Reporters : Votre entreprise a connu dans son histoire deux étapes distinctes : celle du tout-import puis celle de l’intégration, venue après la séparation d’avec votre ancien associé. Est-ce bien cela ?
Ali Boumediene : Clairement, oui. Moi, personnellement, je n’ai jamais cru à la durabilité de l’importation des produits que nous faisons aujourd’hui. Dès le départ, je savais que le marché de l’électronique et de l’électroménager en Algérie allait changer de nature à un moment ou un autre. Je savais que des opérateurs nationaux ne tarderaient pas à l’investir et qu’il fallait construire sa propre chaîne d’assemblage, je ne me suis pas trompé. Toute ma vision depuis le début de la création de Bomare en février 2001 a été construite sur la nécessité d’avoir ici, dans le pays, un outil industriel capable de rivaliser en qualité face à la concurrence importée et de placer ses produits sur des marchés extérieurs. Si je n’ai pas encore atteint totalement cet objectif, j’estime que je n’en suis pas loin, pour peu que les conditions d’investissement continuent à s’améliorer…
Estimez-vous possible de passer à l’assemblage et à l’intégration industrielle sans passer par l’étape de l’importation ? On vous pose cette question parce que presque tous les opérateurs de la filière ont d’abord commencé par l’achat à l’étranger de produits finis…
Je ne sais pas puisqu’il existe depuis longtemps dans notre pays des entreprises publiques notamment qui sont présentes dans l’industrie de l’électroménager par exemple, mais beaucoup de grands industriels, chez nous ou ailleurs, sont passés par le commerce ou le négoce. Ce lien entre les deux étapes n’est certainement pas hasardeux. A Bomare, au temps où nous importions les produits finis, nous passions par des grossistes et des distributeurs internationaux jusqu’à découvrir qu’il était plus intéressant d’aller à la source, chez le fabricant en Corée du Sud et au Japon. C’est auprès de ces fournisseurs, et d’autres après, que nous avons pu développer des contrats de partenariat pour la mise en place d’une chaine d’assemblage de téléviseurs Stream Système puis de penser nous-mêmes à la façon d’opérer hors des frontières du marché algérien.
Votre approche export est pour le moins surprenante : quand certains ne jurent plus que par l’Afrique, vous c’est l’Europe qui vous intéresse. C’est dans des pays de cette partie du monde que vous avez développé des contrats de vente de la marque Stream Système…
Exactement, toute la stratégie d’export de l’entreprise, dont le résultat demeure encore modeste comparé à notre potentiel, s’est construite en direction du marché européen où nous avons pu développer des liens d’affaires avec des partenaires avec lesquels nous travaillons depuis longtemps maintenant. Ce sont ces liens d’affaires qui nous ont permis de nous créer une niche. Stratégiquement aussi, nous allons mobiliser tous nos moyens pour chercher à renforcer nos positions sur ce marché européen et aller vers d’autres pays que ceux avec lesquels nous continuons de travailler…
Pourquoi l’Europe alors que son marché est réputé d’accès difficile ?
La signature par l’Algérie de l’accord d’association avec l’Union européenne a été un facteur d’encouragement. Dans le protocole d’accord, une disposition indique qu’un produit intégré localement à hauteur de 40% et davantage peut être exporté vers les pays de l’UE, cela nous a beaucoup incités à tenter l’aventure et j’estime qu’elle a été une réussite.
En Espagne vers où nous exportons, nous avons développé très tôt des contacts d’affaires avec des gens sérieux qui apprécient notre savoir-faire ; avec eux les liens se sont étoffés au fur et à mesure et nous permettent d’atteindre aujourd’hui le marché portugais. En 2015, nous avons pu trouver un autre partenaire. Nous avons signé un contrat pour 50 millions de dollars avec deux services après-vente en Espagne et au Portugal. Cette année, nous avons établi un contrat avec des Italiens pour 2 millions et demi de dollars et on est en train de finaliser un contrat avec une chaîne de distribution sur le marché italien. Le partenaire devrait prendre la partie service-vente. Il est question également de reprendre une ancienne destination, la Grèce où les activités économiques et commerciales commencent à reprendre après la crise.
Qu’en est-il du marché africain ?
Il n’y a pas un marché mais des marchés africains car tous les pays du continent n’ont pas la même santé et les mêmes réalités économiques. Quoi qu’il en soit, la destination africaine n’est pas une priorité pour l’instant. Il y a des paramètres qu’il s’agit de maîtriser, quand ils le seront on ira vers ses marchés. La priorité, pour nous, c’est de garder notre niche sur nos marchés en Europe et continuer d’y placer nos produits et les faire apprécier davantage par nos clients. J’estime que c’est la meilleure façon de se préparer à des marchés du continent notamment en Afrique de l’Ouest.
