Un fonds documentaire appartenant à M. Ali Haroun, ancien dirigeant de la Fédération FLN de France, sera incessamment remis aux Archives nationales.
Ce lot d’archives comprenant 117 témoignages et 106 rapports manuscrits sur les manifestations du 17 Octobre 1961 à Paris permettra aux chercheurs et historiens d’évoquer cette journée tragique sur la base de faits relatés par des Algériens établis en France qui ont participé à cette manifestation pacifique, ainsi que des comptes rendus des responsables de ce qu’on appelait la “septième wilaya”.
L’annonce a été faite jeudi au Forum d’El Moudjahid par maître Ali Haroun qui a, par la même occasion, animé une conférence sur cette journée que la France veut porter disparue. Mais il faut dire qu’un travail colossal a été réalisé à titre gracieux par Media Marketing. Ce travail, comme l’a souligné son premier responsable M. Youcef Aggoun, est en fait un pré-archivage. Il a consisté en la numérisation de ces archives pour les préserver des aléas du temps. Aussi, une sélection des témoignages et des rapports , dont certains datant du mois de septembre 1961 qui font état des dépassements de la police de Maurice Papon bien avant le 17 octobre, compilés dans un CD, ont été remis aux représentants de la presse nationale.
Des policiers républicains témoignent
Parmi les documents numérisés, on cite la déclaration d’un groupe de policiers républicains datée à Paris le 31 octobre 1961, où on peut lire : « Ce qui s’est passé le 17 octobre et les jours suivants contre les manifestants pacifiques, sur lesquels aucune arme n’a été trouvée nous fait un devoir d’apporter notre témoignage est d’alerter I’opinion publique. Nous ne pouvons taire plus longtemps notre réprobation devant les actes odieux qui risquent de devenir monnaie courante et de rejaillir sur le corps de la Police tout entier. Aujourd’hui, quoiqu’à des degrés très différents, la presse fait état de révélations, publie des lettres de lecteurs, demande des explications. La révolte gagne les hommes honnêtes de toutes opinions. Dans nos rangs ceux-là sont la grande majorité. Certains en arrivent à douter de la valeur de leur uniforme. Tous les coupables doivent être punis.
Le châtiment doit s’étendre à tous les responsables, ceux qui donnent les ordres, ceux qui feignent de laisser faire, si haut placés soient-ils. Nous nous devons d’informer. Parmi les milliers d’Algériens emmenés au Parc des Expositions de la Porte de Versailles, des dizaines ont été tués à coups de crosse et de manche de pioche par enfoncement du crâne, éclatement de la rate ou du foie, brisure des membres. Leurs corps furent piétinés sous le regard bienveillant de M. Paris, contrôleur général. D’autres eurent les doigts arrachés par les membres du service d’ordre, policiers et gendarmes mobiles, qui s’étaient cyniquement intitulés comité d’accueil … ”. D’ailleurs, maître Haroun a tenu à rappeler la « gêne » provoquée par cette déclaration auprès du ministre de l’Intérieur français de l’époque, Roger Frey, le patron de la police, Maurice Papon, et le responsable de la police à Paris, qui avaient alors déposé une plainte contre X.
Sans armes et sans haine
La compilation de documents historiques comprend également un dossier établi par le ministère de l’Information du GPRA édité au mois de décembre 1961. Ce rapport compte des articles parus dans les colonnes d’El Moudjahid où sont repris les témoignages de journalistes même les plus conformistes qui ont été unanimes à souligner le caractère pacifique de la manifestation et le zèle des policiers. « Aucun policier n’a été blessé par balle, et la police qui a soigneusement fouillé les 12.000 Algériens arrêtés ce soir-là n’a trouvé sur eux aucune arme, pas un revolver ; pas un couteau », ont-il écrit. On peut également trouver des photos illustrant l’étendue du carnage commis par la police de Maurice Papon au cœur de la capitale française. Le dossier contient le communiqué publié par le cabinet de Papon contenant des décisions discriminatoires et à caractère raciste. En effet, le communiqué instaurait un couvre-feu applicable aux travailleurs algériens. Ces derniers étaient sommés de ne pas circuler dans les rues de Paris et de la banlieue parisienne de 20h30 à 5h30.
