Ali Mebtouche, président de l’association “sauvons la casbah”, à “liberté”: “Pour sa restauration, il faut une volonté politique”

Ali Mebtouche, président de l’association “sauvons la casbah”, à “liberté”: “Pour sa restauration, il faut une volonté politique”

Ali Mebtouche, président de la fondation “Sauvons La Casbah”, revient, dans cet entretien, sur le projet de rénovation de La Casbah, à l’heure d’une polémique entourant Jean Nouvel, l’architecte devant chapeauter ces travaux de restauration, tout en déplorant le “manque de volonté politique”, qui aurait pu sauver, partiellement du moins, l’ancienne Citadelle…

Liberté : Que pensez-vous du choix de l’architecte français Jean Nouvel pour la restauration de La Casbah ?

Ali Mebtouche : Nous sommes ni pour ni contre, mais ce que je peux dire, c’est qu’en tant que fondation, nous sommes dans l’ignorance totale. Il y a quelques jours, j’ai assisté au dîner organisé par la wilaya d’Alger. Pour vous dire la vérité, moi, jusqu’à présent, je ne sais rien du tout. J’ai réuni le bureau de la fondation quelques jours après ce dîner. Tout le monde était unanime pour me dire que Jean Nouvel était de renommée mondiale. Mais au-delà-de cela, nous n’avons aucune donnée, nous ne pouvons vous donner de plus amples informations, parce que nous sommes logés à la même enseigne que vous.

Les autorités doivent fournir des explications. Je ne peux pas me permettre d’aller demander des explications à Valérie Pécresse. C’est au wali de réunir les gens concernés, c’est-à-dire la fondation et les associations qui gravitent autour de La Casbah, pour en débattre. Il faut qu’il nous explique ! Pour revenir à Jean Nouvel, comme je l’ai dit, ce n’est pas n’importe qui, il est de renommée mondiale. Mais dites-nous qu’est-il venu rénover ? Je ne peux pas me prononcer tant que je ne sais pas ce que ce monsieur est venu faire. Mais s’il met la main à la pâte pour la sauver, je suis pour.

Certains sont contre l’idée que cet architecte prenne en charge le projet, parce qu’ils voient en cela une réappropriation de La Casbah par la France…

Ils ont raison ! Mais dites-leur qu’il ne faut pas qu’ils fassent la queue à l’ambassade de France pour avoir leurs visas. Qu’ils prennent des décisions. Vous savez ça fait quarante ans que je ne n’ai pas fait de demande de visa. C’est pour ma dignité.

De votre côté, menez-vous des actions concrètes pour essayer de participer à ce projet de réhabilitation ? Avez-vous des propositions ?

Il y a eu un article dans un journal faisant état d’une association d’architectes qui a élevé une protestation. Moi je suis contre. Ces architectes, jusqu’à présent, n’ont rien fait. Ils ont laissé La Casbah mourir et se détériorer. Le grand problème qui se posera pour sa réhabilitation, c’est la densité humaine. Vont-ils déloger les habitantss pour entamer les travaux de réhabilitation ? Si oui, où vont-ils les emmener ? L’autre problème, ce sont les constructions illicites. La loi 98-04  interdit les constructions modernes, afin de préserver le cachet de La Casbah.

Quels seront aussi les moyens de cette reconstitution ? Sera-t-elle à l’identique ? Nous avions proposé à l’État de reconstituer à l’identique les maisons qui se sont effondrées, de façon à “caler” les constructions avoisinantes. Parce que le problème de La Casbah est qu’elle a été construite comme un jeu de dominos. Dans tout ça, je ne peux pas me prononcer sur un problème technique. Je ne suis ni ingénieur ni architecte. Je suis au même titre que vous. Concernant les matériaux de construction, je pense que Jean Nouvel saura lesquels il faudra utiliser. Parce que le parpaing n’est plus d’actualité, le ciment 450 non plus.

L’autre ennemi de la population, c’est l’eau. Avant 1962, l’eau n’existait pas dans les maisons. Il y avait des robinets que les propriétaires ouvraient de 10h à 11h. Mais maintenant, tout le monde a introduit l’eau à l’intérieur des bâtisses, ce qui a énormément fragilisé les constructions. En outre, certaines gens ont volontairement détruit leurs maisons afin de bénéficier de logements ailleurs. Quand j’étais le président de la “Fondation Casbah”, la première chose que j’ai découverte en étudiant le tissu urbain de la Casbah, c’est que 80% des bâtisses étaient des propriétés privées. J’ai lancé un appel via les journaux pour les réunir. La réunion s’est tenue en 1993 à la salle Ibn Khaldoun en présence de 687 familles avec leurs actes notariés. Elles ont accepté de restaurer leurs maisons, à condition, d’une part, d’élaborer un cahier des charges, et d’autre part, que l’État les aide. Je m’étais déplacé à la Cnep pour demander qu’on accorde des prêts aux propriétaires avec un taux bonifié.

