Femmes et hommes, petits et grands, il n’est pas rare de voir tout ce monde habillé à la dernière mode.
Les femmes, coquettes et élégantes se pavanent, un sac «Vuitton» en bandoulière, arborant une chemise «Dior» ou portant une jupe «Cacharel» et des sous-vêtements de chez «Lejaby».
Des hommes friment avec des pantalons «Levis» et des baskets «Nike» laissant refléter un luxe et un raffinement qui cachent mal, cependant, cette aversion qu’ont beaucoup d’Algériens à recourir à la friperie.
Hélas! celle-ci est trahie par le côté «délavé» de la chose. Vieux vêtements obligent.
En réalité, le commerce de la friperie, destiné initialement à une frange démunie de la société, est aussi vieux que la misère elle-même.
Fini donc, le lustre d’antan quand beaucoup d’Algériens traversaient la Méditerranée pour aller s’habiller en France ou en Italie.
Les temps de disette ont fini par obliger nos compatriotes à se contenter de fréquenter les chaînes de magasins Tati, Mistigriff ou Sinequanone, à Paris et Marseille pour acheter de la marque dégriffée à petits prix.
Aujourd’hui, crise économique aidant, le recours aux vieux vêtements de friperie est devenu une pratique qui se «démocratise» et se développe comme opportunité offerte à toutes les bourses, même aisées.
A l’origine, c’étaient les tenues militaires déstockées et mises sur le marché à bon prix qui étaient en vogue, allant même lancer une mode chez beaucoup de jeunes.
Au-delà de ces faits, tout un commerce, voire une industrie de vêtements d’occasion s’est structurée, jetant ses tentacules sur des pays sous-développés.
Loin d’être une pratique informelle, les fripiers pratiquent un commerce qui a ses structures et qui ne s’apparente nullement à un commerce au rabais, réservé uniquement à une clientèle précise.
Notre pays est devenu un des clients potentiels des différents fournisseurs étrangers qui trouvent là un créneau juteux.
Des millions de dollars en friperie
La facture est salée pour un produit de collecte, ramassé un peu partout à travers le monde.
Un monde qui se débarrasse de ses détritus en réussissant à les rentabiliser.
La preuve est que près de trente mille tonnes d’articles de friperie ont été importés en 2008 représentant un peu plus de 13 millions de dollars.
Ce saignement, vous diront les économistes, risque de connaître des hausses à voir les chiffres enregistrés lors du seul premier semestre 2009.
L’importation des articles de friperie a atteint, de janvier à juin, un peu plus du chiffre de 21.543 tonnes pour un montant de 9366.772 dollars selon des chiffres avancés par le Cnis (Centre national de l’informatique et des stratistiques).
Cette branche d’activité ne cesse de prendre de l’envergure au vu des chiffres et au fil des années.
En 2007, les importations étaient à peine d’un ordre avoisinant les 10 millions de dollars pour près de vingt-deux mille tonnes de friperie ramenées d’Italie, de France, de Suisse ou d’Allemagne.
Certains autres pays lointains tels que le Canada, les Etats-Unis, la Chine et les Emirats arabes unis sont devenus à leur tour des fournisseurs potentiels de l’Algérie en matière de vêtements d’occasion.
Même la Tunisie s’est placée dans le même giron réussissant à écouler une marchandise du même créneau en réalisant un chiffre de 24.897 dollars durant l’exercice 2008 et quelque 12.742 dollars durant le premier semestre 2009.
Viennent ensuite, la Belgique, la Bulgarie, l’Espagne, les Pays-Bas, le Portugal, la Grande-Bretagne et la Suède.
Ces importations ont atteint une valeur de plus de 6, 400 millions de dollars selon les statistiques fournies par le Cnis.
Des prix défiant toute concurrence
Il faut dire aussi que les petits prix affichés par les revendeurs de ces vêtements usagés sont une invite aux pères de famille attirés par les étals.
L’on peut tomber sur une veste à pas plus de 300 ou 600 DA, des pantalons à moins de 500 DA, des tee-shirts à 20 DA et même des baskets et autres chaussures à 100 DA.
