Levée de l’état d’urgence, marches de samedi 5 mars, système politique algérien, manipulations des médias audiovisuels, Ali Yahia Abdenour, président d’honneur de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD), version partis politiques, fustige par-ci et plaide par-là, pour un « changement du régime » et non pour un changement « dans le régime ». Compter rendu de sa conférence de presse tenue à Alger lundi 28 février.
19 ans après son instauration, l’état d’urgence est levé jeudi dernier, selon un décret publié dans le journal officiel. Ali Yahia Abdenour, 90 ans, n’est pas pour autant satisfait et fustige un état de siège. « Nous sommes dans un état de siège, mis en place par un arrêté non publié en 1993. Cet arrêté donne aux commandants des régions militaires les pouvoirs d’intervention», rappelle-t-il. Si l’état d’urgence est levé, « les libertés politiques sont toujours mises en parenthèses », déplore-t-il.
Dans sa version expurgée de la société civile, la CNCD a appelé à trois marches dans la capitale le 5 mars. Pourquoi maintenir la mobilisation alors qu’une partie de la CNCD a déserté le champ des revendications ? « Nous voulons le changement du système et non pas le changement dans le système. Nous voulons que le système parte, condition sine qua non pour la résolutions des problèmes des Algériens », martèle le président d’honneur de la LAADH. Il précise que la CNCD organisera d’autres marches chaque samedi pour maintenir la pression sur le pouvoir.
Interpellé sur la faible mobilisation de la marche du 26 février, Ali Yahia Abdenour argue que les Algériens qui ont subi la violence depuis 1962 ont encore peur. « Le jour où on lèvera réellement l’état d’urgence, et l’on permettra aux Algériens de manifester pacifiquement, ce jour là vous verrez si le peuple nous rejoindra ou pas », affirme-t-il.
Entre temps, il faudra donner du temps à la population, plaide Ali Yahia. « Le jour où le peuple sera prêt, nous marcherons ensemble », dit-t-il, non sans exprimer sa solidarité avec les mouvements de protestation initiés par la communauté estudiantine, les greffiers, les gardes communaux, les collectifs des chômeurs… Quid de la répression de la marche par la police samedi 19 février ? Ali Yahia s’est dit étonné que « le pouvoir au lieu de régler les contradictions réprime les contradicteurs ».
A l’instar des révolutions dans les pays voisins, l’orateur prédit le crépuscule du pouvoir algérien. « Il y a une accélération de l’histoire qui est un danger pour les dictateurs et celle-ci est déjà à la porte de l’Algérie. Nous voulons un changement pacifique», souhaite-t-il, en décrétant la fin du zaimisme (leaderchip).
La révolution appartient au peuple, particulièrement la jeunesse, dit ce vieux militant de droits de l’homme. La CNCD exige, selon lui, le respect de la souveraineté du peuple à travers la désignation de représentants selon des élections libres et transparentes.
Dans son traitement des derniers marches initiées par l’opposition, l’ENTV, la télévision publique, a choqué plus d’un y compris, au sein de la CNDC. « La télévision appartient à tous les Algériens, mais malheureusement elle est au service du pouvoir », regrette-t-il, dénonçant les mensonges distillées par la télévision d’Etat.
Ali Yahia rappelle que le président de la République, arrivé au pouvoir au 1999, avait affirmé à maintes reprises que les medias publics sont au service du pouvoir. Il s’est interrogé si les journalistes de la TV et de la radio ne sont pas des fonctionnaires de l’info. Car, selon lui, ces journalistes devaient se défendre et arrêter cette compagne de désinformation.
Le régime algérien est bicéphale et l’armée désigne et défait les présidents, selon cet avocat. Il cite alors les cas d’Ahmed Ben Bela, Chadli Bendjedid et Liamine Zeroual qui ont été placés au pouvoir par les militaires. Il invite la Grande Muette à assumer ses responsabilités.
Par ailleurs, le régime politique algérien a hérité des mêmes pratiques coloniales et amplifiées par la suite, selon Ali Yahia, notamment la pratique des fraudes électorales. Guy Mollet avait avoué truquer les résultats des élections à l’Assemblée algérienne en 1948 qui avaient donné Messali Hadj perdant, se souvient maître Ali Yahia.
« Sauf que chez nous, le régime ne reconnaît rien. Il soutient plutôt que c’est le peuple qui l’a choisi », s’étonne-t-il. L’Algérie vit « dans un gangstérisme politique. Il n’y a pas de séparations des pouvoirs. C’est la confusion des pouvoirs. Nous vivons sous le joug de la dictature », analyse-t-il.
Au passage il dénonce la concentration de tous les pouvoirs entre les mains du président Bouteflika. « Pour le moment, nous sommes des sujets et non pas des citoyens », tranche le conférencier.
Actualité oblige, l’orateur est revenu sur les propos du ministre des Affaires étrangères, Mourad Medelci. Au cours d’une intervention sur la chaîne française Public Sénat, Medelci a estimé que l’Algérie a vécu sa révolution avant les autres, en 1988 et que l’Algérie ne sera ni la Tunisie, ni l’Egypte.
« C’est un ministre auquel les Affaires étrangères sont étrangères. Il ne comprend rien », assène Ali Yahia pour qui les acquis démocratiques ont été arrachés par le peuple et que le pouvoir n’a concédé aucune liberté.