Malgré d’excellents résultats aux élections locales, le Front de libération nationale a perdu bon nombre de communes qui lui étaient promises. Un tour de passe-passe signé des autres partis algériens.
«Partout ailleurs, gagner une élection signifie que l’on a remporté le scrutin. Pas en Algérie », lâche, désabusé, ce vieux militant du Front de libération nationale (FLN, ex-parti unique) après les élections locales du 29 novembre et les sénatoriales du 29 décembre. Aux premières, le FLN a recueilli plus de 2,2 millions de voix, soit près de 27 % des suffrages exprimés. Une performance qui lui a permis de remporter 7 191 sièges sur les 25 000 mis en jeu. Un tour de force quand on sait que 52 partis étaient engagés dans la course. « Suffisant pour raisonnablement espérer atteindre notre objectif, note Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du parti, qui est de diriger 1 000 communes sur les 1 541 que compte le pays. » Le résultat enregistré six mois auparavant par le FLN aux législatives du 10 mai 2012, première élection post-Printemps arabe, a sans doute conforté les certitudes de Belkhadem. Mais l’esprit des réformes politiques engagées par le président, Abdelaziz Bouteflika, est passé par là. Des 1 000 communes espérées, le FLN n’en a obtenu que 528. Comment un tel scénario a-t-il pu se produire ?
Divisions internes
Trois explications à cette désillusion. La première est liée à la complexité du mode de désignation du président de l’assemblée populaire communale (APC, mairie). La deuxième relève d’un phénomène totalement nouveau dans la pratique démocratique en Algérie, à savoir la volonté de l’ensemble de la classe politique de se liguer contre le « géant FLN » pour faire barrage à ses élus. Quant à la troisième explication, elle découle des problèmes internes du parti qui ont fait voler en éclats la discipline de vote de ses propres élus. Passons en revue ces trois facteurs.
En l’absence d’une majorité, toutes les listes ont été autorisées à briguer la mairie.
Le maire n’est pas désigné directement par le suffrage universel. Selon l’article 80 de la loi électorale, il est choisi dans la liste majoritaire ou, à défaut, dans les listes ayant obtenu 35 % des voix. Or l’émiettement des voix a donné naissance à des assemblées où figurent, dans certains cas, plus de dix partis et où aucune majorité relative ni, a fortiori, absolue ne s’est imposée. Pour éviter tout blocage, Dahou Ould Kablia, ministre de l’Intérieur, a signé une disposition qui permet à toutes les listes, en cas d’absence de majorité, de présenter un candidat à la présidence de l’APC. Cette mesure a permis aux listes minoritaires de s’entendre et de faire barrage aux candidats FLN. À Tlemcen, par exemple, la liste du FLN a réuni 45 % des suffrages. « À cause de l’instruction de Dahou Ould Kablia, déplore Soumaya Brakni, étudiante à l’université de Tlemcen, c’est la tête de liste d’un parti ayant décroché à peine 10 % des suffrages qui a été désignée président. »
Jeu d’alliances
Si Wahid Bouabdallah est convaincu qu’il n’y a pas de complot de l’administration contre le FLN, d’autres y voient la main du pouvoir. « Le ministre de l’Intérieur n’a pas vocation à interpréter les lois mais à les appliquer », maugrée-t-on à Hydra, quartier des hauteurs de la capitale qui abrite le siège du FLN. Doyen de la classe politique, le FLN est assimilé à un appendice du pouvoir, un appareil au service du système en place. Première force politique, son raz-de-marée aux législatives a nourri les jalousies chez ses rivaux, à droite et à gauche, chez les islamistes et les nationalistes, dans l’opposition et au sein de la majorité présidentielle. Ce sentiment s’est très vite traduit par un « tout sauf le FLN » (TS-FLN). C’est ainsi que le parti d’Abdelaziz Belkhadem s’est retrouvé en dehors des alliances postélectorales. Il y eut certes quelques exceptions, comme à Boumerdès, où une alliance FLN-FFS (Front des forces socialistes, de l’opposant Hocine Aït Ahmed) a fait chuter le candidat du Rassemblement national démocratique (RND, de l’ex-Premier ministre Ahmed Ouyahia), qui disposait pourtant de la majorité relative. Mais ces exceptions confirment la règle du TS-FLN. « Je n’aime pas particulièrement le FLN, devenu un parti de corrompus, reconnaît Soumaya, mais ce qui s’est passé est une confiscation du suffrage universel. Quelle que soit la méthode avec laquelle ce parti a engrangé ses voix, elles lui sont acquises. Ces pratiques malsaines faussent le jeu démocratique. » Tout le monde n’a pas les scrupules de Soumaya. Dans les municipalités promises au FLN mais qu’il a perdues, comme Miliana, une cité millénaire de 45 000 habitants où le maire sortant, tête de liste FLN arrivée en première position mais débarquée à la faveur d’un subtil jeu d’alliances, la population a fait la fête en apprenant la nouvelle. « On se fiche de la manière, jubile Benyoucef Tedbirt, retraité de l’agroalimentaire, l’essentiel est que l’on soit parvenu à virer ces voleurs. »
Le vent de dissidence qui souffle sur les structures du parti a contribué à la dilution de sa représentation.
Les manoeuvres de l’Administration et le désir d’abattre le « géant » ne sont pas les seules causes des malheurs du FLN. Le vent de dissidence qui souffle sur les structures du parti a contribué à la dilution de sa représentation. C’est ainsi que, dans certaines municipalités, le candidat FLN a obtenu moins de voix que de sièges remportés par le parti. Les mécontents, comme les appelle Wahid Bouabdallah, ont sévi contre leurs propres têtes de liste. La contestation du secrétaire général du FLN par une partie de son comité central a pris des allures tragicomiques avec un bureau politique éclaté en trois grands courants qui règlent leurs différends sur la place publique. Un vaudeville qui désarçonne la base et affaiblit la discipline des militants.
Et Bouteflika dans tout cela ? Président d’honneur du FLN, « Abdelaziz Bouteflika refuse d’intervenir dans les conflits entre personnes et se place au-dessus de la mêlée », affirme un membre de l’entourage du chef de l’État. En revanche, la confiscation du suffrage universel par l’entremise de pratiques malsaines est un sérieux coup porté aux réformes politiques qu’il tente de mettre en place depuis avril 2011.