L’actuel président algérien brigue un 4e mandat présidentiel malgré son mauvais état de santé. Naoufel Brahimi el-Mili, spécialiste du Maghreb revient sur ses succès et ses échecs.
L’actuel président algérien, Abdelaziz Bouteflika, brigue un 4ème mandat présidentiel malgré son mauvais état de santé et sa promesse de laisser la place aux jeunes. Naoufel Brahimi el-Mili, docteur en sciences politiques, spécialiste du Maghreb revient sur ses succès et ses nombreux échecs.
Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a dit d’Abdelaziz Bouteflika qu’il a été un président qui « a tout donné à l’Algérie et qui donnera encore plus ». Qu’a-t-il fait pour le pays depuis son accession au pouvoir en 1999 ?
– Abdelaziz Bouteflika a mis l’Algérie sous les radars internationaux, il lui a donné de la visibilité, c’est indéniable. Il a eu en fait beaucoup de chance, car tout de suite après sa première élection, un agenda funéraire exceptionnel lui a facilité les choses pour tisser des liens et donner des gages. Il a pu, par exemple, lors des obsèques du roi du Maroc, Hassan II, rencontrer Bill Clinton et le Premier ministre israélien, Ehud Barak, sans passer par les lourdes formalités protocolaires. En 1999, il avait une vraie intelligence et un savoir-faire relationnel. Il a séduit le président français Jacques Chirac qui est venu 6 heures juste pour témoigner son soutien aux victimes des inondations de Bab el-Oued ! L’ancien président s’est aussi rendu à Alger en 2004, avant même que le Conseil constitutionnel algérien n’officialise la réélection d’Abdelaziz Bouteflika.
Quelles ont été ses erreurs ?
– Après un premier mandat haut en couleurs [où il a également fait voter en 1999 la charte de la concorde civile, une loi de clémence envers une certaine catégorie de terroristes en échange du dépôt de leurs armes, NDLR], son bilan à l’intérieur est plus mitigé. Son équipe a confondu dépenses et investissements, qui a généré de la corruption et du clientélisme. C’est un pouvoir qui a préféré dépenser au lieu de penser.
Sur les 15 dernières années, l’Algérie a ainsi déboursé 600 milliards de dollars pour faire des ronds-points, des trottoirs, pour calmer les frondes sociales… La plus grosse dépense, qu’il a souhaité pour sa gloire, c’est la Grande Mosquée d’Alger, qui a coûté 1,5 milliard d’euros. Mais il y a aussi l’aéroport de Tiaret, démesuré pour une ville qui a beaucoup moins d’habitants que Marseille intra-muros. Cet aéroport a été construit alors que deux autres sont à moins de 200 kilomètres, que la ville est déjà traversée par l’autoroute et sera desservie par le TGV. En attendant, la plupart des Algériens ne peuvent pas se payer de billet d’avion ! On fait des grands projets, des grandes annonces et on alimente la corruption.
C’est-à-dire ?
– Quand Abdelaziz Bouteflika est arrivé au pouvoir, l’économie était semi-libérale; pour faire des affaires, il fallait être adoubé par un homme politique ou un militaire. Aujourd’hui, pour devenir homme politique, il faut être adoubé par la communauté des affaires. Les hommes d’affaires sont devenus des oligarques qui détiennent la réalité du pouvoir au quotidien. En 15 ans, pas un seul maire, pas un seul député n’a pu être élu sans leur argent. Celui qui est le plus cité par la presse, c’est Ali Haddad, à la tête d’un groupe privé de BTP et qui a aujourd’hui dans son carnet de commande de 15 milliards de dollars et qui a pour client l’Etat. Pour les grands contrats, il est toujours là. Quand sous le ministre de l’Hydraulique d’alors, Abdelmalek Sellal, l’Algérie a construit en 2003 des barrages, le prestataire français Degrémont, a eu comme partenaire obligé, Ali Haddad[Alger plafonne à 49% les parts des investissements étrangers dans les entreprises, une loi votée sous Bouteflika, NDLR]. C’est lui encore qui est associé à la construction des tramways Alstom. Si le secteur privé a pris du poids en Algérie, c’est de manière artificielle. Et beaucoup d’investisseurs étrangers, comme Michelin ont mis la clé sous la porte.
Quel intérêt pour le clan d’Abdelaziz Bouteflika de favoriser des « oligarques » ?
– On a affaire à une classe dirigeante dont le plus jeune a 77 ans et qui a une espérance de vie qui coïncide avec la longévité des réserves en devises, soit entre 5 à 6 ans. A travers ce type de projets, on se fait une clientèle et tant qu’il y a de l’argent dans les caisses… Autre exemple, flagrant, le pouvoir a annoncé la construction de 6 raffineries, sur des terres agricoles, alors que la production baisse et que les cours du baril vont baisser aussi ! L’une d’entre elles ne fonctionne même pas. Tout simplement pour toucher les commissions…
Le printemps arabe n’est pas passé par l’Algérie…
– Sur l’aspect social, comme le pouvoir avait une bonne réserve d’argent, il a concédé des augmentations de salaires avec effet rétroactif jusqu’à trois ans ! Il a, certes, augmenté le pouvoir d’achat mais cela a eu des effets secondaires négatifs comme l’inflation et le déficit de la balance commerciale car tout est importé.
Sur le plan sociétal, aucune loi significative n’a été votée. On attend toujours l’ouverture de l’audiovisuel au privé promis, même si depuis le printemps arabe, il y a eu quelques tolérances.
Lors de son dernier discours public à Sétif, il assurait que sa « génération est finie » et laissait entendre qu’il voulait laisser la place aux jeunes. Que s’est-il passé depuis ?
– C’était juste après le printemps arabe, tous les présidents élus avec des scores défiant l’imagination étaient balayés, le nord du Mali était déjà instable. Il était question qu’Abdelaziz Bouteflika ne termine pas non plus son mandat. Il a donc fait ce discours pour dire qu’il assurerait la stabilité jusqu’à la fin de son mandat et qu’ensuite il jetterait l’éponge. C’était une manœuvre tactique pour terminer son mandat. Ce qui a accéléré la réflexion pour un quatrième mandat c’est quand les justices italienne, suisse et canadienne se sont intéressés aux affaires de corruption[Sonatrach, l’autoroute est-ouest…, NDLR]. On ne pouvait plus protéger la garde rapprochée du président, alors on a décidé qu’il fallait qu’il reste au pouvoir. Problème, il n’a pas de projet d’avenir.
Propos recueillis par Sarah Diffalah – Le Nouvel Observateur