Malgré l’interdiction des autorités, une marche est organisée ce matin dès 11 heures à Alger. Adlène Meddi, rédacteur en chef d’« El Watan week-end », décrypte la situation de son pays.
Quelle tournure cette marche organisée par l’opposition pourrait-elle prendre ?
>> En voyant comment les forces de l’ordre quadrillent plusieurs quartiers d’Alger depuis déjà quelques jours, le scénario le plus plausible est que la manifestation soit complètement bouclée, au risque de provoquer la colère.
La marche est maintenue en dépit des annonces du président Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 1999, qui a promis notamment de lever l’état d’urgence. Les Algériens n’ont pas été convaincus ?
>> Que l’état d’urgence soit levé ou pas, ça ne changera pas grand-chose. Il a été instauré en 1992 pour faire face à une insurrection en donnant des pouvoirs exceptionnels aux autorités sécuritaires. Il a ensuite été maintenu pour dissuader les gens de manifester. Mais il existait déjà des interdictions préfectorales. Son importance est beaucoup plus symbolique que réelle. Par ailleurs, les mesures annoncées pour l’emploi ou le logement existent déjà et sont otages de la bureaucratie, d’incompétences et d’inégalités d’attribution.
Parmi les revendications des Algériens, beaucoup sont d’ordre social. Pourraient-ils aussi, comme les Tunisiens ou les Égyptiens, vouloir renverser le régime en place ?
>> Le problème, ici, relève de la gouvernance, pas des personnes qui gouvernent. On n’a pas personnalisé le pouvoir ou, entre guillemets, le mal. Hormis au sein de quelques mouvements d’intellectuels, il n’y a pas de fixation sur un départ de Bouteflika.
L’Algérie ne devrait donc pas reproduire les modèles tunisien et égyptien ?
>> Non, parce que la distribution du pouvoir, même autoritaire, est beaucoup plus horizontale et compliquée ici. Le pouvoir algérien est fait de réseaux vastes et opaques. Ce n’est pas une personne, une famille ou un clan, comme en Égypte ou en Tunisie.
Bouteflika a attendu un mois depuis les émeutes contre la vie chère de début janvier, qui ont fait cinq morts, avant de répondre aux revendications des Algériens et il l’a fait par le biais d’un communiqué. Quelle est sa stratégie ?
>> En dehors des campagnes électorales, le Président ne s’est jamais adressé aux Algériens, sauf lors de catastrophes comme les inondations de 2002 ou le tremblement de terre de 2003. Sa stratégie de communication est d’être complètement coupé. Est-ce du mépris ou une manière d’élever la fonction présidentielle ? On ne sait pas très bien.
Selon vous, va-t-il tenir ses promesses sur la levée de l’état d’urgence, la libéralisation des médias, la vie chère… ?
>> Il va les tenir mais ça ne va pas changer grand-chose. Il demande à la télévision et à la radio de s’ouvrir aux partis politiques, mais elles ont vécu tant de décennies de dictature qu’elles ont mis en place leur propre censure. Il ne suffit pas d’ordonner des mesures. Il y a toute une réforme très profonde à faire sur les médias, mais aussi sur la politique de l’habitat, le chômage, l’administration et contre la corruption qui a pris des proportions incroyables.
Bouteflika a-t-il les moyens de prendre ces mesures et de se maintenir au pouvoir ?
>> Il se maintiendra au pouvoir, non pas par ces mesures-là, mais parce qu’il y a des calculs au sein même du pouvoir qui le maintiennent.
Il n’y a donc pas, selon vous, de risque d’explosion comme en Égypte ou en Tunisie ?
>> Nous n’avons pas les mêmes ingrédients. La société algérienne reste très marquée par le traumatisme des années 1990 : la fracture entre le pouvoir et les islamistes, puis le traumatisme lié à la violence de cette décennie et qui n’a pas été dit, soigné. Il n’y a pas eu de travail de mémoire. Les gens sont fatigués de la violence et donc un peu réticents aux grands chamboulements.w Un rassemblement de soutien est organisé aujourd’hui à 14 h 30 devant le consulat algérien, 120 rue Solferino à Lille.