Il est surtout aisé d’habiller sa famille à commencer par les enfants, ce qui ne coûtera pas une fortune.
Le secret réside en fait dans les prix d’achat en gros qui sont incitatifs.
Le kilogramme est vendu en gros entre 0,80 euro et 1,10 euro, le tout emballé dans des balles étanches de 45 ou 55 kg selon l’exigence du client.
Le recours aux presses rend le travail plus efficace et facilite le transport.
Douanes et DCP, une procédure des plus faciles
Les barèmes douaniers appliqués à ce genre de marchandises sont basés sur la pesée.
Une fourchette située entre 26 à 60 DA au kilogramme d’effets vestimentaires est appliquée lors de toute importation des articles de friperie.
Tous les ports d’Algérie reçoivent ce genre de marchandises containérisées.
Une fois la procédure douanière effectuée par le transitaire, une opération de contrôle est entreprise par l’inspection portuaire de la DCP.
Cette structure soumet la marchandise à plusieurs certifications prouvant que le produit est sain et ne comportant aucune maladie, délivrant enfin, le certificat d’admission autorisant l’introduction du produit sur le territoire national et sa commercialisation.
Au préalable, la marchandise est soumise au contrôle de conformité par les laboratoires SGF.
Une relation complice
La demande existante a favorisé l’accroissement du nombre de revendeurs de vêtements de friperie qui ont trouvé là une activité fructueuse et florissante.
Cela a, d’ailleurs, incité à la naissance d’une relation de fidélité entre vendeurs et clients.
Certains sont même nantis de privilèges et jouissent, dans les différents magasins, du statut de VIP, ce qui leur permet d’être mieux servis.
Les femmes qui sont de plus en plus «accros», ne se montrent plus gênées de déambuler dans les espaces réduits de ces boutiques ou elles vont faire leurs emplettes.
Coquettes et élégantes, l’air de personnes occupant un poste dans une quelconque administration, elles prennent le temps de flâner à la recherche de leur «bonheur».
Fidélisées, leurs liens se sont accentués au fil des mois au point de jouir de certaines marques de la part du vendeur qui, connaissant désormais, les goûts et les tailles de ces dames, leur met de «côté» des vêtements de premier choix ou fichus de marque.
Tout est à prendre, de la chaussure au sac à main en passant même par les sous-vêtements qui sont prisés par ces clientes.
Le cas est identique pour certains hommes, passés adeptes de friperie. Roulant carrosse, ils ne s’empêchent pas d’aller farfouiller dans ces échoppes en quête d’une bonne affaire.
Les plus heureux sont ceux qui parviennent à dénicher un vêtement «griffé». Lacoste, Puma, Springfield, la marque est le voeu de chaque client mais hélas! ce n’est pas chose courante et il faut compter sur la sympathie du vendeur pour pouvoir y accéder à moindre prix.
La clientèle est plutôt hétéroclite. Aisée, désoeuvrée, fonctionnaires, femmes et hommes, tout le monde se côtoie en ces magasins de friperie.
Seuls les statuts des uns et des autres différent mais le produit d’attraction est le même.
A Chéraga, l’un de ces magasins de friperie affiche un étal très fourni en vêtements de friperie. La boutique est bien achalandée.
On y trouve de tout. Habits de femmes, d’hommes et d’enfants. Les prix sont très abordables.
Son patron s’est montré prolixe en expliquant les rouages de ce microsystème. Pour lui, c’est «une soupape sociale» puisque permettant aux gens de tous bords de trouver ce qu’ils recherchent et qu’ils ne risquent pas de dénicher dans des magasins vendant des produits locaux.
Les plus démunis trouvent leur bonheur à petits prix, notamment à la veille de la rentrée scolaire ou de l’Aïd.
Les plus aisés orientent leur quête sur la marque. Cela peut se faire selon les arrivages et les balles, explique ce commerçant qui évite cependant de parler de son chiffre d’affaires, superstition oblige beaucoup plus que par discrétion, mais assure que les fripiers trouvent bien leur compte.
Azzedine BELFERAG