Paris 1961 : cela aurait pu être Paris 1941
Il y a aussi parmi ce lot d’archives, un rapport détaillé sur ce qui s’est passé le 17 octobre à Paris, établi par Nicole Rein, membre du collectif des avocats du FLN en France. L’avocate écrit : « On a parqué à l’époque des Juifs au Vel d’hiv pour les emmener dans les camps de la nuit dans le grand silence, l’indifférence des Français et de PARIS. En 1961, on torturait sous les ordres de PAPON, Préfet de Police, les Algériens en plein PARIS, au 25 ou 28 de la rue de la Goutte d’Or, Boulevard de la Chapelle, au 9 de la rue de Harvey, au 13 de la rue de la Charbonnière. On entendait les cris de ces hommes dans les caves, on en a jeté dans la Seine, on a tiré sur eux en pleine rue. Les Français allaient à leur travail ; les partis politiques, les associations se taisaient, c’était le règne du silence et du racisme (…) Pour tenter de cacher les tortures, on séquestrait ces hommes dans les caves puis on les emmenait au dépôt sous le Palais de Justice, et ce pendant plusieurs jour. Le 21 Février 1961, le frère de l’un de ces torturés écrivait au Président de la Commission de sauvegarde des droits et libertés : « Vous n’avez que trois étages à descendre pour constater ces faits ».»
Crime d’Etat
En présentant ces archives, Me Ali Haroun a rappelé que ce geste n’est pas le premier, car il avait remis auparavant aux mêmes Archives nationales un lot de 300 kg de documents de la Fédération de France du FLN. Par la même occasion, il est revenu longuement sur ces manifestations qui ont mis au jour le vrai visage du colonialisme. Dans sa conférence, qui a suscité l’intérêt des présents, il a qualifié la répression et les exactions subies par les Algériens de crime d’Etat, que la France refuse de reconnaître. Pour Ali Haroun, la violente réponse de la police de Papon à un mouvement pacifique est unique dans l’histoire de l’Europe de l’Ouest. 11.500 arrestations dont 500 enfants, 200 morts, le bilan est macabre. A la question d’un journaliste qui s’interrogeait sur l’authenticité des documents, Ali Haroun répond que les rapports des militants portent pour preuve des numéros indiquant leur origine (Nahia, Amala, daïra, wilaya, district et section). En rappelant que tout se faisait dans la clandestinité, l’auteur de la 7e Wilaya a mis en exergue l’impact de ces manifestations sur le plan international et la détermination de Papon à briser la Fédération FLN de France qui participait à hauteur de 80% au financement du GPRA.
Nora Chergui
Le PS demande une reconnaissance officielle par la France
Le Parti socialiste (PS) a demandé hier que la France reconnaisse officiellement les « évènements tragiques » du 17 Octobre 1961 à Paris, durant lesquels des centaines d’Algériens ont été tués pour avoir manifesté pacifiquement contre le couvre-feu discriminatoire qui leur a été imposé quelques jours auparavant par le préfet d’alors, Maurice Papon. « Le Parti socialiste demande que la France reconnaisse officiellement ces événements tragiques et facilite l’accès aux archives pour les historiens, dans un esprit de justice et de vérité », indique un communique du PS, signé par le premier secrétaire du Parti par intérim, Harlem Désir, et le secrétaire national à la coopération, à la francophonie, à l’aide au développement et aux droits de l’homme, Pouria Amirshahi. Le PS rappelle qu’il y 50 ans, les forces du préfet de police Maurice Papon « réprimaient avec une brutalité injustifiée et meurtrière une manifestation pacifique d’Algériens défendant le droit à l’égalité et l’indépendance de l’Algérie », ajoutant que le bilan fut « dramatique : plusieurs milliers d’arrestations, plusieurs centaines de morts noyés dans la Seine ou frappés à mort ». « Cette page sombre de notre histoire a longtemps été ignorée ou masquée. Il est aujourd’hui temps que notre pays reconnaisse ces faits et que les responsabilités dans les violences commises soient établies et reconnues. Il est temps pour notre pays de rendre hommage à ces victimes et à leur mémoire », indique-t-il. Pour le deuxième parti politique en France, cette reconnaissance « permettra enfin d’avancer réellement vers la pleine réconciliation entre les peuples français et algérien, essentielle pour bâtir de nouvelles relations tournées vers notre avenir commun ».