Principal adversaire du président Abdelaziz Bouteflika qui brigue un quatrième mandat, Ali Benflis a accordé une interview exclusive à FRANCE 24 dans son quartier-général électoral. Il défend son projet pour une Algérie qu’il juge « en panne ».
Après une longue absence de la vie politique algérienne, Ali Benflis endosse cette fois le rôle de principal opposant au président Bouteflika qui brigue un quatrième mandat à la présidentielle du 17 avril.
En 1999, il dirigeait la campagne présidentielle d’Abdelaziz Bouteflika et devient ensuite son Premier ministre. En 2004, il rentre en dissidence et se présente à l’élection présidentielle. Il avait dénoncé une fraude massive après avoir récolté 6,42 % des voix.
Maintenant âgé de 69 ans, Ali Benflis a prévenu à plusieurs reprises que la fraude serait de nouveau son « principal adversaire » lors du scrutin. Il déclare disposer de 60 000 observateurs qui seront chargés de surveiller les bureaux de vote.
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FRANCE 24 : Vous avez déclaré que la fraude était votre principal ennemi. Quelle est votre stratégie pour l’éviter ?
Ali Benflis : Ma stratégie anti-fraude a été d’abord de m’adresser à tous les Algériens. Je l’ai fait durant la période électorale qui a duré 21 jours. Je me suis déplacé dans toutes les villes du pays, attirant l’attention des Algériennes et des Algériens sur ce qui nous attend, la fraude générale et généralisée. Je leur ai dit de choisir des observateurs dans tous les bureaux de vote et attiré l’attention des fonctionnaires en charge de l’opération électorale pour leur rappeler leur devoir de neutralité. Lors de la présidentielle de 2004, j’ai déclaré que le grand vainqueur était la fraude et le grand perdant, la démocratie. En revanche, ce qui est nouveau en 2014, c’est que les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas ceux de l’époque et ils n’accepteront pas facilement le fait accompli de la fraude.
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Quel bilan faites-vous des quinze années de Bouteflika ?
J’étais au pouvoir trois années à ses côtés et j’assume cette période. Pour le reste, l’Algérie est en panne sur le plan économique, les institutions sont décriées. Le bilan sur le plan social est mauvais. Regardez nos hôpitaux, ce sont des mouroirs. L’école, quant à elle, attend d’être reformée. Les programmes et les classes sont surchargés. Les enseignants ne disposent pas d’outils de travail et quand ils protestent, on dresse contre eux les forces de police.
Sur le plan institutionnel, quelle institution fonctionne en Algérie ? L’Assemblée nationale a été transformée en lieu de soutien pour le président de la République, alors qu’une institution aussi importante devrait être épargnée des luttes partisanes. L’État ne peut être politisé. Or, l’Assemblée s’est transformée en comité de soutien au président Bouteflika. La Cour des comptes est gelée, le contrôle de la dépense publique aussi. Les partis politiques sont déstabilisés. Un seul syndicat est reconnu officiellement [Union générale des travailleurs algériens]. La presse est marginalisée et souffre d’un manque criant d’indépendance. Voici donc le bilan de Bouteflika. Une Algérie qui se cherche, en panne. C’est à cette Algérie que j’offre un projet salvateur, libérateur. Un projet qui ne comprend ni chasse aux sorcières ni revanche. Je suis porteur d’un projet rassembleur, de consensus national. Je veux mettre en place une constitution consensuelle qui n’exclura personne, sauf ceux qui prônent ou utilisent la violence.
En cas de victoire le 17 avril prochain, quelles sont les premières mesures que vous prendriez ?
Je voudrais d’abord réunir autour de la même table tous les acteurs politiques et de la société civile en vue d’arriver à un consensus national sans exclure personne. On nous dit qu’il y a des citoyens de première et seconde zone. Ceux qui bénéficient de la pleine citoyenneté et ceux qui sont exclus de la possibilité de jouir de leurs droits civiques et politiques. Tout cela sera fini. L’Algérie appartient à tout le monde. Elle doit garantir la citoyenneté à tous ses citoyens. Je suis contre l’exclusion, la marginalisation. Je suis pour le rassemblement de tous pour une Algérie de tous, servie par tous et qui fera vivre tout le monde.
Vous avez également parlé d’un « plan B » le soir du 17 avril (ou le lendemain) si vous estimiez qu’il y’avait bourrage des urnes. Que contient exactement ce plan ?
Je n’ai jamais évoqué un « plan B ». J’ai dit que j’allais à l’élection et que le peuple algérien est suffisamment mûr pour faire son choix. Si une fraude massive et généralisée était avérée, je ne me tairai pas.
Pensez-vous que la réélection de Bouteflika pour un quatrième mandat peut déstabiliser l’Algérie ?
Je n’ai pas de commentaires à faire. J’offre un programme salvateur pour l’Algérie. J’ai visité 48 villes du pays et expliqué ce programme. Des centaines de milliers de personnes sont venues assister à mes meetings et écouté mon programme. J’attends donc sereinement l’élection le 17 avril.
Si vous êtes élu, quel type de coopération comptez-vous mettre en place entre l’Algérie et la France ?
La relation algéro-française est importante. La France doit assumer son passé. L’Algérie le sien aussi. Je suis pour une relation apaisée. Si je suis élu, l’Algérie sera un partenaire écouté et crédible.
C’est la deuxième fois que vous vous présentez à une élection présidentielle. En 2004, vous avez eu 6,40 % des voix. Ne craigniez-vous pas un scénario semblable ?
En 2004, c’est la fraude qui a gagné. Aujourd’hui, la jeunesse aspire au changement. La présidence à vie c’est terminé. La présidence par héritage, aussi. Il faut que l’Algérie avance et elle ne peut le faire que si elle fait des progrès en matière de démocratie, des droits de l’homme et en optant pour une économie libérée et libéralisée.
On ne peut pas avancer avec des idées anciennes. Les Algériens veulent une économie alternative avec des secteurs forts tels que l’agriculture, l’industrie ou le tourisme. Ces trois piliers peuvent remplacer une économie basée totalement sur les hydrocarbures. Je m’engage à ce qu’à la fin de la prochaine mandature, le budget de l’état algérien soit financé à raison de 50 % par la fiscalité pétrolière et 50 % par la fiscalité ordinaire. Ce qui n’est actuellement pas le cas puisque notre budget est financé à 70 % sur la base des hydrocarbures.