Intervention de M. Ali Benflis, Président de Talaie El Houriyet devant les secondes assises de l’opposition nationale.
Monsieur le Président
Mesdames et Messieurs,
Il y a de cela près de deux années, nous répondions tous ensemble à l’appel du devoir national et nous assumions nos responsabilités nationales en proposant au peuple algérien une vision, une démarche et des mesures de nature à contribuer à sortir notre pays de la grave crise de régime à laquelle il est confronté. Nous avions alors présenté à notre peuple le visage d’une opposition nationale unie, d’une opposition porteuse d’une contribution réaliste et praticable et d’une opposition nationale responsable invitant à un dialogue national rassembleur permettant à notre pays d’emprunter la voie du changement ordonné, graduel et apaisé.
C’est à ce même appel du devoir national et à la même détermination d’assumer nos responsabilités nationales que nous répondons aujourd’hui dans le cadre de ces secondes assises de l’opposition nationale. Le régime politique en place et ses clientèles de toutes sortes ont multiplié les entraves sur notre chemin ; ils nous ont poursuivis de leurs harcèlements continus ; ils ont porté contre nous des accusations qui ne les honorent pas, des accusations honteuses et des accusations qui en disent long sur la conception pervertie que le régime politique a du pluralisme politique et du rôle légitime de l’opposition dans le système politique national.
Ce régime politique a parié sur notre isolement mais notre action a gagné en portée et en ampleur ; il a parié sur l’éclatement de nos rangs mais nous demeurons une force politique unie ; il a parié sur notre découragement mais l’opposition nationale est toujours là plus déterminée que jamais ; il a espéré que notre message politique se dissipe et se perde mais notre message politique s’est ouvert sa voie vers ses premiers destinataires, en l’occurrence nos concitoyennes et nos concitoyens.
Nous avions à raison diagnostiqué depuis deux ans une crise de régime dans son sens politique comme dans son sens constitutionnel. Cette crise de régime a connu depuis lors une profonde dégradation qui fragilise et affaiblit l’Etat national, menace l’unité et l’harmonie de la Nation et met en péril la stabilité de notre société.
Au plan politique les manifestations de cette crise de régime sont perceptibles et connus :
- Il s’agit de la vacance du pouvoir qui perdure ;
- Il s’agit du vide au sommet de l’Etat dont ont tiré avantage des forces extra- constitutionnelles pour s’accaparer du centre de la décision nationale ;
- Il s’agit des contradictions et des divergences d’intérêts entre ces forces extra- constitutionnelles qui ont conduit à la dislocation du centre de la décision nationale ;
- Il s’agit de l’illégitimité et de la non représentativité de toutes les institutions de la base au sommet ;
- Il s’agit d’institutions et d’une administration publique en situation de désarroi et de quasi –cessation d’activité alors que s’accumulent devant notre pays les défis politiques, économiques et sociaux.
- Il s’agit, enfin, d’une révision constitutionnelle qui a laissé intacte et sans réponse la crise de régime et dont le seul acquis notable a été de permettre au régime politique en place de persister dans son déni des réalités, de poursuivre sa fuite en avant et de continuer sa quête de pérennité et de survie.
Au plan économique, notre pays est confronté à une crise économique d’une gravité exceptionnelle. Avant d’être le révélateur d’un échec et d’une faillite économiques, cette crise est l’expression d’un échec et d’une faillite politiques.
Je ne souhaite pas m’appesantir sur toutes les données avérées et solidement établies de cet échec et de cette faillite économiques. Elles sont trop connues pour qu’il soit utile ou nécessaire de les rappeler.
Permettez-moi néanmoins de souligner, dan ce contexte, qu’il y a quatre facteurs aggravants de cette crise économique qui rendent sa prise en charge et son traitement adéquats exceptionnellement difficiles.
