Mme Zohra Drif-Bitat, vice-présidente du Conseil de la nation, Mme Benhabylès Saïda, ancienne ministre et coordinatrice dans le mouvement associatif, Mme Françoise Agli, vice-présidente de SEVE, Mme Haddad Nacéra, chef d’entreprise, invitées d’El Moudjahid.
Des associations militant pour la promotion des droits de la femme ont affirmé hier, à Alger que la femme algérienne occupe pleinement l’espace socioéconomique mais elle reste faiblement représentée sur la scène politique.
« Les femmes ont investi l’espace public depuis les années 1980 en s’imposant dans la sphère socioéconomique, mais elles percent difficilement dans le domaine politique », a constaté la vice-présidente du Conseil de la nation, Mme Zohra Drif-Bitat, à l’occasion de la tenue d’une table ronde au forum d’El Moudjahid sous le thème de « la place de la femme dans l’espace public ».
« Est-ce que la femme algérienne participe autant que l’homme dans la phase de prise de décision au niveau des hautes sphères politiques », s’est interrogée Mme Drif-Bitat qui est aussi présidente d’une association pour la promotion des droits de la femme. Elle a souligné, dans le même cadre, que le pari est loin d’être gagné car le taux de 8% d’occupation de la femme de la scène politique traduit, à lui seul, la « très faible participation de la femme dans le domaine politique ».

Pour sa part, Mme Saïda Benhabylès, présidente du Mouvement féministe pour la solidarité avec la famille rurale, a affirmé que l’émergence de la femme dans l’espace public a été favorisée par la société civile et le multipartisme.
Elle a relevé, dans ce sens, les « obstacles » rencontrés par la femme dans le domaine politique, où cette dernière est « timidement » représentée. « Au cours des années de braises, endurées par l’Algérie, ce sont les femmes qui étaient au devant de la scène pour s’élever contre le terrorisme et les tueries », a rappelé Mme Benhabylès.
Elle a ajouté, dans le même cadre, que « ces femmes n’ont répondu à aucun appel de partis politiques mais elles sont sorties spontanément pour s’élever contre le terrorisme ». La femme algérienne, a-t-elle poursuivi, est imprégnée de valeurs ancestrales qui l’a favorisent à occuper l’espace public y compris l’espace politique.
Par ailleurs, la vice-présidente de l’Association des femmes chefs d’entreprises (SEVE) Mme Françoise Agli a remercié le ministère des PME d’avoir tendu une « main généreuse » aux femmes chefs d’entreprises en leur assurant son aide en cas de difficulté.
Le Centre de presse a reçu hier dans le cadre d’une table ronde, et sur le thème de la place de la femme dans l’espace public, Mme Zohra Drif-Bitat, vice-présidente du Conseil de la nation, Mme Benhabylès Saïda, ancienne ministre et coordinatrice dans le mouvement associatif, Mme Françoise Agli vice-président de l’association SEVE et chef d’entreprise, Mme Haddad Nacéra, chef d’entreprise et membre de l’exécutif de SEVE.
Une présence consacrée par les textes
La première à intervenir a été Mme Zohra Drif-Bitat, qui rappelle que la présence de la femme dans l’espace public est consacré par les textes fondamentaux et l’arsenal juridique. Ce rôle de la femme relève d’un problème de société. L’espace public a commencé à être occupé de manière régulière et forte depuis les années 80 où la mobilisation a été grande. Les femmes ont été partie prenante pour se battre au service de la cause de la femme et de la défense de ses droits, mais aussi au service du pays. L’oratrice s’interroge de savoir, c’est quoi l’espace public ? C’est en fait tout ce qui fait la sphère socio-économique, mais aussi la sphère politique permettant aux femmes de se manifester par la parole et l’action. Cela étant, il y a un espace public par opposition à un espace privé. L’espace public c’est par rapport à l’espace privé dans lequel la femme est restée confinée dans le foyer, reproductrice et gestionnaire des affaires du foyer.
Rendre la parole aux femmes
Pour la vice-présidente du Conseil de la nation, tous les mouvements féministes ont eu pour but essentiel de rendre la parole à la femme et de lui permettre l’action en dehors de la sphère privée. C’est un mouvement mondial. Dans chaque pays, les femmes sont arrivées en franchissant des étapes toujours très difficiles. En ce qui concerne notre pays, lors de la guerre de Libération nationale pour la première fois, la femme a démontré que l’espace public qui était celui des hommes pouvait être investi par elle, qu’elle avait la capacité d’assurer le rôle qui était traditionnellement dévolu aux hommes. Cette situation de fait, nous permet aujourd’hui de rebondir pour entrevoir d’autres perspectives. L’étape inscrite dans la guerre de Libération a été un moment particulier. Par la suite, le mouvement féministe a commencé à se développer en Algérie à travers les différentes organisations quelles que soient leur forme juridique ou réglementaire, c’est là où le combat a commencé à être mené, tenant compte des acquis du passé et pour postuler à un statut.
