Alors que 210 cas sociaux devaient être réglés, on a créé des centaines d’autres, affirment des protestataires à Aïn El Turck, Le logement social, une malédiction

Alors que 210 cas sociaux devaient être réglés, on a créé des centaines d’autres, affirment des protestataires à Aïn El Turck, Le logement social, une malédiction

A chaque fois qu’il y a distribution de logements, des contestations suivent. C’est devenu une règle dans un pays où la confiance des citoyens envers leurs responsables, n’est pas à proprement dit le lien fort.

A de rares exceptions, pratiquement toutes les opérations de distribution ont été entachées d’actes de violence qui, souvent, ont nécessité l’intervention des brigades antiémeutes. Selon les points de vue recueillis, les accusations fusent d’un côté comme de l’autre.

Les bénéficiaires crient à la magouille, au passe-droit, aux ordres reçus par téléphone et à la malhonnête des responsables, qu’il s’agisse de fonctionnaires ou d’élus, et ces derniers affirment de leur côté, avoir agi dans la transparence la plus totale.

Pour comprendre ces situations qui ont tendance à devenir une règle, dès qu’une distribution est annoncée, nous nous sommes déplacés, mardi matin, dans la commune d’Aïn El Turck, où de sérieux affrontements ont eu lieu, à l’occasion de l’attribution de 210 logements sociaux.

Cette opération avait fait plusieurs blessés, tant parmi les protestataires que les policiers chargés de ramener l’ordre, et éviter que la situation dégénère. Echaudés par les rumeurs les plus folles qui ont fait le tour de la ville, des dizaines de protestataires ont bombardé de pierres le siège de la daïra, après avoir empêché quiconque d’y accéder. Inspirés sans doute par ce qui se passe dans des pays voisins, des femmes et des hommes brandissaient des pancartes exigeant le départ de responsables. D’autres désiraient simplement que justice soit rendue et que les listes soient annulées.

«DES VIDEURS ET DES FILLES DE JOIE SUR LA LISTE»

La violence avait justement commencé, en début de semaine, quand les habitants d’Aïn El Turck avaient découvert la liste affichée sur une place publique, non loin du siège de la daïra. Stupéfaits d’y trouver, selon leurs déclarations, des indus bénéficiaires, les habitants ont très mal réagi et cédé aux pulsions de la violence. Un des protestataires a déclaré : «Les dossiers de logements sont jetés dans la décharge publique. Les responsables n’ont même pas étudié les cas de nécessiteux et ont attribué des logements à des videurs de cabarets et à des filles qui y travaillent».

Désirant savoir le degré de véracité de ces propos, nous avons demandé des preuves, ce que n’a pas pu produire notre interlocuteur. D’autres apprenant notre présence, sont venus exhiber qui un récépissé de dépôt de dossier datant d’une vingtaine d’années, qui des photos de bidonvilles où ils vivent, qui enfin, des coupures de journaux témoignant leurs cas.

Certains témoigneront avoir vu tel responsable répondre au téléphone et promettre que le «client» sera sur la liste et d’autres affirmeront que des délinquants notoires ont eu un logement. Un des protestataires ira jusqu’à affirmer que la photo d’une femme veuve a été publiée sous l’identité de son époux mort.

La liste ayant été saccagée, nous n’avons pas pu vérifier cette information, ou savoir si les femmes et hommes bénéficiaires étaient des videurs ou des prostituées. Le fait est que certains, plus raisonnables et moins excités, ont affirmé loin de la cohue, que beaucoup parmi les bénéficiaires n’étaient pas des natifs de la ville. Selon certains contestataires qui ont dépouillé la liste, «plusieurs noms seraient portés en double.

S’agit-il d’homonymes, ou d’une manière masquée de refiler en douce un logement à une connaissance ?». Selon la liste que nous avons à notre disposition, il y a vingt (20) femmes et il est impossible de savoir s’il s’agit de jeunes filles, de femmes mariées ou divorcées, car il n’y pas de photos ni date de naissance et encore moins de mention particulière.

NOUS AVONS FAIT DANS LA TRANSPARENCE TOTALE

Contacté par téléphone avant-hier matin, le chef de daïra d’Aïn Turck, M. Oufroukh Mohand El Hocine, dira : «J’ai pris la responsabilité d’afficher les photos dans un souci de totale transparence, alors que j’aurais pu me contenter d’afficher la liste seulement». S’agissant de l’exigence des protestataires, M. Oufroukh dira : «Nous avons reçu à ce jour (lundi soir à 21 heures, ndlr), 236 recours que nous allons étudier.

Cela ne signifie pas que ces réclamations sont fondées, mais des demandes introduites que nous allons examiner. Si les personnes mises en cause nécessitent d’être radiées, nous le ferons. Ces recours sont des informations qui nous permettront d’entamer des enquêtes approfondies. Des noms ont été donnés et feront l’objet d’investigations».

Concernant l’application du quota de 30% pour les célibataires, le chef de daïra dira : «Je n’ai rien à cacher, une plus grande transparence que celle-là n’existe pas, c’est pour cela que j’ai mis les dates de naissance et les visages pour ne rien cacher». En ce qui concerne les dossiers dont les demandeurs affirment avoir une ancienneté plus grande que celle de beaucoup de bénéficiaires, notre interlocuteur dira qu’il n’y a pas que l’ancienneté qui entre en jeu, mais qu’il y a plusieurs paramètres à prendre en compte, comme la situation sociale.

Parfois les protestataires véhicu lent des informations fausses, qui sont infondées. Selon le chef de daïra, nous avons compris que les listes ne seront pas refaites, mais que certaines attributions pourraient être annulées si les informations fournies dans les recours s’avèrent fondées. Un exercice bien périlleux, car les recours, selon des informations parvenues hier à la rédaction, ont encore augmenté, chose que nous n’avons pas pu officiellement confirmer avec le chef de daïra qui ne répondait pas hier.

DEUX AUTOBUS PARTIRONT SUR ALGER

Cette situation ne semble pas se dénouer, car les protestataires pensent que les jeux sont faits. Pour éviter les fausses promesses et les beaux discours, des contestataires nous ont affirmé qu’ils avaient introduit une demande à la wilaya, pour un déplacement collectif de protestataires qui prendront la route sur Alger à bord de deux autobus. «Nous allons observer un sit-in devant le ministère de l’Intérieur, jusqu’à ce qu’on écoute nos voix. «Il y a de la triche et on ne va pas se laisser berner par de belles paroles. En attendant, d’autres citoyens se sont rapprochés de nous pour dénoncer un pourrissement de la situation.

«Nous n’avons rien à voir avec les logements mais les services publics sont fermés depuis maintenant quatre jours. Nous avons besoin de documents administratifs, cartes grises, dépôt et récupération de carte d’identité. «Est-ce là l’Etat fort ? Que les responsables défaillants soient sanctionnés, car la rue gronde et qu’on ne pénalise pas les autres citoyens», dira un habitant qui a besoin de retirer ses documents. Il poursuit : «Il est désolant de voir qu’au lieu d’avoir réglé 210 cas, les responsables ont créé des centaines d’autres».

Hakim Djaziri