Jeudi 7 mai, la capitale catalane s’est réveillée avec une gueule de bois. La veille, les socios avaient fêté la qualification du Barça contre Chelsea d’une manière démesurée. Les Algériens sans papiers, comme pour être de la fiesta, y avaient mis leur grain de sel avec des slogans curieux, tel « Nous sommes venus dans des pateras, sans visa, ni assurance voyage, ola, olé ! »
Un hymne revendiquant leur statut non reconnu. Même la guardia, aux anges, les avaient oubliés l’espace d’un soir. Pourtant, jeudi matin, la rue telle un no man’s land a repris ses droits. Au café El Mediterraneo, tenu par un Marocain, Moh Khali, nous a accueillis dans un premier temps avec un sentiment de rejet à la limite de l’hostilité. « Qu’avez-vous fait pour nous ? Laissez-nous tranquilles ! Ici, nous respirons dans un environnement malsain. » Je lui expliquais que je ne suis pas le représentant du gouvernement algérien, mais simplement un journaliste venant s’enquérir de leur situation. Apaisement ! Notre interlocuteur, ancien cadre de Sonarem de Oued Smar, le seul à détenir des documents officiels (residencia) dénonce avec colère, ce qu’il appelle l’arnaque des services consulaires algériens d’Alicante. « Nous payons 60 euros pour le timbre du passeport, alors que c’est marqué 2000 DA. C’est du vol ! » Moh bénéficie d’un « raigo » social, l’équivalent du RMI français. « Je paie ma chambre à 280 euros, imaginez comment on vit quand on a tout déboursé dans les charges. »
Des compatriotes, mis au parfum, affluent au café. Rachid, 32 ans, et sans papiers, originaire de Dellys, onze ans en Allemagne avant de débarquer à Barcelone, depuis 8 mois, parce qu’il était « grillé là-bas et n’avait d’autre choix que de changer de pays » Pour lui, en Espagne, les clandestins se font escroquer sans vergogne par tous, à commencer par des patrons. « On paie 2000 euros pour un contrat de travail et un seguro (sécurité sociale) de six mois à 400 euros, mais au final, on se fait arnaquer : ni papiers ni houm yahzanoun. » Dans la rue, on remarque le « braquage » d’un Algérien manchot, Lakhdar. « C’est la police », nous précise Moh. Dix minutes plus tard, le malheureux Algérien est libéré. « On m’a chopé avec un gramme de haschish », confie-t-il. Diantre, pour un tel délit, on croyait qu’il allait être mis en détention. « Détrompez-vous, ici, même les policiers sont corrompus. D’ailleurs, ils savent tous que dans le quartier chinois, il n’y a pratiquement que des clandestins et quand ils leur arrivent de les arrêter, ils le font, puis les libèrent « sous caution », entendez, bakchich. » Lakhdar avait perdu son bras droit en Pologne, mais se garde, toutefois, de nous expliquer dans quelles circonstances. Nourri, frisant la trentaine, est originaire de Tiaret. « Après 7 ans, ici, je suis toujours sans papiers. » Mais de quoi vivent-ils, lui et ses semblables ? « La débrouille ! » Le cas le plus émouvant est celui de Tayeb, depuis 1978 en Espagne et sans papiers, 3 fois expulsé d’Europe. Il est insuffisant rénal « Je n’ai aucune ressource, je vis selon la grâce de Dieu. C’est vrai, je me fais soigner par humanisme par une association caritative. Je n’ai pas le choix. Revenir au pays après trente ans d’exil ? Et avec quoi à mon âge ?
Que ferai-je au bled ? » Un retour synonyme de honte. Avec une pointe d’amertume, tous reconnaissent, désappointés, que contrairement aux Marocains, « les Algériens ne sont pas solidaires entre eux ». Beaucoup de leurs pairs sont en prison pour vol, agressions et autres délits « Ceux qui sont détenus n’ont aucune perspective et ceux qui sont dehors sont rackettés par la police ! Voilà notre destin, ici à Barcelone, la vie des rêves. » Moh Khali, très apprécié dans le quartier, avoue avoir payé plusieurs molta (amende) pour libérer ses compatriotes. « Que voulez-vous, quand je peux aider quelqu’un, je le fais. » Pour ceux qui réussissent à dénicher un job saisonnier auprès d’un patron dit honnête, ils se font payer 30 euros la journée, sinon on trime plus de 12 heures pour se voir signifier par le chef de dégager, sinon il appellerait la police « C’est de l’esclavage ! » Emprisonnés dans leur quartier, rarement, ils s’aventurent au-delà, les clandestins affirment tous qu’avec « la crise mondiale, les choses se sont compliquées davantage ici. La seule solution qui nous reste est de foutre le camp d’ici ! » Pour aller où ? « Dans un autre pays européen, khouya ! » Eternels bohémiens que ces compatriotes sans papiers. Dans la rue de l’hospital, les Algériens ne sont pas invisibles. Pourtant, sur les lieux, des Pakistanais, des Roumains, des Marocains, des Indiens et des Sud-Américains se partagent le terrain. « L’Algérien est réputé pour son tempérament ! » Il ne se laisse pas faire, ils est craint par les autres communautés. Sur le seuil d’El Mediterraneo, Moh Khali interpelle un non-voyant, tiré à quatre épingles, chapeau griffé sur la tête et canne blanche à la main. « C’est un Algérien, lui aussi. » « Je vais chercher mon chien, Moh… », dit-il. Moh, le « protecteur » d’une diaspora en mal de vivre nous fait faire le tour de Barcelone. Oubliant les vicissitudes de la vie, il se métamorphose en guide touristique. Toute l’histoire de l’Espagne y passera. « Moi aussi, je vais devoir quitter Barcelone pour une autre destination ! » Ce n’était pas le fruit de la fatigue, mais celui d’un ras-le-bol qui en dit long sur la situation dramatique de nos compatriotes sans papiers dans la péninsule ibérique. « Allez-y du côté de Huelva, sur la frontière avec le Portugal, les Algériens sont des infra-humains… Mais bon, je ne vous gâche pas votre séjour, appréciez plutôt la splendeur de la ville ! » Brave et humble Moh Khali…