Dans cet entretien, l’expert aborde les raisons du retard de l’Algérie dans les technologies de l’information et de la communication, l’importance du choix de la 4 G pour l’Algérie. Il suggère des pistes pour réduire la facture numérique dans le pays, c’est-à-dire permettre en particulier l’accès de la grande majorité des Algériens à l’internet à haut débit.
Liberté : Comment analysez-vous l’évolution du marché de la téléphonie mobile en Algérie ?
Ali Kahlane : De pénurie au début des années 2000, le marché du mobile a explosé – grâce à l’ouverture du marché aux opérateurs privés – pour atteindre un taux de pénétration de plus de 95%, additionné au téléphone fixe cela donne une télédensité globale de 104%. Nous vivons pourtant un ralentissement important de cette croissance qui est due, en grande partie, à l’incertitude de ces dernières années. Djezzy a essuyé une vague impressionnante de désabonnement en 2009-2010. Le retard pris et les tergiversations constatées dans le choix entre la 3G et la 4G, les hésitations et les faux départs dans le lancement du cahier des charges ont encore plus exacerbé cet état de fait. La guerre des prix qui s’en est suivi a littéralement plombé l’indice de croissance trimestriel qui est passé de 3,5% en juin 2009 à 0,5% (Informa Telecoms & Media). Si le problème de Djezzy est réglé, si le cahier des charges de la Nouvelle Génération est effectivement lancé, si le trois opérateurs sont prêts et si la bonne bande passante Internet pour le haut débit mobile est disponible d’ici juin 2012, nous renouerons très vite avec la croissance sachant que l’Internet mobile seul, devrait générer au moins 3 milliards USD par an dès 2013. (Étude Interne, AAFSI Déc. 2011). Le lancement de nouveaux services innovants stimulera la demande pour l’Internet mobile. Il changera fondamentalement l’approche marketing. Le champ de bataille des opérateurs, pour améliorer leur revenu moyen par utilisateur (Arpu), n’aura plus comme base le coût à la minute mais la qualité de la connexion Internet mobile et surtout le contenu qu’ils offriront ou pas.
Le choix par l’Exécutif de la 3G au lieu de la 4G vous semble-t-il pertinent ?
Contrairement à la décision prise, le choix aurait dû être la 4G/LTE, pour au moins quatre raisons. Primo, la 3G est obsolète par rapport à l’échelle de l’évolution des technologies. (La Libye l’a adoptée en 2006 et le Maroc en 2007). Deuxio, le saut technologique rendra possible le haut et très haut débit mobile. Tertio, les trois opérateurs seraient au même niveau de préparation. Quarto, la 4G/LTE élargie à l’ensemble des opérateurs (fixes, mobiles et sans fil), permettrait le développement de contenus et de services à valeurs ajoutées.
Le coût des investissements de départ pourrait être rapidement amorti par la mise en place de partenariats avec des opérateurs virtuels (MVNO) notamment pour les mobiles intelligents (smartphones ou tablettes). Autant de créations d’entreprises dans l’innovation et plus d’emplois de haute technicité qui contribueront à garder nos diplômés chez nous et pourquoi pas, encourager ceux qui sont partis à revenir… investir chez eux.
Comment expliquez-vous le retard de l’Algérie dans le secteur des TIC, notamment l’accès à l’Internet à haut débit ?
Les TIC algériennes, toutes formes confondues, ont exactement 50 ans. Ramené à l’humain c’est, parait-il, l’âge des miracles. Il y en a eus ! Notre première connexion à l’Internet date de 1991, bien avant certains grands pays. Nous avons déréglementé les télécommunications en temps et en heure. La téléphonie mobile a été un succès sans précédent. L’ASDL est lancé au même moment que les pays développés. L’État consent des sommes colossales pour le développement des TIC. Les textes et les lois favorisant l’entrepreneuriat dans les TIC et mettant en place diverses facilitations sont légion. Ce sont les faits, ce sont des réalisations et actions constatées et elles sont très encourageantes ! Les statistiques de l’UIT, de la Banque mondiale ainsi que les classements des différents observatoires mondiaux nous rappellent obstinément que nous sommes classés parmi les derniers en ce qui concerne nos performances dans le développement et l’utilisation des TIC. Si on excepte la téléphonie qui concourt à notre PIB à hauteur de 3.15%, les technologies de l’information (informatique et l’Internet) ne le sont par contre qu’à hauteur de 0.45%, selon l’analyse que l’on fait des chiffres communiqués par le MPTIC (Étude Interne, AAFSI Déc. 2011). Ce sont aussi des faits, ce sont les résultats obtenus et sont malheureusement beaucoup moins encourageants.
