Algérie : qui se souvient de Fellag ?

Algérie : qui se souvient de Fellag ?

Comment peut-on parler de Fellag, l’accabler quand on a passé sa vie à glander ? A tenir les murs bringuebalants d’Alger. D’ailleurs, depuis que les insultes ont commencé, beaucoup de ces remparts sont tombés.

Mohand Saïd Fellag

Quel Algérien parle aujourd’hui des deux tours construites sur l’emplacement des halles d’Alger, à Belcourt, achetées en entier sur plan et qui se sont avérées inhabitables ? Elles sont penchées l’une sur l’autre. Les twin towers d’Alger, Fellag en rit. Comme il rit de toutes nos outrances. Un jour, j’étais avec mes belles-soeurs et ma femme à Beni Houa, dans le Gouraya. Dès qu’elles se sont mises en maillot de bain, un barbu mécontent ou très frustré a pris un bloc de pierre ramassé sur la plage avant de se mettre à chercher un angle de tir. Pour les atteindre. Pour nous toucher ? C’était ridicule.

Un jour, des amis, artistes, qui venaient me rendre visite à Thénia (Menerville) se font arrêter à Tidjelabine. Ils étaient tous deux barbus. La gendarmerie, installée à demeure sur les lieux, les soupçonne d’être plus ou moins islamistes, plus ou moins terroristes. Pour s’en sortir, les copains exhalent, soufflent leur haleine alcoolisée à la face des militaires. Hilarité générale. Passez !

Fellag n’est pas un imposteur. C’est un criminel. Je l’ai vu égorger un lapin pour en faire un civet aux olives. Grave ! Les Algériens rêvent d’Amérique. D’espaces lointains. De vies à faire ailleurs. En 1985, Fellag était revenu de tout ça. Il avait fait le tour du monde et était rentré en Algérie déçu mais déterminé à refaire sa vie chez lui. En Algérie. Lui qui a été un des premiers comédiens formé à l’institut national des arts dramatiques de Bordj El Kiffan (INADC) a retrouvé ses amis premiers, son métier, son théâtre.

Connu comme humoriste, Moh Saïd Fellag entame sa nouvelle carrière en Algérie par un rôle dramatique sur les planches du théâtre d’Alger. Il brille. Au bout de quelques mois, Fellag s’ennuie. Il est trop libre. Au bout de quelques années, Fellag prend un « Bateau pour l’Australie » après avoir été pris sérieusement pour « Tchop », un clown. Il embarque pour le « Djurdjurassique park ». Il part à la rencontre des ancêtres, ailleurs, sur d’autres terres. Que peut-on lui reprocher, lui qui a tenu des carnets hallucinants, qui révèlent son talent de chroniqueur. Parmi les livres qu’il a publié, « C’est à Alger » raconte l’absurdité des actes ignobles commis pendant la décennie rouge.

Fellag, installé aujourd’hui en France, fait ce qu’il peut pour parler de son pays qu’il n’a pas tout à fait perdu mais duquel il a été tout de même chassé avec femmes et enfants par des islamistes. Fellag, comme tant d’autres artistes, a été menacé très sérieusement, de mort. Ceux qui sont restés sont aujourd’hui sous terre. Lui a eu la chance de partir à temps. L’Algérie a la chance de retrouver, maintenant, Fellag, bien vivant, agissant. On le voit sur tous les écrans de télé du monde. On le voit sur toutes les scènes de théâtre du monde.

On le voit sur tous les journaux du monde. Fellag est devenu sans jamais l’avoir demandé, un ambassadeur du pays qui le boude aujourd’hui.

Je ne voudrais pas terminer ce petit topo sur Moh Saïd sans raconter un anecdote vécue ensemble. Sur le plateau d’un film, frappé d’anathème par l’ENTV et le pouvoir algérien, « début de saison » d’Ali Mouzaoui, on se retrouve au milieu du Djurdjura encerclé par l’armée française. Les figurants sont censés nous tirer dessus. Ils nous tirent dessus. Nous sommes au cinéma. Les balles sont à blanc. Non, et bien en Algérie, les figurants étaient des chasseurs, ils jouaient avec leurs propres armes, ils tiraient avec leurs propres balles. Coupez. Il y a pause. Un vol de pigeons passe dans le ciel de Kabylie, nos figurants tirent vers le ciel et descendent une vingtaine de volatiles. Ils nous tiraient dessus, pendant le tournage, à balles réelles. C’est ça le cinéma algérien. That’s all folks !

Entretien

Lematindz : Moh Saïd Fellag, Rue des petites daurades a déclenché chez toi une frénésie d’écriture. Comment ça s’est produit ?

Moh Saïd Fellag : J’ai toujours beaucoup écrit. De tout. Des tentatives de romans, des nouvelles, des pièces de théâtre, des scénarios courts, moyens, des longs-métrages, de la poésie et beaucoup de conneries. Pour des tas de raisons, (voyages, tournées…) la plupart de ces chantiers d’écriture n’avaient pas abouti. Je sautais d’un sujet à l’autre, d’un style à un autre. Il faut dire qu’en même temps que le désir d’écriture m’animait, je ne croyais pas du tout en moi. J’étais un grand lecteur et les écrivains m’impressionnaient beaucoup. J’étais loin de croire que j’étais capable d’écrire une bonne ligne. Je faisais ça juste pour m’amuser. C’est l’écriture de mes spectacles qui m’a appris à me discipliner. Tout s’est déclenché à partir de là. Ensuite, dès l’apparition du roman Rue des petites daurades, les histoires longtemps contenues, sont venues sonner à la porte.

