Tous les jours, des décisions sont prises et des décrets signés. À l’évidence, bien que son état de santé suscite l’inquiétude, Abdelaziz Bouteflika est décidé à tenir les rênes jusqu’au bout.
La santé du président Abdelaziz Bouteflika inquiète. Son hospitalisation, ce 13 janvier à l’hôpital du Val-de-Grâce, en France, pour « un contrôle de routine », vient de le rappeler : depuis le 16 juillet 2013 et la fin de sa convalescence parisienne à la suite d’un accident vasculaire cérébral, aucun bulletin de santé n’a été rendu public, mais les vidéos diffusées depuis montrent un homme diminué. Même la photo de famille prise le 30 décembre 2013, à l’issue du Conseil des ministres, est éloquente.
Non seulement Abdelaziz Bouteflika peine à retrouver ses capacités motrices, mais surtout, l’absence d’améliorations notables révèle des séquelles importantes.
À voir la gêne des ministres entourant le prestigieux patient, on imagine combien la situation doit être embarrassante. Habituellement, les membres du gouvernement s’installent dans la grande salle de réunion du palais d’El-Mouradia avant l’arrivée du président, généralement accompagné de son Premier ministre. Cette fois, tout le monde a attendu que le chef de l’État soit installé dans son fauteuil pour pénétrer dans la salle, avec pour consigne stricte d’éviter tout contact physique avec lui.
Il occupe un bungalow dans le complexe de Sidi Fredj
Il en a été de même pour la cérémonie de signature de la loi de finances 2014. Aucun participant n’a pu voir le président debout ou se mouvant. Pis : la plupart d’entre eux, qui ne l’avaient pas vu depuis son AVC, ont découvert l’ampleur de ses handicaps. « Le président est vraiment mal en point », confie un ministre, sous le sceau de l’anonymat. »
Au moindre effort physique, de la sueur perle sur son front », renchérit l’un de ses collègues. Pourtant, nul ne conteste qu’Abdelaziz Bouteflika reste le maître du jeu. Tous les jours, des dizaines de décisions sont prises et des décrets signés. Mais comment gouverne-t-il et, surtout, avec qui ?
Bouteflika ne vit plus dans son appartement privé de Poirson, à El-Biar, à proximité de l’ambassade des États-Unis. Il boude la résidence présidentielle de Zeralda et son bureau de Djenane el-Malik, où il recevait les personnalités étrangères. Il préfère désormais occuper un bungalow dans le complexe résidentiel de Sidi Fredj. Zhor, sa soeur, s’occupe de l’intendance. Son frère Saïd est omniprésent.
Les deux autres membres de la fratrie, Abdelghani et Nasser, viennent le plus souvent possible à son chevet. Si le président ne s’est rendu qu’à deux reprises à son bureau d’El-Mouradia depuis son retour du Val-de-Grâce, en juillet 2013, la machine tourne néanmoins à plein régime.
Le service diplomatique de la présidence est sans doute le plus actif. De nombreuses personnalités ont reçu des voeux de nouvelle année signés de sa main. Même lors de sa dernière hospitalisation à Paris, il n’a pas omis d’envoyer une missive à son homologue Moncef Marzouki, ce 14 janvier, à l’occasion du troisième anniversaire de la révolution tunisienne.
Autre preuve qu’El-Mouradia fonctionne bien : la gestion de la visite imprévue, le 7 janvier, de Nayef Ibn Abdelaziz, le très influent ministre saoudien de l’Intérieur, dont l’émissaire du roi Abdallah a annoncé l’arrivée à Alger au dernier moment.
Dès l’atterrissage de son avion, il a été accueilli par Bouteflika à Sidi Fredj. Dans la foulée, le président a reçu le général Gaïd Salah, vice-ministre de la Défense et chef d’état-major de l’armée – la personnalité algérienne qui peut se prévaloir du plus grand nombre d’audiences (une douzaine) accordées par le convalescent. Le président bouderait-il ses collaborateurs civils en communiquant uniquement avec le patron de l’institution militaire ? « Pas du tout, clame-t-on dans les couloirs d’El-Mouradia. Toutes les activités du président, qui reçoit en toute discrétion, traite son courrier, signe les décrets et transmet ses instructions, ne sont simplement pas rendues publiques. »
Saïd Bouteflika, l’homme qui chuchote à l’oreille du président
Mais qui pilote vraiment à El-Mouradia ? Le mystère entretenu autour d’Abdelaziz Bouteflika alimente rumeurs et spéculations. Présenté comme l’homme qui chuchote à l’oreille du président, Saïd Bouteflika, son frère et conseiller spécial, est accusé par certains partis d’opposition et une partie de la presse privée de trancher à sa place. « Peu probable, assure un ancien colonel du Département du renseignement et de la sécurité [DRS]. Il n’a ni l’étoffe ni le talent pour prendre, seul, des décisions comme celle qui a abouti à la restructuration du commandement militaire. Il a peut-être pu intervenir dans le choix d’un ou de plusieurs ministres lors du dernier remaniement, mais il est exclu qu’il ait eu son mot à dire quand il a fallu choisir un nouveau patron pour la Direction de la sécurité intérieure [DSI]. »
Autre proche qui ne quitte pas le président d’une semelle : le lieutenant Messaoud Belgherbi, alias Aziz, garde du corps préféré d’Abdelaziz Bouteflika. Il a accompagné le chef de l’État au Val-de-Grâce, est resté avec lui durant sa convalescence au centre de repos des Invalides, et ne quitte qu’exceptionnellement le pavillon présidentiel de Sidi Fredj.
L’état de santé du président est un véritable tabou. L’identité de son équipe médicale était restée secrète jusqu’au 30 décembre 2013, date à laquelle il a décidé de décerner l’Ordre du mérite national à trois de ses médecins : Abdelkader Bendjelloul, directeur central des services de la santé militaire (DCSM), ainsi qu’aux professeurs Mohsen Sahraoui, chef du service d’urgences à l’hôpital militaire d’Aïn Naadja, et Metref Merzak, chef du service réanimation. Bouteflika montre ainsi sa volonté de diriger jusqu’au bout de son mandat. Voire au-delà.