On croirait entendre un opposant. Pots-de-vin, détournements de deniers publics, abus de pouvoir, octroi de privilèges injustifiés, sont les principaux délits de corruption en Algérie, en particulier dans le secteur public.
C’est l’aveu fait jeudi 22 septembre par Mokhtar Lakhdari, directeur des Affaires pénales et des grâces au ministère de la Justice. L’absence d’une base de données sur le patrimoine des personnes rend difficile la lutte contre la corruption.
En 2010, les tribunaux algériens ont rendu 948 jugements sur des affaires de corruption et 1 354 personnes ont été reconnues coupables, selon ce haut responsable qui s’exprimait lors d’une journée d’information sur le rôle de la société civile dans la lutte contre ce phénomène.
Pour la même année, les détournements de deniers publics constituent les crimes de corruption les plus répandues avec 475 affaires, suivis de l’abus de fonction (107 affaires), la corruption de fonctionnaires (95 affaires) et l’octroi de privilèges injustifiés dans les marchés publics (79 affaires), selon les chiffres du ministère.
Les collectivités locales (mairies et wilayas) sont durement touchées par le phénomène avec 146 affaires liées à la corruption, suivies par les secteurs de la Poste (133 affaires) et des banques (78 affaires). Bref, presque tout le secteur public.
La partie visible de l’iceberg
Ces chiffres ne constituent que la partie visible de l’iceberg. Les statistiques « ne reflètent pas la véritable ampleur du phénomène de corruption », confie M. Lakhdari. De nombreuses affaires ne sont pas dévoilées ou dénoncées, confesse-t-il encore.
Le directeur des Affaires pénales et des grâces au ministère de la Justice évoque aussi les aspects « cachés » de la corruption, citant la richesse excessive, la dilapidation de deniers publics, la mauvaise réalisation des projets publics, le clientélisme et l’opacité en matière de prestations administratives.
Absence de bases de données
Outre ces crimes liés à la corruption, d’autres ont émergé depuis l’ouverture économique du pays en 1990. « L’ouverture économique et l’absence de mécanismes de contrôle ont favorisé l’émergence de nouvelles formes de corruption », déplore-t-il.
Il s’agit, selon lui, des spéculations sur les marchandises importées, les affaires liées au commerce extérieur et aux banques, à l’utilisation de faux registres de commerce, de transfert illégal de devises et de blanchiment d’argent.
L’absence d’une base de données sur le patrimoine des personnes rend difficile la chasse aux corrompus, admet M. Lakhdari.
L’Algérie était classée à la 92ème place en 2008, à la 111ème place en 2009 et la 105ème en 2010 sur une liste comprenant 178 pays, selon l’ONG Transparency International. En trois ans, le pays a gagné 13 places dans le palmarès des pays les plus corrompus dans le monde.
Arsenal juridique obsolète
Pourtant, les autorités algériennes ont mis en place une batterie de textes juridiques ainsi que des commissions pour tenter de lutter contre la corruption. Mais visiblement, ces arsenaux n’ont pas empêché l’expansion du phénomène. Bien au contraire, celui-ci a plutôt prospéré.
Abdelaziz Rahabi, éphémère ministre de la Communication sous Bouteflika, évoque ainsi le terme de « démocratisation » de la corruption pour expliquer l’ampleur prise par ce fléau au cours de la dernière décennie.
Corruption qui touche les sommets de l’Etat
Depuis plusieurs années, des scandales de corruption touchant de hauts responsables de l’Etat, y compris des ministres dans l’actuel gouvernement, ont été portées sur la place publique.
Les deux plus retentissants sont ceux liés à la gestion de la compagnie pétrolière nationale Sonatrach ainsi qu’au projet de l’autoroute est-ouest.
Dans un câble diplomatique américain rédigé en février 2008, des diplomates s’inquiètaient que la corruption ait atteint les plus hauts sommets de l’Etat algérien.