La prochaine élection présidentielle se singularise par une kyrielle de candidats expatriés qui pose la question de l’intégration des compétences politiques venues de l’étranger. Que doit-on penser, à l’heure où l’Algérie importe de tout, absolument de tout, même ses mosquées ? Doit-on pour autant importer aussi un Président ?
Pour certains, c’est déjà fait…
Aussi, les motivations sont disparates. Nombre de binationaux veulent, semble-t-il, aujourd’hui, faire profiter leur pays d’origine de leur expérience à l’international. Ce qui est, convenons-en, fort acceptable même si l’opinion nationale est habituée à un discours nationaliste ombrageux qui ne cesse de ressasser le fait que la nationalité algérienne a été arrachée de haute lutte. C’est pourquoi ces candidats devront redoubler d’astuces pour convaincre un électorat exaspéré par moult manipulations. “Personne ne se plaint que la plupart des joueurs de l’équipe nationale portent une autre nationalité que leur maillot aux couleurs algériennes. C’est parce que, tout simplement, ils ramènent du succès et de la joie aux Algériens”, s’est défendu, hier, Ali Benouari, expert financier de réputation internationale, citoyen algéro-suisse et non moins candidat déclaré à la prochaine élection présidentielle en Algérie. S’agissant de “l’écueil” de l’article 73 de la Constitution qui, selon plusieurs interprétations, empêcherait sa candidature, Benouari se veut optimiste : “C’est un problème de forme, une contradiction que le Conseil constitutionnel devra lever.” Il rappellera, à ce sujet, que la confusion due au terme “exclusivement” contenue dans une disposition constitutionnelle avait permis au FIS dissous d’obtenir son agrément.
D’un autre côté, la loi fondamentale interdit formellement l’utilisation de la religion à des fins politiques. “Aujourd’hui, je ne demande que l’application de la Constitution, toute la Constitution, rien que la Constitution !” Il s’empressera, toutefois, de préciser qu’il est prêt à renoncer à la nationalité suisse et de se conformer, le moment opportun, à la loi algérienne mais, d’après lui, “ce serait bien dommage”. Car, il vise à travers sa candidature à changer le regard des autres sur
l’Algérie.
Il faut dire que l’invité du forum de Liberté s’est montré hier d’un réalisme plutôt rassurant : “Je suis presque sûr que je vais échouer, mais ma candidature est une responsabilité que j’assume. Si l’opinion est sensible à ma candidature, ce sera une avancée formidable. Cela m’aura permis de mettre sur la table quelques instruments de réflexion.” Le candidat à la magistrature suprême ne se fait pas d’illusions. Pour lui, l’Algérie est un pays trop replié sur lui-même et qui n’assume pas assez les ambitions dues à son rang. D’où l’impérieuse nécessité de “s’ouvrir au monde, sur la modernité et de se débarrasser de vieux a priori”. Pour l’ancien ministre du Budget, les gens continuent à croire à l’homme providentiel alors que le problème de l’Algérie n’est pas une question d’hommes, mais de système : “La corruption et le retard de développement en Algérie ont des causes institutionnelles. Ce n’est pas la faute à Ben Bella ou à un autre…” Peu vindicatif, Benouari ne veut faire le procès de personne : “En 51 ans, nous avons essayé beaucoup de choses, il n’est pas question de savoir qui a échoué ou qui a réussi.” Pour lui, le devoir des anciennes générations n’en reste pas moins de “préparer la voie aux jeunes qui, eux, piaffent d’impatience”. C’est pourquoi la réforme du mode de scrutin est, d’après lui, inévitable. Le candidat à un “mandat unique” préconise, ainsi, un “one shot”, en d’autres termes, une élection à un seul tour. “Il s’agit de figer les choix de la société, dégager une coalition et trouver, enfin, un compromis pour gouverner.” D’après lui, l’expérience a démontré qu’au deuxième tour, ce sont toujours les islamistes qui l’emportent face au candidat laïc ou issu de l’ancien parti unique.
D’après lui, les voix des mécontents, des nihilistes et autres partisans de la violence profitent toujours aux islamistes pour remettre en cause, par la suite, l’ensemble du processus. Sur ce point précis, Ali Benouari n’hésite pas à revenir sur les “élections propres et transparentes” de 1991 et de faire une révélation : “Peu de gens le savent, mais le gouvernement de l’époque avait voté l’interruption du processus électoral.” Il regrette même, sur ce chapitre, que certains pays voisins en proie au printemps arabe (ou islamiste) n’aient pas pris exemple sur l’Algérie.