Depuis l’Engagement au SMSI de Tunis en 2005 et l’élaboration Programme e-Algérie en 2008, trois (3) années se sont écoulées, aucun des objectifs stratégiques de base n’a été atteint. Notamment l’appropriation des TIC d’une part et le développement de l’économie basée sur la connaissance d’autre part. La première raison est le manque de gouvernance de ce programme. Entendez par là, une gestion administrative du programme, nourrie par une bureaucratie sans aucune prise avec le terrain. Ce programme aurait dû être donné à une structure indépendante et supra ministérielle, relevant de la plus haute autorité de l’État, dont elle aurait la délégation. Cela démontre qu’il n’y malheureusement pas une volonté politique ni d’injonction des hautes autorités de notre pays pour réaliser ces projets. La deuxième raison de l’échec de ce plan, aussi paradoxale que cela puisse paraître c’est le déficit de communication et de concertation entre ceux-là même qui en avaient la charge! Largement sollicités lors de sa rédaction mais largement ignorés lorsqu’il fallait passer à la réalisation. Certes des actions ont été réalisées, le Faudtic, le 2Rstic, le Cyber-parc, la Commission nationale du haut débit, en sont des exemples et autant de signes d’un sursaut et vont dans le bon sens. Mais ils ne sont pas suffisants vu la déliquescence qui a prévalu dans ce secteur depuis si longtemps.
Du point de vue de la préparation de la stratégie, la théorie et l’aspect purement scientifique de l’étude, l’ont emporté sur le pragmatisme et le bon sens.
Du point de vue de la mise en œuvre des TIC ; la politique l’a emporté encore une fois sur la technique.
Beaucoup d’Internautes se plaignent des lenteurs dans la connexion à Internet. À quoi est dû ce phénomène ? Quelles solutions préconisez-vous pour remédier à cette carence ?
L’Internet est d’une manière globale lent dans le monde entier, il est victime de son succès. Les infrastructures sont débordées et leur mise à niveau va moins vite que le nombre de personnes.
Ceci dit, des problèmes techniques ou apparentés peuvent en rajouter. Un câble téléphonique de mauvaise qualité ou trop long. Des virus. Une machine qui “rame”. Un modem/routeur Wifi défectueux ou dont la connexion est piratée par le voisinage ou encore, tout simplement des serveurs web qui traînent car trop sollicités. Rappelez-vous les difficultés d’accès au serveur de l’Office du Bac l’année dernière, juste après l’annonce des résultats.
Savez-vous aussi que nous sommes tributaire des Américains du Nord qui, en se réveillant, vers 13h-15h, nous siphonnent de la capacité ? Cela est une autre raison, pernicieuse car rarement évoquée. En règle générale, 50% du trafic Internet mondial transite par les USA et 80% de nos connexions passent par ce pays. Ce détour contribue aussi aux ralentissements de notre connexion car nous utilisons à 99,50% de la bande passante internationale.
Tentez cette expérience ; lancez un site web, en .DZ, hébergé en Algérie. Son affichage serait quasi instantané, il ne consommerait aucune part de bande passante internationale. Il ne transiterait pas par l’étranger. Le gain serait alors multiple, nous consommerions algérien, nous ferions des économies de devises, et surtout nous promouvrions le contenu algérien tout en améliorant la sécurité de nos sites web. Pour amorcer notre indépendance vis à vis de la bande passante étrangère, la mise en place d’un véritable Point d’interconnexion de l’Internet en Algérie (GiX) serait le bienvenu dans les meilleurs délais possibles. Il reste que l’un des plus gros consommateurs de capacité est l’utilisation extraordinaire de la vidéo. Elle représente, d’après Cisco, 40% du contenu de l’Internet. L’équipementier prévoit qu’elle dépasserait les 60% d’ici 2015. Pour y remédier une tarification graduée et qui serait fonction du type et du volume d’utilisation devrait être mise en place pour ne pas pénaliser les bons internautes.