Réfléchir sur les perspectives offertes
Zohra Drif-Bitat, relève que ce qui peut paraître intéressant, c’est qu’ensemble on puisse réfléchir sur les perspectives offertes ou qui s’offrent pour la femme. Celle-ci durant sa présence au sein de la sphère privée paraissait exclue, c’est en investissant l’espace public qu’elle a émergé. L’oratrice affirme que la femme algérienne s’est investie dans cet espace sans traditions, sans expérience qui ne pouvaient provenir que des aînés et qu’ils n’ont pas transmis.
La femme a découvert dans l’espace public, ce que les hommes avaient capitalisés à l’intérieur des partis politiques Mme Zohra Drif-Bitat préconise de sortir des sentiers battus et que les femmes réfléchissent ensemble à ce qui pourra être fait sur le terrain. Aujourd’hui les femmes s’imposent dans l’espace public, bien qu’il y ait encore des verrouillages. L’oratrice estime qu’il y a une lutte qui est engagée. Elle est loin d’être achevée pour que les femmes investissent pleinement l’espace sur lequel elles ont des droits, qu’il soit politique, socio-économique ou autre.
Le combat de la femme algérienne est ancestral
Intervenant à son tour, Mme Benhabylès, note que le combat de la femme est ancestral. Elle cite le cas illustre de Fatma N’soumer, héroïne algérienne, issue du milieu rural algérien et que rien ne prédisposait à la résistance. C’est pourtant ce à quoi elle s’est engagée contre l’ennemi. Il s’agit d’un élan spontané. C’est ce même élan qui a permis à la femme algériennes d’occuper une place dans l’espace public. Beaucoup de ces femmes sont analphabètes. Ce n’est donc ni l’école ni l’université qui permettent obligatoirement aux femmes d’occuper l’espace public. En occupant cet espace, les femmes ont eu à consentir beaucoup de sacrifices. Les massacres du 8 Mai 45 font rappeler, note l’oratrice, que beaucoup de femmes ont participé aux grandes manifestation à cette date. Beaucoup aussi sont mortes au champ d’honneur. On peut rappeler aussi le sacrifice des femmes lors des manifestations du 11 Décembre 1960.
Etre des citoyennes
Les femmes ont exprimé à travers leur geste cette volonté d’être des citoyennes à part entière. L’enseignement et l’éducation ont tout de même contribué grandement à la promotion de la femme, reconnait l’oratrice. La démocratisation de l’enseignement a été une étape importante pour cela.
Les choses ont évolué permettant aux femmes de marquer en plus leur présence dans le champ socio-économique notamment et dans le monde du travail. Le problème, c’est qu’il y a un grand décalage, relève Mme Benhabylès, entre la présence des femmes dans l’espace public et leur intégration dans la sphère politique qui reste à faire pour l’essentiel, là où elles trouvent encore beaucoup de difficultés.
Les associations de femmes ont dépassé les partis politiques
Le mouvement associatif, la société civile, le multipartisme, la réforme constitutionnelle, la loi de 1991 libérant les activités politiques et associatives, toutes ces étapes ont permis aux femmes d’occuper l’espace public, où très souvent à travers le mouvement associatif, elles ont pu doubler les partis politiques, cela a été parfaitement visible lors de la décennie rouge, relève l’oratrice, où elle affirme n’avoir vu aucun parti politique sur le terrain, alors que le mouvement associatif était particulièrement actif, à travers la formation de comités de villages, des associations professionnelles, etc.
La société civile, un puissant rôle d’organisation
Pour Mme Benhabylès, la société civile est pour beaucoup dans l’émergence de la présence féminine dans l’espace public. Ces femmes n’ont pas répondu à un appel de partis politiques ou autres. C’est une réaction spontanée. Ce fut un élan qui a permis aux femmes d’occuper, y compris dans les moments les plus tragiques vécus par le pays, cette place éminente, conçue comme une aspiration à la liberté, la justice qui sont certes des valeurs universelles mais qui pour la société algérienne restent des valeurs ancestrales. Pour Mme Françoise Agli, la société algérienne est une société qui a ses références. Elle a aussi ses traditions.
