Applaudie à ses débuts par l’ensemble de la communauté bien-pensante française, par des pays tels que la Russie, alliée de l’Occident dans sa lutte contre le véritable islamisme, la campagne malienne suscite aujourd’hui une infinité de questions. Pour tout dire, il n’a fallu que deux mois et des poussières infimes pour refroidir les enthousiasmes les plus ardents. Que l’on nous soupçonne d’être partiaux ou non, une chose est claire : ces questions qui se posent aujourd’hui n’engagent que le bon sens. Sachant que l’épopée malienne se déploie d’une manière particulièrement explicite depuis l’incident tragique d’In Amenas, voici donc ces questions :
– Pourquoi a-t-on poursuivi avec tant de persévérance le groupe Ansar Dine alors que c’est Mokhtar Belmokhtar qui a été le principal organisateur de la prise d’otage ? Ce n’est pas pour disculper Ansar Dine ou redorer son blason que j’insiste sur cette distinction des personnalités mais bien pour préciser que le groupe traqué ne s’est jamais rendu coupable d’attaques terroristes ni sur le sol malien, ni au cœur des territoires limitrophes. Curieux, n’est-ce pas ?
– Il m’apparaît non moins curieux que M. Belmokhtar ait fait preuve de générosité sans précédent en s’en prenant à un site placé sous protection algérienne, britannique et norvégienne donc, en malmenant nos concurrents ? Serait-il masochiste ? Serait-il un agent déguisé servant les intérêts de notre mère-patrie ? Je n’ose même pas développer cette dernière pensée.
– Contradiction pendant au nez : pourquoi attaquer un site gazier algérien alors que l’Algérie avait dès le départ condamné l’ingérence française ? Pourquoi ne pas faire des misères à des Etas stratégiquement solidaires de la France, le Tchad n’en étant qu’un exemple parmi d’autres ? Enfin bref, j’avoue ne plus m’y retrouver.
Assisterions-nous une fois de plus à un coup monté ? Des incohérences non moins frappantes viennent renforcer notre scepticisme quant aux véritables motifs de l’ingérence française assaisonnée du tragisme d’In Amenas. Ainsi :
– On apprend que la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) avait demandé un mandat à l’ONU en juin 2012 pour stopper l’avancée islamiste exportée du territoire libyen. Pour une raison qui reste mystérieuse, l’ONU avait alors fait la sourde oreille. En juin ! Il faudra attendre le 12 octobre 2012 pour que l’ONU se résolve à charger les pays de la Communauté de dresser le « plan de reconquête du Nord Mali ». Quatre mois d’attentisme inexpliqué qui a permis aussi bien à l’Aqmi qu’aux terroristes islamistes droit sortis des ruines libyennes de s’envahir du Nord Mali.
– Le coup d’état orchestré par la capitaine Sanogo précède de trois mois l’alerte lancée par la CEDEAO, puisqu’il a eu lieu le 22 mars 2012. M. Amadou Toumani Touré fut renversé cinq mois avant l’expiration de son mandat qu’il n’avait plus l’intention de réitérer. M. Sanogo prit aussitôt la tête du Comité pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat, Comité soutenu par la France. C’est à ce stade que se retrouvent les prémisses du chaos, entre autres marqué par le découpage du pays en deux.
Ces faits énumérés et problématisés, l’enlisement malien doublé de l’engagement involontaire de l’Algérie rappelle certaines aventures moyen-orientales dont les motifs sont maintenant d’une transparence effarante. Pour avoir une représentation plus concrète du cas algérien, mon collègue, Vassili Koloskov, a interrogé M. Ali Zaoui, expert militaire spécialisé dans les questions sécuritaires à propos de la crise malienne.
La Voix de la Russie. Est-ce que, pour commencer, vous pourriez vous présenter ?
Ali Zaoui. Je suis expert et stratège en lutte anti-terroriste.
Comment définiriez-vous la position de l’Algérie par rapport à l’intervention française au Mali ? Doit-on parler de réserve de la part de l’armée algérienne ou plutôt de franche hostilité ?
Ali Zaoui. L’Algérie ne peut pas s’ingérer dans des pays souverains. Et il y a aussi le Mali qui n’a pas respecté les accords d’Alger. D’autre part, en principe, avant toute intervention étrangère, il faut consulter les pays les pays du champ, c’est-à-dire le Mali, l’Algérie, la Mauritanie et le Niger. On aurait pris des mesures soit sécuritaires, soit politiques. On aurait pu à la base régler le conflit, l’Algérie ayant toujours insisté sur un règlement de compte pacifique qui cette fois a partiellement mis en échec la stratégie d’ingérence.