Ceci dit, l’orateur ne prétend pas détenir la panacée. “Moi, je n’ai rien inventé : en Israël, un État théocratique s’il en est, les religieux sont écoutés mais ils n’ont jamais gouvernés. Il faut donc trouver des mécanismes et des garanties. Il faut surtout amener les Algériens à débattre et à discuter entre eux, mais pas dans la rue ou encore dans les djebels.”
L’enjeu est important. L’objectif est de surmonter par les actes et non par les mots, l’égoïsme individuel ou de groupe. Benouari trouve même matière à satisfaction dans l’expérience politique algérienne : “On ne diabolise plus les islamistes et eux, ne diabolisent plus les démocrates.”
Dévaluer le dinar, une maladie honteuse
Invité à émettre des appréciations sur son domaine de prédilection, à savoir la finance, l’ancien ministre du Budget se dit effaré par l’actuelle conduite des affaires. “Dévaluer la monnaie sans l’avouer relève d’une maladie honteuse. Pourtant, les dirigeants devront bientôt l’assumer car c’est le seul moyen à court terme pour freiner les importations, diminuer l’inflation importée et éviter un cycle de revendications salariales sans fin.” Bien informé, Benouari sait qu’au nom de la stabilité, l’argent coule à flots en Algérie où chacun joue, aujourd’hui, des coudes pour en profiter. Mais, pour lui, “la richesse n’est pas l’argent, la richesse c’est le développement”. De ce point de vue, l’Algérie est, selon lui, bel et bien pauvre.
En réalité, l’expert ne fait que rappeler là une cruelle évidence : comme on ne produit rien, le pouvoir d’achat se transforme en biens importés, un cercle vicieux qui va créer de l’inflation et, donc, fatalement du mécontentement. Assurément, pour lui, l’Algérie serait un bien curieux pays capitaliste qui continue à tout subventionner : “Améliorer le pouvoir d’achat donne, certes, de l’espoir, mais ne prépare aucunement l’avenir. En Algérie, on subventionne tout et n’importe quoi. Subventionner du blé qui, transformé en pain, finit ensuite en aliment de bétail. Subventionner du lait pour permettre à une multinationale bien connue de fabriquer du yaourt. Subventionner du carburant qui pollue et qui rend la vie invivable. Mêmes nos riches sont subventionnés. Ce qui est tout de même un comble !” Ceci dit, l’urgence pour Benouari est de changer la gouvernance politique dont la résultante, notamment économique, est aujourd’hui désastreuse. Il parle, ainsi, d’“une politique démente qui produit du malaise : avec le tout-hydrocarbures et l’extraversion de l’économie, nous sommes à la merci d’un choc externe qui pourrait être pire que celui de 1986. Le Peak oil ne va pas tarder et nos ressources énergétiques vont se tarir”, prévient-il.
Interrogé, en outre, sur le principe de la “non-ingérence” qui constitue, faut-il le rappeler, le socle doctrinal de notre politique étrangère depuis 1962, Benouari se montrera plutôt évasif tout en soulignant que l’Algérie, dans sa volonté de puissance, devrait pouvoir ramener ses droits “où qu’ils se trouvent”. Assez explicite, il n’en dira pas davantage. Le candidat plaide également pour un recentrage du rôle de l’armée.
“Le respect du principe de bon voisinage doit constituer notre meilleure défense.” Pour le candidat Benouari, l’Algérie a surtout pour vocation à rayonner et, à ce titre, elle a des responsabilités particulières : “Notre destin est d’être une plaque tournante. On est au cœur du Maghreb, un ensemble qui ne se fera jamais sans nous. Même si ce terme est, pour moi, très galvaudé, je reste un chantre du Maghreb. Pour oublier les échecs passés, on devrait plutôt parler, aujourd’hui, d’Afrique du Nord. Un ensemble régional qui pourrait intégrer l’Égypte et constituer, ainsi, une force gigantesque”.
S’agissant, enfin, de la blague douteuse du président français, François Hollande, au sujet de la sécurité en Algérie, Benouari qui craint fort que “l’Europe nous satellise” se contentera de répondre que “si nous n’étions pas faibles, on serait respectés”.
M.-C. L