Première étape de la guerre froide, le blocus de Berlin-Ouest par les Soviétiques dura seize mois. Il fut surmonté grâce aux 277 000 rotations de l’aviation alliée.
Âgé de 88 ans, le colonel Gail Halvorsen n’a pas eu la force de reprendre les commandes de son vieux DC-3 Douglas. Mais, depuis le cockpit où il était installé, le vétéran américain a veillé à ce que l’appareil exécute bien son battement d’ailes, qui faisait la joie des petits Berlinois, avant de larguer ses chocolats. C’était sa signature à l’époque du pont aérien, lorsque les Alliés s’étaient mobilisés pour aider Berlin-Ouest, formé par les trois secteurs sous leur contrôle, à tenir bon face au blocus soviétique.
Mardi, la capitale de l’Allemagne réunifiée fêtait le soixantième anniversaire de la fin du blocus et sa première victoire pour la liberté.
Le 24 juin 1948, à l’issue d’une longue dégradation des relations entre les quatre occupants de l’Allemagne, l’URSS bloque les voies d’accès terrestre à l’ancienne capitale du Reich, toujours en ruines. Situé en plein cœur de la partie allemande occupée par les Soviétiques, Berlin-Ouest est coupée du reste du monde. L’instauration du pont aérien marquera le début de la guerre froide. Cette solidarité fera échouer la stratégie de Staline, qui ne supportait pas que le dollar américain serve de modèle à la création du Deutsche Mark. Et permettra de faire basculer définitivement Berlin-Ouest et l’Allemagne fédérale dans le bloc occidental.
«La symphonie de la liberté»
Il faudra 462 jours et plus de 277 000 rotations, soit un vol toutes les 90 secondes, pour faire plier l’Union soviétique. Pendant ces seize mois, deux millions et demi de Berlinois survivront uniquement grâce aux 7 000 tonnes de vivres tombées du ciel chaque jour : du charbon, de la farine, de la viande, des tétines, des voitures, des bus, du matériel de construction, du papier toilette, du sel, une usine en pièces détachées… Rien ne devait manquer. Le vacarme était presque insupportable. Mais les Berlinois appelaient cela la «symphonie de la liberté».
En présence de quelque 80 anciens combattants américains, britanniques et français, le maire de Berlin, Klaus Wowereit, a remercié, mardi, les Alliés «au nom de tous les Berlinois». «Nous n’oublierons jamais les victimes tombées pour la liberté de notre ville», a-t-il dit.
Surnommé «Candybomber» , Gail Halvorsen s’est vite imposé comme le véritable héros du pont aérien et de la réconciliation germano-américaine.
C’est un peu grâce à lui que les forces alliées passent du statut d’occupant à celui de protecteur. Touché par la dignité des enfants berlinois réduits à la misère, le pilote décide de leur offrir ses rations de chocolat et de chewing-gum. Il les distribue à la main avant de s’organiser pour bombarder les petits Berlinois de friandises. Avec des mouchoirs blancs, il bricole des parachutes. Et, pour que les enfants le reconnaissent parmi les centaines d’avions qui survolent Berlin tous les jours, il bat des ailes avant de larguer ses tablettes de chocolat Hershey’s. Plusieurs pilotes l’imiteront en lâchant des raisins secs enrobés de chocolat, et c’est ainsi que leurs avions seront rebaptisés les «Rosinenbomber».
Plusieurs milliers de Berlinois ont défilé, mardi, sur l’aéroport de Tempelhof pour applaudir les vétérans. «Sans ces hommes, Berlin serait tombée aux mains des communistes, et l’Allemagne n’aurait peut-être jamais été réunifiée», juge Gaby, une Berlinoise âgée de 69 ans, qui garde un souvenir ému des chocolats américains. En 1961, au plus fort de la guerre froide, la division de l’Allemagne et du monde en deux blocs sera matérialisée par la construction du mur de Berlin, érigé par le régime communiste de RDA. Mais les Berlinois ne perdront jamais l’espoir de revivre ensemble, ni le goût de la liberté. Et le 9 novembre prochain, ils fêteront les 20 ans de la chute du Mur.