La demande du président yéménite Ali Abdallah Saleh de venir aux états-Unis pour se faire soigner met Barack Obama face à un choix cornélien, l’accepter ou la refuser, représentant des risques pour son administration.
Des responsables américains ont affirmé que M. Saleh, qui a accepté en principe un transfert du pouvoir après 33 ans à la tête de son pays, ne pourrait être accueilli sur le sol américain que pour des soins “réels”, lui qui a été grièvement blessé dans un attentat en juin dernier. Lundi, la Maison-Blanche a démenti que l’administration ait déjà donné son feu vert de principe à cette venue, comme l’avait affirmé plus tôt le New York Times. “Chaque fois qu’un étranger cherche à se rendre aux états-Unis, un processus formel est mené pour déterminer si le demandeur peut recevoir un visa”, a réaffirmé mardi soir le porte-parole du département d’état, Mark Toner. “Les états-Unis sont toujours en train d’étudier la demande du président Saleh, a-t-il poursuivi. Le département d’état confirmera qu’une décision a été prise uniquement quand ce processus sera achevé.” Certains responsables américains estiment que faire sortir le dirigeant de son pays permettrait de réduire les tensions d’ici à la présidentielle prévue en février 2012. Mais une telle visite pourrait exposer les états-Unis à des accusations d’abriter un autocrate responsable de la mort de centaines de manifestants, en contradiction avec la défense des droits de l’homme dont Washington se fait l’apôtre.
Pour Elliott Abrams, ancien membre du cabinet du président républicain George W. Bush, M. Obama, à qui il reviendra de prendre cette décision, va devoir évaluer si “le retrait de Saleh aidera à calmer la situation au Yémen” et “si cela sera préjudiciable aux états-Unis”. En 1979, l’administration démocrate de Jimmy Carter avait permis au chah de venir se faire soigner aux états-Unis, ce qui avait attisé la révolution islamique en Iran.
Quelques jours plus tard, commençait la longue crise de la prise d’otages de l’ambassade des états-Unis à Téhéran. M. Abrams, actuellement membre du groupe de réflexion Council on Foreign Relations de Washington, souligne aussi la nécessité d’établir des conditions préalables à une venue de M. Saleh, comme “les conditions de vie quotidienne, et l’une des conditions, je pense, serait qu’il s’abstienne de toute déclaration en public (…) et ne s’implique pas dans la vie politique au Yémen”. Reste que M. Saleh, qui “a tant de fois promis de démissionner se voit accorder très peu de crédit”, remarque pour sa part James Phillips, du groupe de réflexion conservateur The Heritage Foundation, et pour qui les états-Unis devraient refuser l’entrée à M. Saleh tant qu’il n’aura pas vraiment démissionné. M. Saleh s’était rendu en Arabie Saoudite pour être soigné après l’attentat de juin. Son retour dans son pays avait surpris et nourri l’inquiétude de le voir s’accrocher au pouvoir dans un état instable où Al-Qaïda a solidement établi son influence. Au moins deux tentatives de frapper les états-Unis depuis 2009 ont été attribuées à la branche yéménite d’Al-Qaïda, et leur commanditaire présumé, l’imam radical américano-yéménite Anwar Al-Aulaqi, a été tué en septembre au Yémen dans des bombardements apparemment d’origine américaine. M. Abrams se dit persuadé que le président donnera en définitive son feu vert à la venue de M. Saleh. Actuellement en vacances dans son état natal d’Hawaii (Pacifique), M. Obama pourra faire valoir, s’il faisait ce choix, que “dans de nombreux cas, il est important d’extraire rapidement le dictateur, l’homme fort ou le président”, remarque-t-il. “Nous aurions pu sauver des vies en Libye s’il avait été possible de faire quitter le pouvoir (à Kadhafi) plus vite. Nous pourrions sauver des vies au Yémen si Saleh en sort. Des vies ont été sauvées en Tunisie parce que (l’ancien président) Ben Ali est parti rapidement”, assure-t-il.
R. I. / Agences