LVdlR. On dit qu’il y a une véritable guerre psychologique contre l’Algérie et qui aurait commencé par la prise d’otages de ce fameux site gazier d’In Amenas. Pensez-vous que la France avait alors cherché, par le biais d’une opération montée de toutes pièces, à entraîner l’Algérie dans sa lutte ?
Ali Zaoui. C’était justement ça le but ! C’est-à-dire d’entraîner l’Algérie dans le conflit du Sahel.
LVdlR. Du coup, le rapprochement franco-algérien évoqué par les médias occidentaux n’est qu’un rapport de façade ?
Ali Zaoui. C’est bien ça. Toute ingérence au Sahel est susceptible de mettre tout le continent en ébullition. La position géographique du Sahel est plus dangereuse que celle de l’Afghanistan : voisinage arabo-musulman qui connaît pas mal toutes les politiques sécuritaires doublé de l’apparition du mouvement djihadiste-salafiste. La majorité de ces salafistes a rejoint le Sahel, ce qui prouve que la plupart des terroristes de Tiguentourine proviennent des pays marqués par le printemps arabe. Ce que vous devez savoir, c’est que le conflit du Sahel s’étendra à tout le continent africain et au-delà de celui-ci avec ces révolutions engagées dans les pays arabes, partant de la Libye, de l’Egypte via Syrie et un peu plus loin … et aujourd’hui il n’y a même plus d’Aqmi, il faut parler d’Al-Qaïda à l’échelle panafricaine.
LVdlR. L’Algérie est donc la dernière forteresse résistante qui retient l’invasion du continent
Ali Zaoui. Je crois surtout qu’il faut retourner à la table des négociations. Maintenant, avec l’élimination présumée de Belmokhtar et d’Abou Zeid, le Mali doit retourner aux négociations avec tous les représentants des groupes tribaux et annuler les processus bellicistes contre les chefs des mouvements arabes.
LVdlR. Mais la mort de Zeid et de Belmokhtar ne sont pas encore confirmées (?)
Ali Zaoui. Non, on sait de source sûre que Belmokhtar a vraiment été tué. Pour les autres je ne peux pas vous le confirmer, parce que Belmokhtar a été repéré il y a 24 heures avant sa mort dans le massif de l’Adrar. En fait, il s’agit avant tout d’une guerre raciale et ethnique. Elle a changé de cours et les exactions commises contre les groupes tribaux arabes sont passés sous silence sous les regards d’un monde prétendument civilisé. Le retour aux négociations et la médiation algérienne st la seule solution envisageable qui pourrait nous faire sortir de la crise. Sinon, le conflit va se généraliser à l’ensemble du continent africain, sinon, les mouvements terroristes du Nord Mali s’exporteront bien au-delà des frontières qu’il a conquises. On voit ce qui se passe au Nigeria, au Cameroun … On connaît dès lors une autre personne qui prétend vouloir appliquer la Charia en Côte d’Ivoire, c’est El Hadj Abdourahamane Konaté.
LVdlR. Mais l’Algérie fait vraiment des efforts pour maintenir un minimum de stabilité ?
Ali Zaoui. Non-non, l’Algérie maîtrise le dossier africain ! En aucun cas le terrorisme ne nous fait peur, car nous avons 25 ans d’expérience de lutte anti-terroriste … au moment où tous les pays du monde étaient encore aveugles, sourds et muets … L’Algérie était seule contre tous et tout le bassin Méditerranéen avait alors profité de la lutte anti-terroriste menée par l’Algérie. Ce n’est que le 11 septembre 2001 que tout le monde s’est réveillé et a ouvert les yeux » …
L’Algérie semble être à l’heure actuelle le dernier bastion du monde arabe, bastion où, désespéré, le bon sens s’est réfugié. Tiendra-t-il longtemps ? En attendant, les pôles d’attraction islamistes étreignent de plus en plus la bande sahélienne jusqu’à l’asphyxier. On se demande alors si l’uranium algérien valait bien toutes ces machinations géopolitiques avec coups d’état dans les pays africains, soutien viscéral des groupes islamistes jusque là marginalisés, implication de l’Algérie dans un conflit qui n’est certainement pas le sien ? Problématique à suivre …