Le premier de ces facteurs aggravants réside dans la vacance du pouvoir qui prive le pays d’une direction et d’un instrument de mobilisation dans cette conjoncture économique critique. Le second facteur aggravant réside dans cette même vacance du pouvoir qui a empêché la formulation d’une stratégie de riposte à cette crise économique près de deux années après sa survenance alors même que la diligence est primordiale dans la gestion des crises et que toute perte de temps peut en alourdir le fardeau et accroitre les coûts de leur règlement. Le troisième facteur aggravant réside dans le délitement institutionnel et administratif dont nous sommes témoins et qui projette des institutions de la République et de l’administration publique l’image du désemparément et du désarroi du fait des décisions gouvernementales incohérentes, contradictoires et sans prise sur les véritables enjeux de la crise économique actuelle. Le quatrième facteur aggravant réside, enfin, dans ces acteurs extra- constitutionnels que je viens d’évoquer et qui ont pu orienter le traitement de cette crise dans un sens favorable à leurs intérêts qui n’ont aucun lien avec ceux de la collectivité nationale tout entière.
Tous les ingrédients politiques et économiques sont malheureusement réunis pour précipiter la survenance d’une instabilité sociale.
Nos concitoyennes et nos concitoyens sont aujourd’hui en droit de demander à savoir ce qu’il est advenu de la manne financière qui s’est déversée sur notre pays dont l’économie est toujours dans le même état de fragilité, de précarité et de dépendance à l’égard de la rente d’une part, et d’autre part, à l’égard de l’étranger pour la satisfaction de presque tous ses besoins.
Nos concitoyennes et nos concitoyens sont en droit de douter qu’un régime politique qui a été l’auteur de cet échec économique retentissant puisse prétendre être le bâtisseur du renouveau économique de notre pays.
Nos concitoyennes et nos concitoyens peuvent légitimement se demander pourquoi ils sont les cibles prioritaires de l’austérité et des mesures d’ajustements dans les comptes publics. Ils peuvent légitimement estimer qu’ils subissent une douloureuse discrimination à un moment où les grosses fortunes et même l’argent douteux sont exonérés du fardeau de ces ajustements.
Nos concitoyennes et nos concitoyens peuvent avec la même légitimité constater que rien n’est annoncé et rien n’est fait contre les véritables sources de l’hémorragie qui affecte les comptes de la Nation : les marchés de gré à gré par lesquels les clientèles du régime continuent à amasser des fortunes, les projets réévalués avec beaucoup de laxisme, les fraudes au commerce extérieur qui n’ont pas cessé, l’évasion fiscale que rien de sérieux ne vient contenir, la fuite des capitaux qui se poursuit sans riposte dissuasive et la corruption qui a pris les dimensions d’un fléau national.
Il est difficile de nier que cette impasse politique, cette perdition économique et ces prémices d’une déstabilisation sociale affaiblissent et fragilisent l’Etat national à un moment où il fait face à des menaces extérieures d’une gravité extrême. Aux frontières orientales comme aux frontières méridionales de notre pays, le terrorisme ne recule pas, il progresse ; ses menaces ne diminuent pas, elles augmentent ; ses capacités criminelles ne sont pas réduites, elles se renforcent humainement, matériellement et financièrement.
Qui pourrait donc nier que l’Algérie est menacée par ces développements particulièrement préoccupants ? Aucun d’entre nous. Qui pourrait nier que toute menace à la sécurité nationale exige une riposte nationale ? Aucun d’entre nous. Qui pourrait nier que l’heure est au consensus national et à l’union sacrée autour d’un objectif qui prime sur tous les autres, celui de la défense de la patrie ? Aucun d’entre nous.
Qui pourrait nier que la gravité du moment ne se prête guère aux surenchères patriotiques, aux prétentions à un monopole sur l’amour de la patrie et à la mise de la sécurité nationale à une sorte d’enchère publique politicienne ? Aucun d’entre nous.
Mais ces questions et les réponses qu’elles appellent ne sauraient nous faire oublier de poser d’autres questions aussi vitales et aussi essentielles.
La sécurité nationale est elle mieux défendue par un pouvoir vacant ou par un pouvoir exerçant la plénitude de ses attributs constitutionnels ?
