C’est un homme qui vient de réussir le pari difficile de réunir le congrès de son parti, Talaiou El-Houriat, en dépit des entraves politico-administratives, qui analyse, dans cet entretien, la situation politique nationale, s’attardant sur chacun des faits marquants de l’actualité. Ali Benflis reste convaincu que le pouvoir est vacant et que le régime court vers son implosion.
Liberté : Les statuts du parti adoptés par le congrès constitutif vous octroient la prérogative de désigner le 1/3 des membres du comité central. Pourquoi une telle disposition ? Sur quels critères vous basez-vous pour les désignations ?
Ali Benflis : Nous parlons au sein de Talaiou El-Houriyat de la création d’un parti moderne. C’est notre ambition ; c’est ce en quoi nous croyons ; et c’est ce à quoi nous nous employons. J’ai toujours dit à notre opinion publique, à nos militants et à nos médias que pour moi un parti moderne se construisait sur trois principes fondamentaux. Le principe démocratique, c’est-à-dire le principe électif, le principe de transparence et le principe de la primauté du projet politique sur les destinées individuelles. Ce chemin que nous nous sommes tracé est un long chemin, mais nous n’en dévierons pas. Il ne pouvait être parcouru dans les deux journées qu’a duré le congrès constitutif du parti, mais la bonne direction a été prise. Ces rappels me permettent d’aller au fond et de répondre à votre question en toute transparence. Ces statuts du parti prévoient un comité central de 420 membres dont 120 sont proposés par le président du parti. 300 membres du comité central ont été directement élus par les délégués des 47 wilayas et les 13 circonscriptions de la wilaya d’Alger. Ces élections se sont déroulées dans des conditions remarquables de calme, de discipline, de sérénité et de respect absolu des règles du jeu. Et pour être franc avec vous, seules 4 contestations en tout et pour tout ont été portées à ma connaissance. Et toujours au titre de la franchise, j’ajouterai que face à cela, il y avait aussi les cas admirables de coordonateurs des bureaux provisoires de notre parti qui se sont désistés pour céder la place au comité central à une femme ou à plus jeune qu’eux. Voilà l’atmosphère digne et apaisée dans laquelle se sont déroulées les élections au comité central du parti. En ce qui concerne la liste nationale, je ne dérogerai pas là non plus au principe de transparence. Cette liste a été conçue comme un instrument de diversification de la composante humaine du comité central. Et dès le départ, je me suis astreint à ne l’utiliser que pour assurer une meilleure représentation de la femme, de la jeunesse et des élites nationales. Et le résultat est là : la liste nationale que j’ai proposée comprenait une trentaine de femmes sur les 97 que compte le comité central, une quarantaine de membres de moins de 45 ans, une trentaine de professeurs d’université et une vingtaine d’anciens hauts cadres de la nation. J’ajouterais que cette liste nationale n’était pas destinée à être le réceptacle de repêchages ; et de plus, elle était soumise au vote des congressistes dans le cadre de la liste unique des membres du comité central dont ils étaient saisis.
Paradoxalement, on retrouve la même disposition dans les statuts du FLN, votre ancien parti, quoique dans des proportions autres. Vous en êtes-vous inspiré ? Que vous fait-il personnellement d’être à la tête d’un nouveau parti, après avoir été longtemps militant du FLN et même son secrétaire général ?