Enfin, il utile de rappeler qu’Algérie Télécom met à la disposition de l’Internaute plus de 70 gigabits/s. Cela donne six fois plus de bande passante qu’en 2005, au lancement de l’ADSL. La moyenne chez nos voisins n’est que de 50 gigabits/s avec plus de connectés que nous. Le déficit de capacité ne semble pas être la cause principale de cette lenteur.
Une meilleure connexion à l’Internet est nécessaire vu la progression de la demande en connexion et l’avènement de l’Internet mobile. Il faut plus de moyens à Algérie Télécom pour notamment accélérer l’installation de la fibre optique (FTTH) et fournir le Triple Play. L’État devrait favoriser l’émergence de nouveaux opérateurs Internet pour une meilleure concurrence, aider ceux qui opèrent déjà, les soutenir pour surmonter un écosystème malheureusement hostile, ce qui permettra d’encourager la création d’entreprises capables de haute technologie et de richesse.
Comment voyez-vous les perspectives d’évolution de la téléphonie mobile et de l’Internet en Algérie à moyen terme, en particulier nos chances de réduire rapidement la facture numérique enregistrée dans le pays.
Pour réduire la fracture, il nous faut trois choses. Simplifier l’accès aux équipements et services, avoir une bonne régulation et disposer d’une meilleure connectivité.
Les résultats d’une récente enquête de Med&Com, éditeur du magazine N’TIC, sur un échantillon de consommateurs de mobile algérien montre que les smartphones sont utilisés par 45% des abonnés dont près de la moitié utilise l’IPhone d’Apple. Pour se connecter à l’Internet, 80% des sondés envisagent d’acquérir un smartphone de dernière génération et seraient prêts à utiliser aussi leur Laptop/PC via une clé USB. Enfin 60% des questionnés auraient préféré aller directement à la 4G/LTE plutôt que de passer par la 3G. Cela montre deux choses : que le sondé est prêt pour l’Internet mobile, la deuxième est qu’il est prêt à investir. Ce dernier serait content d’apprendre qu’une tendance à la baisse des prix des smartphones a été constatée au Congrès mondial du mobile tenu à Barcelone la semaine dernière où un prix cible de 50 USD a même été annoncé pour l’horizon 2014-2015.
Améliorer, simplifier et optimiser l’utilisation de la téléphonie mobile par et pour le citoyen tout en le protégeant est une des missions de l’ARPT. Nous suggérons que l’Autorité impose l’itinérance nationale ou roaming national à tous les opérateurs. Elle permettrait à l’abonné d’utiliser n’importe quel opérateur avec sa propre puce. Il pourrait joindre et être joignable partout, “Vous êtes hors champ” serait un message du passé.
Tout comme les fréquences, les numéros de téléphone mobile n’appartiennent pas aux opérateurs, mais à l’État, donc au citoyen tant qu’il en paie le prix. Une autre décision serait de permettre la portabilité du numéro. Garder son numéro quoi qu’il arrive est une liberté de choix qui doit être accordée naturellement au citoyen. Cela mettrait en place et développerait une concurrence effective entre les opérateurs mobiles tout en en supprimant les entraves. L’opérateur réalise actuellement environ 200 000 nouvelles connexions à l’ADSL par an. Il totalise
960 000 connectés. Même si toutes les 3,1 millions de lignes fixes, y compris la boucle locale radio (téléphone sans fil, WLL) sont utilisées pour l’Internet, il paraît difficile d’atteindre les 6 millions de connectés, objectif qui avait été annoncé en 2005, par le président de la République pour être réalisé en 2010. Le MPTIC déclare pouvoir atteindre ce chiffre vers 2014/2015.