Pourquoi la victoire du pouvoir algérien aux élections législatives du 10 mai est fragile.
Qui est le vainqueur des élections législatives algériennes du jeudi 10 mai? Officiellement, c’est l’alliance présidentielle qui a remporté la mise.
Avec 288 sièges, le duo Front de libération nationale (FLN) et Rassemblement national démocratique (RND) dispose de la majorité absolue dans une Assemblée populaire nationale (APN) où siègeront 462 députés.
Mais c’est surtout le FLN qui occupe désormais la pôle position du jeu politique algérien, du moins sa façade apparente.
Avec 220 députés, l’ancien parti unique (1962-1989) redevient central vingt ans après avoir failli disparaître pour s’être compromis, de l’avis du pouvoir réel algérien (services secrets, cercle présidentiel, milieux d’affaires), avec l’ex-Front islamique du salut (FIS, interdit).
Aujourd’hui, il ne semble plus être question de renommer le FLN ou de le dissoudre en arguant du fait que ce parti est légataire de combats et d’engagements qui appartiennent à tous les Algériens.
Reste à savoir quelle est la nature de cette victoire électorale et si on peut considérer qu’elle est pérenne.
Le FLN peut dire merci aux abstentionnistes
L’une des raisons principales de la percée du FLN est l’abstention.
En atteignant un taux de 57,1%, cette dernière a ouvert la voie aux électeurs de la djabha (le Front).
C’est ce que relève avec pertinence le site Maghreb Emergent:
«En réalité, le résultat est la confirmation de la remarquable pérennité d’un noyau électoral FLN estimé entre 20 et 25% en général très discipliné. Le même noyau qui existait en 1991 lors des élections emportées par le FIS au premier tour se retrouve durant les autres scrutins. Avec cette force électorale stable, c’est le niveau de participation global qui détermine le poids du FLN au sein de l’assemblée».
De son côté, l’éditorialiste du Quotidien d’Oran M. Saadoune, peut-être le meilleur analyste politique algérien, fait le lien entre l’âge des votants et leur lien raisonné avec le FLN.
«Il était loisible, jeudi [10 mai], de constater que sur les 42,9% de votants, il y avait une forte proportion de personnes âgées, des plus de cinquante ans. C’est dans cette catégorie que le discours sur la menace étrangère, thématique martelée dans la campagne du gouvernement, a fait le plus mouche. Cela ne signifie pas nécessairement que ces personnes âgées soient plus « crédules » que les jeunes qui ont assez massivement déserté les urnes. Elles ont probablement une autre culture politique -parfois plus élaborée que celle des jeunes- qui les rend enclines, sans être satisfaites du fonctionnement du système, à souhaiter des réponses pacifiques et ordonnées. On peut ajouter que leur situation sociale et leur âge même les rendent plus « patientes » et moins impétueuses que les jeunes».
Gagnant et perdant à la fois
Mais si l’alliance présidentielle a gagné, elle ne peut revendiquer une victoire totale.
Quand plus d’un électeur sur deux ne se déplace pas pour voter, c’est que la compétition n’est guère significative et qu’elle n’a pas été à la hauteur des attentes du pouvoir algérien et du président Abdelaziz Bouteflika. Cela veut dire que rien n’est encore réglé dans le paysage politique algérien puisqu’une bonne partie du peuple reste en dehors du jeu politique.
Tout cela oblige aussi à réfléchir aux raisons de l’abstention. Des raisons qui, finalement, désignent les perdants du scrutin.
Et, de manière paraoxale, il y a parmi eux le pouvoir algérien car nombreux sont ceux qui n’ont pas voté parce qu’ils ne font plus confiance au système, parce qu’ils se disent que des décennies de trucage, de coups tordus et d’urnes bourrées ne pouvaient disparaître comme par enchantement.
En dehors de sa base nationaliste, persuadée que le Printemps arabe n’est rien d’autre qu’un complot occidental, le pouvoir algérien n’a pas convaincu le reste des électeurs.
Cela peut augurer de problèmes à venir. Que se passera-t-il si, d’aventure, le régime s’avère incapable de maintenir la paix sociale? Que se passera-t-il si la patience des Algériens arrive à son terme? Attendront-ils sagement l’élection présidentielle de 2014? Rien ne le dit même si ce rendez-vous est désormais dans toutes têtes.
Quelle défaite pour quels islamistes ?
Bien entendu, le grand perdant du scrutin reste la coalition islamiste qui se voyait en haut de l’affiche avant de n’obtenir que 48 sièges.
Toujours prompts à prendre leurs désirs pour des réalités, nombreux sont les démocrates algériens, imités en cela par leurs homologues tunisiens ou marocains, qui y ont vu une déroute totale de l’islamisme.
Or, ce serait faire preuve de malhonnêteté intellectuelle que d’affirmer que cette défaite de l’Alliance pour une Algérie verte est une défaite de tous les islamistes.
On feint ainsi d’oublier que le Mouvement de la Société pour la Paix (MSP), pivot de cette coalition islamiste, est une formation légale, cliente du système, à l’ancrage réel des plus incertains et qui a toujours bénéficié des bonnes attentions, y compris matérielles, du pouvoir algérien.
Un pouvoir dont elle a d’ailleurs été un soutien actif jusqu’en janvier 2012… A l’époque, après plus d’une décennie de bons et loyaux services au profit d’un pouvoir obsédé par l’idée de faire oublier le FIS, le MSP a cru que son heure était arrivée.
C’est alors qu’il a quitté la coalition présidentielle –d’aucuns à Alger affirment qu’il a été encouragé par le faire par les services de sécurité qui lui auraient fait miroiter une grosse victoire électorale– pour essayer de mettre ses pas dans ceux de ses homologues tunisiens, égyptiens et marocains.
Au final, sa défaite électorale permet aux autorités algériennes de clamer que l’islamisme politique a été vaincu et le MSP et ses dirigeants réalisent aujourd’hui avec amertume qu’ils ont été à la fois manipulés et ridiculisés. En ne votant pas pour l’Alliance verte, nombre d’électeurs algériens ont certainement renvoyé le MSP à ses compromissions passées avec le pouvoir mais rien ne dit qu’ils se sont définitivement détournés de l’islamisme politique.
Au final, cette défaite des islamistes légaux oblige à poser la question qui a pesé sur tout le scrutin. Quel score aurait réalisé l’ex-Front islamique du salut (FIS) s’il avait été autorisé à se présenter?
Personne ne peut répondre à une telle question mais l’ampleur de l’abstention permet aujourd’hui aux leaders du FIS de dire que leurs appels au boycott ont été entendus. Quoique l’on dise, la question de l’influence réelle de l’islamisme radical reste encore posée.
Akram Belkaïd