Le blocage de toute ouverture démocratique attise le mécontentement des Algériens. En l’absence d’un changement, souligne le site américain CounterPunch, la grogne risque de gagner les rangs de l’armée, acteur principal de l’échiquier politique.
L’annonce officielle, le 22 février, de la prochaine candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un quatrième mandat a produit une onde de choc dans la société algérienne. Même s’il n’est pas surprenant qu’un dirigeant autoritaire cherche à prolonger son séjour au pouvoir, dans son cas, beaucoup espéraient que le sévère accident vasculaire cérébral dont il a été victime il y a près d’un an l’empêcherait de se représenter.
Néanmoins, le proche entourage politique de Bouteflika mené par son jeune frère Saïd, sa large clientèle politique et économique fidélisée par des pots-de-vin et des privilèges, ainsi que les militaires de haut rang avec lesquels il maintient des relations étroites ont trop à perdre pour autoriser son retrait. Qui plus est, avec l’extrême arrogance d’un dictateur, Bouteflika aurait apparemment toujours souhaité mourir pendant l’exercice de ses fonctions, de sorte que sa longue carrière politique soit clôturée par des funérailles d’Etat.
Choqués par l’audace avec laquelle les alliés de Bouteflika ont imposé son maintien au pouvoir malgré la perte de ses capacités physiques, de nombreux Algériens sont plus pessimistes que jamais quant à la possibilité d’une ouverture politique, même progressive ou assurée par le régime. Après cinquante ans d’un gouvernement autoritaire fondé sur l’armée, et maintenant que la peur de la réapparition d’un mouvement islamiste armé après l’insurrection sanglante des années 1990 est en train de reculer, les appels à des réformes politiques majeures se font de plus en plus pressants, dans la presse comme dans la rue, amplifiés par la dynamique révolutionnaire – les « printemps arabes » – qui secoue l’ensemble de la région depuis 2011.
L’épuisement des réserves de pétrole
En dehors des contrôles politiques rigoureux et de la répression des mouvements de contestation, les affaires de corruption (et les tentatives flagrantes pour les étouffer), qui ont rapporté des milliards de dollars à Bouteflika et à ses proches collaborateurs, ont éloigné du régime des Algériens qui souffraient du chômage et d’un déclin régulier des conditions sociales. De surcroît, le régime n’a guère contribué à encourager le développement économique à long terme, préférant dilapider les colossales ressources pétrochimiques de l’Etat dans une corruption massive, des versements à court terme pour faire taire certains fauteurs de troubles et des projets phares tels que la construction de la plus grande mosquée d’Afrique et de la majeure partie du monde musulman.
Par ailleurs, il semble désormais communément admis que les rentrées venant de l’étranger, cruciales pour le pays, vont fortement diminuer du fait de l’épuisement des réserves de pétrole et de gaz naturel et de la baisse des cours sur les marchés mondiaux. Un autre traumatisme qui a récemment sapé la légitimité du régime est l’attentat islamiste perpétré en janvier 2013 sur le site gazier d’In Amenas dans le Sahara du Sud algérien et le fiasco de la répression menée par l’armée, qui s’est soldée par la mort de dizaines d’otages étrangers et qui a poussé les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France à réclamer une réforme militaire en contrepartie de la poursuite de leur soutien.
Depuis le mois de septembre 2013, le clan de Bouteflika et des officiers de haut rang ont remplacé plusieurs responsables militaires proches du général Mohamed Toufik Mediène, le patron du DRS – département du renseignement et de la sécurité –, à la fois pour calmer les puissances occidentales et pour mieux préserver leur base politique des vieilles rivalités avec le DRS à l’approche de l’élection présidentielle du 17 avril.
Du théâtre d’ombres
Ces rivalités ont éclaté au grand jour il y a quelques semaines quand Amar Saâdani, à la tête du Front de libération nationale (FLN, au pouvoir), a publiquement dénoncé [le 3 février] la corruption, l’incompétence, les manipulations et l’autoritarisme du général Mediène. Cette attaque en public de la part d’un haut responsable du régime était sans nul doute fomentée et soutenue par les proches de Bouteflika et/ou des officiers de haut rang mécontents de la toute-puissance du DRS.
Le journaliste Hicham Aboud, ancien capitaine du DRS, a riposté par une autre attaque sans précédent, cette fois contre la corruption massive et le lucratif trafic de drogue de Saïd Bouteflika (et le régime dans son ensemble), et il a cherché à mettre Saïd dans l’embarras avec des allégations détaillées sur son homosexualité, considérée comme un crime en Algérie.
David Porter