Je manquerais de sincérité envers vous si je vous disais qu’une telle situation ne laisse pas de traces et qu’elle est sans effets. Dans le FLN, j’ai mis la fougue de ma jeunesse ; j’y ai placé les rêves et les attentes de mes jeunes années ; j’ai voulu y être aux côtés de ceux qui entendaient perpétuer le souvenir et l’héritage de la glorieuse Révolution de Novembre ; j’y ai compté et j’y compte toujours des frères et des amis qui me sont chers et avec lesquels j’ai partagé un long compagnonnage politique dont je garde un souvenir précieux et je m’y suis battu avec ceux qui militaient pour un parti du peuple, un État de droit, une économie moderne et une société des libertés ouverte et tolérante. Ceux qui s’intéressent à mon parcours politique personnel pourront voir d’eux-mêmes qu’il a toujours été rectiligne ; je n’aime pas les chemins politiques en zigzag ; je n’emprunte pas les chemins de travers ; je ne cède pas sur les valeurs, les principes et les convictions. Je suis comme cela et l’on ne se refait pas. Tout le monde connaît les conditions dans lesquelles une justice de nuit a été rendue, qui m’a amené à en tirer les conclusions en remettant mon mandat de secrétaire général au comité central du FLN. Le projet politique auquel je tenais et pour lequel je me suis battu toute ma vie n’y avait plus sa place. Mes compagnons et moi-même disposons aujourd’hui d’un cadre politique qui est en symbiose avec les ambitions et les rêves que nous nourrissons pour notre pays : la modernité politique, la rénovation économique et des réformes sociales en profondeur. Dans l’un de vos articles consacrés à ces objectifs que vous rappeliez, vous avez conclu : “Vaste programme.” Oui, il s’agit d’un vaste programme, mais il n’est pas au-dessus de nos forces. Il est à portée de nos mains et nous pouvons le réaliser ensemble. Certains sont allés jusqu’à dire que nous offrons un véritable projet de société. Oui, c’est un projet de société que nous soumettons au jugement de notre peuple. Et c’est le seul jugement qui compte pour nous.
L’Icso dans laquelle vous êtes engagé milite pour une transition démocratique pacifique. Elle pose comme préalable à l’organisation d’une élection présidentielle anticipée, l’institution d’une commission indépendante pour l’organisation et la supervision des élections. Cette condition peut-elle être satisfaite dans le contexte
politique actuel ?
Les nations qui ont persisté dans leurs choix erronés et ont tourné le dos aux opportunités du consensus national lorsqu’elles s’offraient à eux ont connu un sort peu enviable. En proposant un changement ordonné, graduel, consensuel et apaisé de notre système politique, c’est précisément ce sort-là que nous sommes résolus à éviter à notre pays. Et cette voix de la lucidité et de la raison, il est vital pour tous qu’elle soit entendue avant qu’il ne soit trop tard.
Savez-vous que dans le monde entier, l’on ne parle plus désormais que de poudrière algérienne. Je dis et je répète partout que nous sommes dans une crise de régime et que nous y sommes jusqu’au cou. Que faut-il faire donc pour prémunir notre pays contre le mauvais sort qui le guette ? Il s’agit de mettre un terme à la vacance du pouvoir qui est au cœur de cette crise de régime que nous payons au prix politique, économique et social le plus fort ; il s’agit de relégitimer nos institutions de la base au sommet ; il s’agit de permettre au gouvernement de gouverner, ce qu’il ne fait plus depuis longtemps ; il s’agit de remettre en ordre de marche toutes les institutions républicaines et l’administration publique qui sont en situation de quasi cessation d’activité.
Vous me demandez si cela est possible. Je vous réponds que cela est nécessaire et vital pour le pays. Mon intime conviction est qu’à trop vouloir que rien ne change et que rien ne bouge, le régime politique en place est entré dans une course vers sa propre implosion, avec le risque réel d’y entraîner le pays tout entier. Croyez-moi, le temps du ressaisissement nous est compté. Sachons en faire bon usage.
Le chef d’état-major de l’ANP, le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, a félicité Amar Saâdani pour la réussite du Xe congrès controversé du FLN, à travers une lettre-onction. N’y a-t-il pas là une immixtion de l’institution militaire, du moins de l’état-major de l’ANP, dans les affaires politiques ? À quels risques cette implication partisane de Gaïd Salah expose-t-elle l’ANP ? La République ?