La sécurité nationale est elle mieux servie par des institutions de fait exerçant des prérogatives de fait ou par des institutions légitimes qui sont l’émanation de la volonté du peuple et qui bénéficient de son entière confiance ?
Qui est le plus apte à bâtir un consensus national et une union sacrée ? Est-ce des institutions et des autorités non représentatives, discréditées par leurs échecs politiques, économiques et sociaux et lourdement handicapées par la défiance et la méfiance dont elles pâtissent auprès de nos concitoyennes et de nos concitoyens ? Où n’est ce pas plutôt des institutions et des autorités dont la légitimité et la représentativité sont irrécusables et auxquelles la confiance et l’adhésion du peuple sont indéniablement acquises ?
Les menaces à la sécurité de notre pays sont réelles mais je crains que le régime politique en place se suffise de leur instrumentalisation à des fins qui lui sont propres. Et de ce point de vue, il est clair pour moi que la rhétorique sécuritaire du régime politique en place n’arrive pas à cacher ses véritables desseins : faire diversion sur la crise de régime ; forcer la voie à ce qui s’assimile à un chantage sécuritaire pour faire taire la revendication démocratique ; acquérir une légitimité sécuritaire à défaut d’une légitimité populaire ; réaliser un consensus national ou une union sacrée autour de lui et pour sa survie et non autour de la défense de la patrie et sa protection.
C’est précisément pour toutes ces raisons que j’ai personnellement estimé que l’aspect le plus grave de la récente révision constitutionnelle réside dans le déclassement de la Sécurité Nationale du domaine de la loi organique à celui du simple règlement.
En effet, par cette modification, la révision constitutionnelle est venue consacrer l’emprise exclusive du pouvoir personnel sur la Sécurité Nationale dont il peut désormais disposer à sa guise au simple moyen de décrets non publiables.
Nous relevons tous que notre pays est dans la phase la plus critique de son histoire contemporaine avec l’impasse politique qui perdure, la crise économique que rien ne vient endiguer avec une stratégie nationale globale, cohérente et acceptable et avec une instabilité sociale qui se profile à l’horizon.
Que peut faire l’opposition nationale dans de telles conditions ?
Premièrement, continuer à faire son devoir et à assumer ses responsabilités. Rien ne devrait nous décourager, ni l’autisme du régime politique en place, ni son déni des réalités, ni sa tendance maladive à s’occuper de nous plutôt que des véritables problèmes qui se posent au pays et aux véritables dangers qui le guettent.
Deuxièmement, réaffirmer la validité et la pertinence toujours actuelles de la plate forme de Mazafran qui reste le cadre approprié pour un changement démocratique ordonné, graduel et apaisé.
Troisièmement, souligner notre disponibilité a être partie prenante dans tout dialogue national rassembleur, ayant pour objectif de mettre enfin notre pays sur la trajectoire de l’édification d’un Etat démocratique c’est-à-dire un Etat de droit où le peuple algérien souverain serait, enfin, la source de tout pouvoir.
Quatrièmement, continuer à assumer notre devoir de vérité envers nos concitoyennes et nos concitoyens sur la gravité de la situation actuelle et sur l’inaptitude de la récente révision constitutionnelle à répondre aux exigences du dépassement de l’impasse politique actuelle, de la crise économique appelée à persister et à s’aggraver en l’absence d’une riposte nationale effective et de l’instabilité sociale aux retombées insoupçonnables et insoupçonnées.
Cinquièmement, affirmer avec force que la prise en charge effective et le traitement de cette impasse politique, économique et sociale devront être l’œuvre d’un pouvoir légitime, crédible et bénéficiant de la confiance et du mandat du peuple algérien souverain.
D’où l’impérative nécessité d’une religitimation de l’ensemble de nos institutions à travers des processus électoraux dont la régularité, la sincérité, l’intégrité et la transparence seraient assurées par une instance véritablement indépendante chargée de leur préparation , de leur organisation, de leur surveillance et de leur contrôle.
Ali Benflis