Le directeur de la banque de l’époque avait accepté. Je m’étais même réuni avec le wali qui m’avait assuré qu’il demanderait aux APC de nous donner un million de dinars par bâtisse. Mais vu que nous n’avions pas de structure, nous avons alors créé l’Association des propriétaires d’immeubles de La Casbah (Apic). Mais ce n’était pas suffisant. Tout le monde ne pouvait pas dire je suis propriétaire. Nous avons dépêché deux membres de la fondation, qui se sont rapprochés des Domaines, du Trésor et de la conserverie. Nous avons recensé tous les propriétaires dans un recueil. Nous en avons donné une copie au wali et au P/APC de La Casbah. Il y a une dizaine d’années de cela. Toutes les données sont au niveau des autorités concernées. Mais il n’y a rien eu depuis.

Vous savez, cela fait 40 ans que nous grattons les murs de Dar es-Soltane, avec des budgets colossaux. C’est pour cela que je reviens à la volonté politique qui est inexistante. Tout ce qui était en notre pouvoir en tant qu’association, nous l’avons fait. Pourquoi l’administration n’a-t-elle pas recensé les propriétaires ? Si nous nous l’avons fait, ils peuvent le faire aussi.

Selon vous, comment en est-on arrivé là ?

Il y a le laisser-aller de l’administration, pour ne pas dire sa complicité. L’administration a tourné le dos à La Casbah qui est quasiment devenue un ghetto. Elle se détériore chaque jour davantage. Les remèdes appropriés n’ont pas été apportés à temps. Il y a également le problème des matériaux utilisés pour retaper certaines maisons. Pour restaurer La Casbah, il faut une volonté politique, qui, selon moi, n’a pas été affichée jusqu’à présent. Je vous parle de La Casbah d’Alger, mais vous savez que toutes Les Casbahs d’Algérie, celles de Dellys, de Tlemcen ou de Constantine, qui représentent notre histoire, sont en voie de disparition. Parce que nous ne leur avons pas accordé d’intérêt. Nous avons tourné le dos à notre histoire.

Outre sa sauvegarde, pour moi il est essentiel de préserver également l’âme de La Casbah et son cadre de vie. Ses traditions, ses artisans et son cachet. Il y a des bâtisses qui arborent des fenêtres en aluminium. Tout cela est contraire à la loi. Mais où est l’État dans tout ça ? La loi 98-04 interdit de modifier les constructions ou de procéder à des extensions. Mais son application ne s’est pas faite ! À notre niveau, nous avons signalé ces maisons qui ont été restaurées avec des moyens techniques nouveaux. Cependant, je les comprends un peu, ils ne peuvent pas venir du jour au lendemain détruire les économies de quelqu’un qui a voulu protéger sa famille. Mais il y a une loi.

Nous avons tenté de préserver La Casbah avec un ancien ministre qui a étayé les maisons avec du bois blanc. Peut-être a-t-elle sauvé la cité en faisant cela ? Mais ce n’était que provisoire ! Dernièrement aussi, des personnes sont venues retirer la faïence des fontaines. Celle qui existait avait des siècles ! Sincèrement, nous ne comprenons pas la démarche des autorités. On a également refait le dallage des escaliers, lequel est complètement décalé. Actuellement, sur les réseaux sociaux, des visites guidées de la Casbah sont proposées, moyennant 1 000 ou 2 000 DA. Tout cela doit être géré et organisé par l’État. Je suis pour le tourisme, mais pas dans ces conditions. Il faudrait ouvrir une école de tourisme et de guide, qu’on pourrait domicilier.

Vous avez dit qu’il n’y avait pas de volonté politique pour préserver La Casbah. Pensez-vous que même avec ce projet de réhabilitation qui coûtera 26 milliards de dinars, les choses resteront les mêmes ?

Nous ne savons pas si cette personne est venue spécialement pour restaurer La Casbah ou toute la baie d’Alger. Je voudrais aussi parler des architectes algériens, qui auraient dû se soucier de La Casbah bien avant. Ils ont lancé une pétition mais elle aurait dû être faite il y a un an ou vingt ans ! Je n’ai pas le droit au chapitre, mais eux c’est leur métier. Y a-t-il eu un architecte qui a élevé une protestation sur la démolition de La Casbah ?

Si vos propositions avaient été prises en considération, aurait-on pu sauver La Casbah ?

Nous aurions sauvé La Casbah, mais partiellement. Nous n’avons pas la prétention d’être parfaits. Nous n’en serions pas là s’il y avait une volonté politique.

Par Yasmine AZZOUZ