J’ai dit ce que ma conscience m’a dicté a propos de cette lettre. Je l’ai fait de manière directe, franche et explicite. J’ai qualifié son contenu de faute morale, politique et constitutionnelle. Chacun de mes mots et chacune de mes appréciations ont été bien pesés avant d’être livrés. Je n’ai rien à y ajouter et rien à en retrancher. L’ANP est l’armée de la nation, elle n’a pas à être le soutien d’un parti ; l’ANP est l’armée du peuple, elle n’est pas au service de factions politiques ; enfin, l’ANP est l’armée de la République une et indivisible, et en tant que telle, elle ne saurait avoir de préférences ou d’inclinaisons partisanes. Cette lettre n’engageait pas l’APN et elle ne l’engage pas. Je connais nos forces armées, je sais combien nos soldats, nos officiers et nos officiers généraux sont imprégnés de leurs missions républicaines et combien ils s’en acquittent de manière admirable en ces temps périlleux pour notre pays du fait du terrorisme international qui sévit encore à l’intérieur de nos frontières comme dans notre voisinage le plus immédiat. Comme toutes mes concitoyennes et tous mes concitoyens, je suis fier de nos forces armées et je ne manque aucune occasion de leur rendre l’hommage qui leur est dû. Il existe un consensus national autour des tâches qu’accomplissent nos forces armées dans la protection de notre territoire. L’ANP a besoin de ressentir que l’accomplissement de ses missions républicaines est entouré d’un tel consensus. Et c’est pour cette raison qu’il nous importe de la maintenir au-dessus des mêlées politiques et partisanes, quelles qu’elles soient.
En visite éclair en Algérie, François Hollande a soutenu qu’il a trouvé le président Bouteflika d’“une grande alacrité” et que ce dernier “a toutes ses capacités pour apporter toute sa sagesse et son jugement pour régler les crises”. De votre côté, vous aviez vivement dénoncé cette sortie, en affirmant que “la vacance du pouvoir est établie et n’a pas besoin de l’avis d’expert étranger”. Cela dit, la déclaration du président français relève-t-elle d’une déclaration protocolaire pas trop enthousiaste ou justifierait-elle au contraire des contreparties ?
Lesquelles ?
Je ne suis pas dans le secret des gouvernants. Je ne peux pas parler de manière autorisée de l’existence où l’inexistence des contreparties que vous évoquez. Je ne parle que de ce que je sais. Et je sais que s’il s’est entretenu avec M. Hollande pendant deux longues heures, son interlocuteur ne s’est pas adressé au peuple algérien depuis mai 2012 même pour une durée d’une seconde. Je sais, aussi, que cette sagesse et ce jugement pour régler les crises qui ont fait forte impression sur M. Hollande, nous en ressentons cruellement le besoin chez nous à Ghardaïa, à In-Salah où face à la crise énergétique mondiale. Et plus que tout, je sais et je sens quotidiennement comme toutes les Algériennes et tous les Algériens qu’un état de vacance manifeste existe bel et bien au sommet de l’État. Dans ces conditions, une expertise étrangère contradictoire était-elle bien utile où nécessaire ? À chacun d’en juger, quant à moi ma conviction est faite, la vacance du pouvoir est une affaire exclusivement algérienne et elle doit le rester.
Louiza/Liberté
Vous dites que la vacance du pouvoir est établie. Qu’y a-t-il lieu de faire concrètement pour se sortir de cette situation ? La solution devra-t-elle, selon vous, impliquer l’armée ?
Je suis et je reste un démocrate convaincu. Mon parcours personnel parle pour moi. Je n’ai donc pas un penchant particulier pour les coups de force où les coups d’État.