Car un produit garanti de consommation en Europe, une place mondiale où on ne badine pas avec les normes, est la meilleure garantie d’accès à des marchés africains désormais habitués aux grandes marques internationales ; vous savez, le consommateur en Afrique, c’est comme le consommateur algérien au début des années 2000, il est encore réticent aux produits qui ne sont pas portés par les grandes marques mondiales. Il s’agit de le mettre en confiance par la qualité de notre production et le ticket européen, si je puis m’exprimer ainsi, est un atout important.
On parle de la Mauritanie comme d’un marché à saisir par les opérateurs algériens, pourtant vous n’y êtes pas allés à l’occasion de la grande manifestation organisée récemment sous les auspices du département du Commerce. Pourquoi ?
La Mauritanie est un petit marché de 40 000 téléviseurs par an. Il est d’autant moins attractif que c’est un marché où la vente d’occasion est encore une pratique importante. Il doit être intéressant pour d’autres filières, mais pas pour l’électronique et l’électroménager, du moins en l’état actuel. Pour y accéder, il faut en outre vingt jours de route dans des conditions difficiles. D’après les échos, la partie administrative reste très compliquée en free zone.
Si les problèmes de transport et de logistique, qui restent lourds et coûteux à gérer, sont réglés, la Mauritanie pourrait être une plateforme d’accès à des pays plus intéressants comme le Nigeria, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, voire le Cameroun où il faut avoir des partenaires et à destination desquels il faut mettre en place une véritable rotation. Mettre trente jours pour faire parvenir des containers au Nigeria, ce n’est pas jouable. Pour les marchés africains, j’estime qu’on est encore en phase de test et qu’il faut faire attention aux garanties d’efficacité économique sur place. Les perspectives sont cependant intéressantes et la mise en service du parcours Alger-Lagos par exemple, pour ce qui est de la transsaharienne, lèverait une part importante des obstacles.
Et si on parlait du marché national de l’électronique et des téléviseurs en particulier ?
Il reste parmi les plus grands marchés en Afrique avec près de deux millions d’appareils vendus. Ses atouts sont que le consommateur algérien préfère aujourd’hui acheter une marque locale, notamment la nôtre en raison de la qualité et du service après-vente que nous offrons à notre clientèle. Pour ceux qui connaissent l’histoire de ce marché, c’est révolutionnaire ! Il y a quelques années le produit made in Algérie faisait fuir parce qu’il n’inspirait pas confiance et qu’il se présentait sous un aspect repoussant, aujourd’hui il est partout dans les grandes surfaces et sur les étals des revendeurs.
Ses inconvénients, il commence à montrer des signes de tassement et je pense qu’il ne dépassera pas pendant quelques années la barre des deux millions de produits vendus. Il reste quand même plus important que celui de Tunisie et du Maroc, mais loin derrière les marchés européens : en Allemagne, c’est 12 millions de produits vendus chaque année ; en Espagne, c’est 3, 5 millions, en Italie c’est 4, 5 millions et en France c’est autour de 5 millions. Pour nous, il faut rivaliser en qualité et en compétitivité pour gagner des parts dans ces marchés-là et c’est là toute notre stratégie à court et moyen termes.
Pour terminer, pouvons-nous avoir quelques indications clés concernant votre entreprise ?
Bomare détient 9% de parts de marché en Algérie avec une marge de progression constante. La part de l’export est de 5 à 10% avec l’ambition d’atteindre les 20% en 2019 et 50% en 2021. En attendant la confirmation des chiffres, je pense qu’on va clôturer l’exercice 2018 avec un chiffre d’affaires de 10 milliards de dinars. Pour l’intégration dans le segment des téléviseurs, l’objectif est d’atteindre les 75% à l’horizon 2021. Pour ce faire, un investissement de 50 millions de dollars a été consenti pour renforcer nos capacités de production.
Pour les smartphones où l’ambition était de réaliser 18 à 20% de taux d’intégration, l’ambition est beaucoup plus mesurée parce que c’est un marché encore difficile, encore impacté par l’occasion. Mais le potentiel sur ce segment est formidable : le smartphone est en train de concurrencer déjà le PC de bureau pour bientôt le remplacer, les occurrences et les connexions technologiques qu’il offre à taille réduite sont tellement importantes qu’il va éclipser tous les produits d’usage informatique que nous connaissons dans nos foyers et lieux de travail ordinaires.