Un chef d’État qui n’a pas encore annoncé s’il serait candidat. Un entourage présidentiel qui le presse de le faire et accuse les services secrets de s’y opposer dans l’ombre. Des généraux qui s’en mêlent. À deux mois du scrutin, le brouillard ne se dissipe pas, au contraire !
Il a fallu le crash d’un avion militaire, un Hercules C-130 (un seul survivant sur les 78 passagers et membres d’équipage) qui a heurté, le 11 février, le mont Fertas, dans la région d’Oum el-Bouaghi (à 450 km à l’est d’Alger), pour qu’Abdelaziz Bouteflika intervienne, par voie de communiqué, dans un débat où le linge sale de l’institution militaire ne se lavait plus seulement en famille. « Nous sommes habitués, à l’approche de chaque échéance électorale, à entendre des propos excessifs émanant de certains milieux. Mais cette fois, cet acharnement a pris une ampleur inédite », s’est-il emporté sans préciser à quels milieux il faisait allusion.
À deux mois des élections, le président, 76 ans, affaibli par la maladie, n’a toujours pas fait savoir s’il compte briguer un quatrième mandat. Ses proches, qui le pressent de se prononcer, accusent le Département recherche et sécurité (DRS, services de renseignements) de s’opposer dans l’ombre à cette perspective. Sans doute le communiqué présidentiel avait-il pour objet de calmer le jeu après huit jours de tensions.
Petit flash-back… Le 3 février, dans une interview au site tsa-algerie.com, Amar Saadani, secrétaire général du FLN, suggère au général Mohamed Mediène, alias Toufik, patron du DRS depuis un quart de siècle, de démissionner. À l’en croire, de l’assassinat du président Mohamed Boudiaf le 29 juin 1992 à l’attaque terroriste contre le site gazier de Tiguentourine (In Amenas) le 16 janvier 2013, en passant par l’enlèvement et l’exécution des moines français de Tibhirine en 1996, Mediène a échoué dans sa mission de protéger le pays et ses institutions. Le secrétaire général du FLN ne se contente pas de dénoncer les « défaillances » du DRS : il l’accuse d’être devenu une véritable police politique, de s’être infiltré dans tous les rouages de l’État et, surtout, d’avoir lancé des enquêtes dans des affaires de corruption visant l’entourage d’Abdelaziz Bouteflika.
Face à ces graves accusations, Mediène, comme toujours, garde le silence. D’habitude prompt à engager des poursuites judiciaires contre des journalistes dès que l’honneur de l’Armée nationale populaire (ANP) est mis en cause, le ministère de la Défense, dont fait partie le DRS, ne réagit pas non plus, donnant à penser que Bouteflika, chef suprême des armées et président d’honneur du FLN, cautionne ces attaques.
D’autant que la curieuse ascension d’Amar Saadani, nommé secrétaire général de ce parti le 29 août 2013, un mois et demi après le retour du président de l’hôpital parisien du Val-de-Grâce, où il soignait les séquelles de son AVC d’avril 2013, a bénéficié de son aval. Circonstance aggravante, cette sortie médiatique intervient alors que le climat est délétère dans les mess d’officiers.
Le 13 janvier 2014, le général Gaïd Salah, chef d’état-major de l’ANP, a présidé un conclave de hauts gradés. Objectif : mettre à la retraite une centaine d’officiers supérieurs, parmi lesquels des généraux et des colonels du DRS. Le tout sur fond de restructuration des Services – une initiative interprétée comme une volonté d’affaiblir l’influence considérable du général Mediène et de rogner ses prérogatives. Cette mise à la retraite d’office, entrée en vigueur le 1er février, est présentée comme une conséquence de l’enquête interne portant sur l’attaque du site de Tiguentourine.
Parmi les officiers remerciés, seul le général Hassan fait de la résistance. De son vrai nom Abdelkader Aït Ouarabi, ce haut gradé issu des forces spéciales dirige, depuis 2008, la structure de coordination de la lutte antiterroriste – un poste stratégique puisqu’il chapeaute l’ensemble des forces de sécurité, gendarmerie et police comprises. Le refus d’obtempérer du général, réputé proche de Toufik, a-t-il été l’élément déclencheur de la campagne de Saadani ? Tout porte à le croire. Récusant sa mise à la retraite, Hassan aurait confié à ses collaborateurs que « les décisions prises après le retour de Bouteflika du Val-de-Grâce sont nulles et non avenues ». Selon d’autres sources, citées par la presse privée, le général aurait refusé de quitter son poste tant qu’il n’aurait pas briefé son successeur. Or l’état-major n’a toujours pas officiellement désigné de remplaçant… Quoi qu’il en soit, son attitude lui vaut une interpellation musclée et son déferrement devant un juge du tribunal militaire de Blida, qui l’a placé sous contrôle judiciaire pour insubordination.
Khaled Nezzar avait traité Bouteflika de « vieux canasson »
Comme si tous ces remous, perçus comme une guerre de clans opposant la présidence et l’état-major au DRS, ne suffisaient pas, un général en retraite jette de l’huile sur le feu. Dans une interview au journal El Watan, parue au lendemain de la catastrophe aérienne du mont Fertas, Hocine Benhadid, ex-patron de la 8e division blindée, fleuron des forces terrestres, qui affirme parler au nom de ses frères d’armes, demande à Bouteflika de ne pas briguer un quatrième mandat. Qu’un général à la retraite prenne part au débat à la veille d’une présidentielle ne constitue pas une première.
En 1999 déjà, Khaled Nezzar avait traité le candidat Bouteflika de « vieux canasson », avant de se rétracter puis de le soutenir. Cinq ans plus tard, Rachid Benyellès, ex-patron de la Marine nationale, s’en était pris au même Bouteflika, alors en lice pour un deuxième mandat, tandis que Mohamed Lamari, chef d’état-major à l’époque, prenait fait et cause pour Ali Benflis, rival du président sortant.
Mettre fin au grand déballage qui agite l’armée
En revanche – et c’est nouveau -, jamais aucun officier supérieur, d’active ou à la retraite, ne s’en était pris au commandement de l’armée. Benhadid franchit ce pas en tançant ouvertement Gaïd Salah, qui, selon lui, a perdu toute crédibilité en acceptant de cumuler sa fonction militaire de chef d’état-major avec celle, civile, de vice-ministre de la Défense.
Épisode dramatique dans le feuilleton de la présidentielle, le crash de l’Hercules C-130 a permis au président convalescent d’intervenir pour mettre fin au grand déballage qui agite l’armée et menace la cohésion de sa chaîne de commandement. Comment réagit la classe politique ? Certains comptent les coups que se portent les deux clans au pouvoir. Moussa Touati, candidat à la présidentielle pour le Front national algérien (FNA, opposition), se frotte les mains : « Qu’un groupe abatte l’autre, cela ne sera que bénéfique pour nous. »
Pour les islamistes, qui ont décidé de boycotter la présidentielle, la réponse de Bouteflika est salutaire, mais insuffisante car il n’a pas fait connaître ses intentions. Du côté du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), Othmane Mazouz, son secrétaire à la communication, affirme que « cette guéguerre au sommet a au moins eu le mérite de dévoiler que les résultats de la supercherie électorale du 17 avril seront actés et arbitrés par le grand collège de l’ombre ». À deux mois du scrutin, l’horizon est toujours aussi nébuleux, et les Algériens continuent de naviguer à vue.