Nous sommes face à une crise politique majeure et son règlement ne saurait être que politique. Le traitement politique de cette crise est toujours possible. Il suffit pour cela que nos gouvernants du moment brisent les carcans de leurs archaïsmes, qu’ils remettent leurs pendules à l’heure, elles qui sont restées figées sur le siècle passé et qu’ils réalisent que nous sommes dans un nouveau siècle qui a banni l’ère des totalitarismes, des autoritarismes et des pouvoirs personnels. Depuis une année, j’ai proposé une version de ce que pourrait être cette solution politique. Mon plan est long et détaillé et, me semble-t-il assez exhaustif. Je vous le résume. Il se décline en trois phases. La première est dévolue prioritairement à la sortie de la crise de régime. Il s’agira de mettre un terme à la vacance du pouvoir qui n’a que trop duré, de religitimer toutes les institutions du sommet à la base et de remettre les institutions et l’administration publique en état de fonctionnement. Tous les pays du monde ne connaissent qu’un seul moyen permettant le dépassement des crises de régime lorsqu’elles surviennent : c’est le recours aux urnes. L’Algérie ne pourra pas faire indéfiniment exception à cette règle. Il est entendu que ce retour aux urnes devra impérativement s’effectuer sous le contrôle intégral d’une instance indépendante impartiale et souveraine tant la fraude, cette honte nationale et ce crime contre la démocratie a eu des effets ravageurs sur l’ensemble de notre système politique. Les forces politiques légitimes qui émergeront de cette première phase se chargeront dans la seconde phase d’organiser, de conduire et de faire aboutir la transition démocratique. À cette fin, un gouvernement d’union nationale serait constitué ; un pacte national serait adopté à l’effet de réguler la transition démocratique et la prémunir contre tous les dérapages possibles au moyen d’engagements contraignants pour toutes les parties ; une commission parlementaire rédigerait la nouvelle Constitution de la République ; le pacte et la Constitution seraient soumis à un référendum populaire. Sur la base du pacte et de la nouvelle Constitution s’ouvrirait alors une troisième phase qui aurait pour objectif la mise en place de notre nouveau système politique démocratique. L’ANP serait investie du rôle de garant de l’intégrité de tout le processus de transition démocratique. Voilà mon plan. Il est réaliste ; il est praticable, et par-dessus tout il permet au pays de faire l’économie d’épreuves inutiles et imméritées.
Coup sur coup, Sonatrach, l’autoroute Est-Ouest et Khalifa, trois mégaprocès de la corruption viennent de se dérouler. Quelle lecture en faites-vous ?
Parler simplement de corruption à propos des affaires auxquelles vous faites référence est un doux euphémisme. Il faut nommer les choses par leur nom et reconnaître qu’il s’agit plutôt de grande criminalité financière. Durant toute la dernière décennie, l’Algérie a, en effet, été confrontée à une hémorragie phénoménale de ses ressources financières à travers la corruption, la fraude au commerce extérieur, les détournements, les malversations, la fuite des capitaux et l’évasion fiscale. Il n’y a pas un seul de ces crimes financiers qui n’ait été commis chez nous et toute la panoplie de ces crimes a trouvé ses maîtres-d’œuvre et ses bénéficiaires dans notre pays.
Tous les pays du monde savent que pour faire face efficacement à la grande criminalité financière il y a quatre conditions qui doivent être impérativement réunies : une volonté politique inébranlable et intransigeante, des instruments de prévention et de répression performants, une justice indépendante et une législation dissuasive. En Algérie, on est loin du compte s’agissant de la satisfaction de toutes ces conditions. Et aussi longtemps que ces conditions n’auront pas été réunies, il serait inapproprié voire indécent de prétendre agir sérieusement contre la grande criminalité financière. Les procès que vous évoquez sont la parfaite illustration de ce que je viens de dire. Ces procès ont été riches en enseignements à foison mais je n’en retiendrais que les plus choquants. Dans tous les pays du monde, les procès ont pour vocation de faire éclater la vérité sauf chez nous où ils ont plutôt tendance à l’obscurcir davantage.
Ces procès ont confirmé aussi — s’il en était encore besoin — qu’il existe bel et bien chez nous une justice à deux vitesses ainsi que des supra-justiciables et des infra-justiciables avec une main légère réservée aux premiers et une main lourde destinée aux seconds. Ces procès ont révélé, en outre, le peu de crédit dont peut se targuer l’État dans son combat contre la grande criminalité financière dès lors que des membres de son propre personnel politique y sont cités sans être inquiétés et sans qu’il ne leur soit demandé de rendre le moindre compte de leurs agissements. Enfin, dans tous les pays du monde, outre le juste châtiment des coupables, ces procès servent à connaître avec la plus grande exactitude possible les montants des pertes occasionnées à la collectivité nationale, la destination des ressources financières qui ont fait l’objet d’un accaparement indu et à tenter par tous les moyens d’obtenir leur recouvrement. Sauf chez nous où tous les procès engagés se sont achevés sans que la collectivité nationale ne sache l’ampleur des ressources financières dont elle a été spoliée, les véritables bénéficiaires de ces spoliations et encore moins ce qui est entrepris pour récupérer — tout ou partie — de ces ressources financières spoliées.
