Algérie : une folie nommée automobile

Algérie : une folie nommée automobile

2014-voiture_500585821.jpgPour une population de près de 38 millions d’habitants, le parc automobile algérien comptait 4,8 millions de véhicules fin 2012, soit plus de 6% par rapport à 2011 et… plus de 29% par rapport à 2006.

Le nombre de véhicules importés en 2012 a atteint 569.000, en progression de… 45% par rapport à 2011. Le puissant lobby des concessionnaires ne cesse de marteler que le problème est moins cette motorisation galopante que l’étroitesse du réseau routier (115.000 kilomètres), et rappelle à satiété que l’Algérie traîne loin derrière un pays comme la France, avec ses 38 millions de véhicules pour 65 millions d’habitants.

Or, l’Algérie ne devrait pas être comparée à des Etats membres du G7 mais à des Etats de même niveau de développement, le Maroc, par exemple, qui ne compte que 1,5 million de véhicules pour une population légèrement inférieure à la population algérienne (33 millions d’habitants).

L’effarante extension du parc automobile s’explique par l’amélioration des ressources financières de l’Algérie due à la hausse des cours de pétrole à partir du début des années 2000 (220 milliards de dollars de dépense publique entre 2005 et 2012). Les dépenses d’équipement dans l’industrie, l’agriculture et les services ont explosé ces 14 dernières années, de même que le nombre de projets de moyenne et petite dimension financés par les banques et nécessitant souvent l’acquisition d’un véhicule.

Les revenus de secteurs importants des classes moyennes ont également augmenté, comme en témoigne le triplement des dépenses des ménages entre 2000 et 2011. Les crédits à la consommation ont davantage aiguisé cet appétit automobile et l’on se demande quelle dimensions gigantesques le parc algérien aurait pris si on ne les avait supprimés en 2009, lorsqu’on a découvert qu’ils profitaient beaucoup aux importations et si peu à la production nationale.

9,5 milliards USD/an pour l’importation de véhicules et… de carburant

Cette « maladie de la voiture » (65% du parc automobile est composé de véhicules particuliers) pose de sérieux problèmes. Le premier est, à l’évidence, les calamiteux encombrement des routes. Il a atteint un tel niveau qu’il ne peut plus être réglé par la densification du réseau routier : le développement des moyens de transport en commun (trains, bus, taxis) est plus que jamais nécessaire pour faire face à une expansion urbaine souvent incontrôlée et à l’accélération des mouvements de migration intérieure. Le deuxième problème est la pollution.

Elle est d’autant plus inquiétante que 35% des véhicules roulent au mazout et 64% à l’essence. Seulement 1% des véhicules en circulation utilisent ce qui devait être un miraculeux carburant populaire, le sirghaz (GPL), lancé en… 1983 et encore dédaigné, paraît -il, jusque par le parc roulant du ministère de l’Environnement. Le troisième problème, enfin, est le trou béant que font dans les disponibilités en devises les importations automobiles (6,7 milliards de dollars en 2012, soit 14% de la valeur totale des importations) et… les importations de carburants (2,7 milliards de dollars en 2012).

A la différence de l’Egypte (la société Nasr) et de l’Iran (la société Iran Khodro), l’Algérie n’a pas encore sa « voiture nationale ».

Cette voiture devait porter un nom authentiquement algérien, « Fatia », et devait être fabriquée à Tiaret (ouest), en partenariat avec Fiat. Elle n’a jamais vu le jour. L’ambitieux et patriotique projet a été englouti par le tourbillon politico-sécuritaire des années 1990, avant qu’un décret présidentiel n’organise ses funérailles officielles en 2009, en transférant le site qui lui était affecté à un projet militaire de montage de véhicules tout-terrain.

Les autorités algériennes semblent, enfin, avoir saisi l’urgence de dépasser le « syndrome Fatia » et de semer les graines d’une industrie automobile locale autres que celles, vieilles et rabougries, plantées dans les années 1970 (le complexe de véhicules industriels de Rouiba, 3.000 unités par an). Cette prise de conscience s’est manifestée travers le partenariat conclu en décembre 2012 entre la société publique SNVI et le français Renault, pour la construction d’une usine qui devrait produire, à compter de fin 2014, des voitures de marque « Symbol ». Ce n’est pas, toutefois, une production symbolique de Symbol (25.000 véhicules/an au démarrage et 75.000/an plus tard) qui pourrait réduire substantiellement les énormes sommes en devises avalées par les importations de voitures particulières.

Renault et une clause d’exclusivité problématique

L’accord avec Renault contient une clause d’exclusivité de 3 ans au bénéfice du groupe français. Celui-ci a bien pris le soin de le rappeler suite à la signature, le 9 novembre 2013, d’un protocole d’accord entre le groupe privé Arcofina et le chinois FAW pour la construction d’une usine devant produire, dès son achèvement, 10.000 véhicules/an. Le ministre de l’Industrie de l’époque, Amara Benyounes, s’est empressé de préciser que si cette clause interdit à la SNVI de conclure de nouvelles joint-ventures pendant la durée de l’exclusivité, elle n’interdit pas à d’autres sociétés algériennes, qui voudraient investir dans l’industrie automobile, de chercher des partenaires extérieurs.

La mise au point a sans doute rassuré Arcofina mais, qu’on le veuille ou non, c’est la SNVI – et non pas quelque société privée naissante – qui reste le partenaire le plus crédible pour d’éventuels investisseurs étrangers. De ce point de vue, cette clause monopolistique risque d’annihiler à court terme l’effet même attendu du partenariat entre l’Etat algérien et Renault, celui de convaincre d’autres constructeurs d’investir en Algérie.

La question se pose de savoir si une industrie automobile nationale peut être créée en partenariat avec… le principal exportateur de véhicules vers l’Algérie (113 véhicules vendus en 2012) qui, plus est, possède dans un pays voisin, le Maroc, une grande usine (170.000 véhicules en 2013 et 400.000 à moyen terme, dont 90% destines à l’exportation) ? N’aurait-il pas été plus indiqué de travailler avec des firmes moins dominantes sur le marché local quand bien même, technologiquement, elles seraient moins performantes que les majors européens ? Pour répondre à cette question, il faut quitter le terrain de l’économie pour celui de la politique.

En négociant avec Renault, les autorités algériennes devaient concilier deux « préoccupations » pour ainsi dire : attirer un important IDE hors-hydrocarbures qui soit l’emblème de la « stabilité » bouteflikienne et, dans le même temps, gagner les faveurs de Paris dans un contexte régional trouble, marqué par les révoltes du « Printemps arabe ».