Tous les Algériens sont des mécaniciens, c’est ainsi que tu as intitulé une de tes pièces de théâtre, celle qui t’a valu le plus de reproches. As-tu quelque chose contre les mécaniciens ? Contre les Algériens ?

La plupart de ceux qui ont fait des reproches sont une minorité infime et ils n’ont jamais vu le spectacle. Ils ont profité de l’opportunité qu’offrait le titre pour me descendre. Tous les Algériens sont des mécaniciens est une pièce de théâtre. Ce n’est ni un jugement, ni une insulte, ni un constat. Le titre est lié à une situation théâtrale. Et comme tu le sais, cher Méziane, au théâtre ce n’est pas comme dans la vie. Le théâtre use de métaphores pour démonter ou démontrer des situations par l’absurde. En utilisant cette image de « mécaniciens », j’ai rendu hommage par le biais de la mécanique aux Algériens qui par leur sens extraordinaire de la débrouille et du bidouillage arrivent à survivre en réparant le moteur d’un pays qui est très souvent grippé. J’aime les mécaniciens et j’aime beaucoup les Algériens… qui ont le sens et la distance de l’humour. Et heureusement il y en a énormément. Les dizaines de milliers de spectateurs qui sont venus voir Tous les Algériens sont des mécaniciens l’ont prouvé tous les soirs.

Fellag, je te connais, je t’apprécie énormément, nous avons partagé beaucoup de moments inoubliables. Pourquoi d’après toi, et malgré tous tes efforts quelques Algériens te réservent de l’animosité.

C’est normal. Heureusement. Je ne brosse pas dans le sens du poil, je peux donc heurter certaines sensibilités. Si je faisais le consensus, ce serait grave. Cela voudrait dire que je ne suis pas sincère. Aucun acteur, chanteur, cinéaste, romancier, peintre, intellectuel, homme politique, au monde, ne fait consensus. Ce serait bizarre. Il est impossible d’être estimé par tous les Algériens car chaque Algérien est un Algérien à part. Il n’y a pas une façon d’être Algérien. Si c’était le cas, cela voudrait dire que nous n’avons pas de conscience individuelle. Chacun regarde le monde par sa fenêtre et juge les autres à travers la vision qu’il en a. Quant à ceux qui expriment de « l’animosité » à mon égard, je crois qu’ils se trompent de cible. Je ne suis pas responsable des situations que j’essaie de cerner à ma façon afin de les dénoncer. C’est quand même dommage de s’en prendre à un humoriste, un raconteur d’histoires. C’est trop facile, tu ne trouves pas ?

Fellag tu as réussi. Tu gagnes de l’argent. Tu vis ta vie. Est-ce que c’est gênant ?

Mon but est de m’exprimer, sauvegarder et poursuivre mon art, en essayant d’emmener mes spectateurs toujours un peu plus loin. Et cela demande du travail. J’essaie de le faire du mieux que je le peux car je ne veux pas servir de la soupe ou utiliser des recettes. Pour cela, je travaille beaucoup. L’écriture et le montage d’un spectacle me prend une année. Ensuite je suis tous les soirs sur scène. Je fais de longues séries et tournées. Je gagne donc correctement (pas plus) ma vie, à la sueur de mon front. Je ne suis donc pas gêné. Je travaille dur, je me fais plaisir et je donne du bonheur à mes spectateurs. C’est ma plus grande richesse. Tu t’y es frotté toi aussi à ce métier, et tu sais qu’il faut des nerfs d’acier pour le pratiquer. C’est un art difficile où il faut se surpasser physiquement et il est extrêmement stressant. Il faut puiser chaque jour des énergies nouvelles pour aller au charbon. Et ce n’est pas une image.

Tu as traversé un long chemin, Alger, Montréal, New York, San Francisco, Genève, Bruxelles, Tizi-Ouzou, combien de villes d’olivier avons-nous oublié ? Comment un enfant d’Azzefoun et de la Casbah ou de Bab-El-Oued peut devenir une star…

La passion et le travail sont le secret de toutes choses. Personnellement, je ne me considère pas comme une star et ne vis pas ma carrière sous cet angle. Je me sens beaucoup plus comme un artisan attelé à la tâche et qui affine son métier.

Aujourd’hui tu fais du one man show, il y a quelques années, tu étais comédien au cinéma, tu as été un membre important d’une troupe du théâtre algérien. Tu as beaucoup navigué. Pourquoi navigues-tu ?

Je souscris avec Gabriel Garcia Marquez dont l’énorme biographie s’intitule Vivre pour la raconter. Je navigue pour me chercher, chercher les autres et me frotter à leur expérience, vivre, apprendre, connaître, humer, découvrir une partie de l’infinie et surprenante énergie du monde au lieu de passer ma petite vie à regarder tourner mon nombril. Vivre pour raconter, raconter pour vivre.

Quels sont tes projets en cours ?

Je continue à jouer en tournée « Petits chocs des civilisations ». Une quarantaine représentations en France, et ce jusqu’à la fin décembre 2013. Je finis un roman qui paraîtra en janvier 2014. J’attaque ensuite l’écriture de mon prochain spectacle. Et je suis sur deux projets de films importants et qui sont en développement. Nous espérons que les tournages se feront en 2014. Voilà, tu sais tout…

Entretien réalisé par Meziane Ourad