Du déroulement de ces procès et de leur conclusion, je n’ai que deux conclusions à tirer : la première est que ces procès n’ont été qu’un exutoire pour un régime politique cherchant à se défaire au plus tôt d’affaires sulfureuses et incommodantes. La seconde est que face à la grande criminalité financière le seul rempart qui vaille est encore l’État de droit. Et chez nous, celui-ci reste à bâtir.
Une loi de finances complémentaire est en cours d’élaboration pour faire face aux impacts de la crise économique mondiale sur l’économie algérienne. Qu’en pensez-vous ?
Certains soutiennent que nos gouvernants n’ont pas de stratégie face à la crise énergétique mondiale. Je crois, quant à moi, qu’ils en ont une mais ce n’est pas celle que l’on attendait d’eux. Ce qui leur tient bien de stratégie, je peux vous le décrire. Ils ont un regard rivé sur les moindres frémissements des cours pétroliers et prient pour leur rebondissement. Ils n’arrivent pas à se convaincre que cette crise n’est pas cyclique mais structurelle et donc durable. Ils ont un autre regard assidûment porté sur les réserves de changes et le Fonds de régulation des recettes et prient aussi pour qu’elles durent le plus longtemps possible.
En outre, leur posture privilégiée est de faire le dos rond et d’attendre qu’un miracle se produise mais il ne se produira pas. Enfin, dans leur quête d’une stratégie face à cette crise, nos gouvernants ne sont pas à la recherche de ce qu’il est nécessaire de faire mais bien plutôt dans un état d’esprit qui leur commande d’éviter à tout prix de perturber la paix sociale dont ils ont chèrement payé l’achat tout au long de la dernière décennie.
Souvenez-vous que la crise énergétique mondiale dont nous parlons s’est enclenchée à la mi-juin de l’année dernière. Dans les trois mois qui ont suivi, tous les pays affectés par cette crise disposaient d’une stratégie en bonne et due forme pour y faire face. Au lieu et place d’une stratégie similaire, nous avons eu droit chez nous à une année entière de cacophonie gouvernementale durant laquelle nos ministres ont fait publiquement étalage de leurs désaccords quant à l’analyse de cette crise, quant à sa nature, quant à sa durée et quant aux mesures qu’elle commandait de prendre. Une année plus tard — c’est-à-dire toute une année de retard —, notre gouvernement balbutie une ébauche de riposte par tâtonnement et par improvisation. Là où on attendait une stratégie cohérente, globale innovante et performante, il nous est proposé des replâtrages, des saupoudrages, en somme la pose d’un cautère sur une jambe de bois. Je lis et j’entends dire que notre gouvernement a quatre pistes de travail dans le cadre de la loi de finances complémentaire qu’il prépare : réduire le volume de nos importations, augmenter ou introduire de nouveaux impôts et taxes, déclarer une amnistie fiscale et revoir le système de subvention des carburants. Si cela est vrai il y aurait alors de quoi s’inquiéter car cela signifierait que nos gouvernants n’ont toujours pas pris la mesure de la gravité de la crise énergétique actuelle et qu’ils font fausse route s’ils croient que ce qu’ils envisagent comme mesures à prendre suffiront pour en amortir les chocs que nous subissons déjà. Tous nos comptes sont déjà entrés dans le rouge et le rétablissement de leur équilibre exigera beaucoup plus que ce qui est actuellement envisagé.
