses rangs si des élections présidentielles venaient à être organisées. Déstructuré, divisé et paralysé par les luttes internes, le Front de libération nationale ne survivra pas au départ de Bouteflika.
T. H.