Lorsque l’équilibre des comptes de la nation dépend d’un prix du baril à plus de 100 dollars et que ce prix ne se situe plus désormais que dans une moyenne de 60 dollars, la conclusion est vite tirée : ce n’est pas de comptes d’apothicaire à ajuster que notre pays a le plus besoin pour s’en sortir mais de profondes réformes structurelles qu’il est grand temps d’adopter pour pouvoir prétendre bâtir enfin un modèle économique national productif, compétitif et performant. Cela n’ira pas sans efforts et sans sacrifices. Et seul un pouvoir légitime, crédible et bénéficiant de la confiance requise pourra être en position de solliciter des Algériens ces efforts et ses sacrifices sans lesquels rien ne se fera et rien ne changera.
Quatre attentats terroristes ont été perpétrés en Tunisie, au Koweït, en Somalie et en France, vendredi dernier. Comment analysez-vous la simultanéité de ces attentats et leur déroulement en des lieux aussi éloignés les uns des autres ?
Les attentats commis de manière quasi simultanée dans un pays européen, dans un pays d’Afrique du Nord, dans un pays de la Corne de l’Afrique et dans un pays du Golfe me semblent adresser deux messages politiques et stratégiques. Le premier message est celui d’une véritable démonstration de force. Les maîtres penseurs et les commanditaires de ces attentats veulent nous signifier qu’en dépit de tout le terrorisme est toujours dans une phase ascendante et qu’il peut frapper où il veut quand il le veut. Le second message est celui de l’internationalisation et de la transnationalisation du fléau du terrorisme. Ce message nous confirme que le terrorisme a définitivement cessé d’être le fait de groupes locaux, circonscrit dans une aire géographique bien délimitée pour devenir un phénomène de portée globale. En 2012, Daech était une start-up du terrorisme, elle est aujourd’hui une véritable multinationale de la terreur. Ces deux messages viennent nous rappeler l’impératif d’une riposte internationale globale à un fléau devenu lui-même de portée globale. Malheureusement, cette riposte internationale globale tarde à se mettre en place dans la mesure où les États concernés préfèrent continuer à agir dans une sorte de “chacun pour soi”. Et de ce point de vue, je crois qu’il est possible de classer ces États en quatre catégories.
La première catégorie est composée d’États qui estiment qu’en se mettant en avant dans la lutte contre le terrorisme ils se désigneraient pour cible et préfèrent s’abstenir. La seconde catégorie est composée d’États qui considèrent que la lutte contre le terrorisme ne les concerne pas, qu’il n’est pas leur problème et qu’ils n’ont pas à s’en mêler. La troisième catégorie est composée d’États qui agissent contre le terrorisme mais de manière sélective c’est-à-dire seulement dans les endroits où il menace leurs intérêts directs mais pas ailleurs. La quatrième catégorie est composée d’États qui pensent que la lutte contre le terrorisme est bien trop coûteuse et qui, en conséquence, refusent d’y contribuer. Je crains que le terrorisme international ne finisse par mettre tout le monde d’accord le jour où il prendra la proportion d’une menace véritable à la sécurité internationale dont il faudra bien que tout le monde s’occupe.
Et l’Algérie dans tout cela ?
S’il y a une leçon à toujours garder en mémoire c’est bien celle qui nous enseigne que si nous avons pu contenir puis défaire le terrorisme dans les années 1990, c’est à la solidité de notre front intérieur que nous le devons car il ne s’est pas disloqué malgré les coups de boutoir d’une rare violence qu’il subissait de la part de la barbarie terroriste. Nous ne devrions jamais oublier cela. Les discours lénifiants — voire anesthésiants — sur la paix recouvrée et sur la sécurité assurée sont bons pour le moral de la nation mais dans le même temps ils peuvent être lourds de périls en ce qu’ils peuvent induire une démobilisation et une baisse de la vigilance. De ce point de vue, notre pire ennemi ne serait pas le terrorisme lui-même mais notre vigilance que l’on abandonnerait et notre garde que l’on baisserait. Il y a aussi cet obscurantisme sans bornes qui se propage dans notre société. N’oublions pas là non plus que la matrice obscurantiste d’aujourd’hui prépare le terrain au terrorisme de demain.