Traditionnellement donc, c’est l’homme qui assurait la subsistance de la famille. Viennent ensuite, selon l’oratrice, les bouleversements économiques qui ont raréfié l’emploi. C’est ce qui a incité les femmes à chercher à participer à l’entretien de la famille. L’oratrice voit dans l’école un moyen important de promotion sociale pour la femme. La représentante de SEVE parle aussi des problèmes démographiques qui ont amené d’autres besoins, dit-elle, à s’exprimer. Mais les femmes ont dû lutter pour s’imposer.
L’école a contribué à élargir le rôle de la femme
Le mouvement associatif, l’école, encore une fois, ont beaucoup contribué à élargir la place de la femme dans l’espace public, selon le point de vue de l’oratrice. Les femmes se sont constituées habilement en réseaux. L’insertion de la femme dans le monde socio-économique, dans le monde du travail n’a guère été aisée. Il faut reconnaître que pour les hommes, la tâche était difficile également, (difficulté d’accès au crédit, d’acquisition du foncier, etc.) Il y a eu en plus pour la femme, la nécessité d’une bonne connaissance de l’environnement économique, une bonne connaissance du terrain. A SEVE, il y a des femmes qui ont réussi à créer des entreprises. Nous organisons et nous permettons des rencontres, la création de partenariats à l’échelle internationale.
Le ministère de la PME, un rôle positif
L’oratrice rend un hommage particulier au ministère de la PME, qui a tendu, dit elle, une main généreuse aux organisations féminines et voulait s’enquérir d’entreprises qui éprouvaient des difficultés sur le terrain pour pouvoir organiser l’aide nécessaire. Sur le volet politique, la vice-présidente de SEVE fait la même constatation que les autres intervenantes en reconnaissant que la présence de la femme dans la vie politique est faible. Peu de femmes le sont aussi dans les partis politiques. Il y a nécessité, affirme l’oratrice, à s’impliquer dans la politique, c’est notre vie qui en dépend, conclut-elle.
Pour Mme Haddad, chef d’entreprise et membre du comité exécutif de SEVE, il y a une réalité qu’il ne faut pas occulter, c’est qu’aujourd’hui beaucoup d’activités administratives ou économiques dépendent des femmes.
Elle cite comme référence, la célébration de la Journée du 8 mars, Journée internationale de la femme, qui est une hantise pour les responsables, dit-elle, à cause de l’absence de ces femmes.
L’intervention de la femme, un élan spontané
Mme Haddad fait remarquer elle aussi l’élan spontané de la femme pour occuper des places dans l’espace public. Elle rappelle la participation de la femme à la guerre de Libération nationale où la femme luttait aux côtés de l’homme et jouissait du plus grand respect de celui-ci. Sur le parcours des femmes depuis l’indépendance, Mme Haddad souligne que celles-ci ont fait très rapidement le chemin que d’autres femmes et dans d’autres pays ont mis longtemps à effectuer. Les femmes, dit-elle, sont en train de redonner un sens à la valeur travail. Avoir un statut, un espace, les textes le permettent.
Beaucoup de résistance encore
Il y a encore beaucoup de résistance, mais il faut y aller, relève l’oratrice, pour créer des entreprises citoyennes. Il y a des ressources sur le plan humain. Mme bernacles, intervenant dans le débat, demande à ce que les femmes soient considérées au vu de leurs compétences, en fonction de leur énergie.
L’oratrice demande à ce que l’on se penche expressément sur le sort de ces centaines de femmes qui ont occupé l’espace public poussées par la misère.
Elle occupent un espace public, mais espace qui reste très dangereux (prostitution, etc.) On a tout intérêt, dit-elle, à ce que l’on se penche sur le cas de ces femmes.
Le code de la famille a réglé beaucoup de problèmes
Pour Mme Bitat, intervenant dans le débat, sur le plan légal, bien des problèmes que connaissent les femmes sont réglés notamment au travers du code de la famille.
C’est au niveau de l’application de ces textes que les problèmes continuent à se poser.
Mme Benhabylès trouve que c’est dans la solidarité que peuvent se régler les problèmes. Il faut casser les tabous, dit-elle.
L’oratrice reconnait que les femmes ne constituent pas encore, à travers leur organisation même, une véritable force de proposition. Mme Bitat note que ce problème de solidarité n’est pas propre à l’Algérie, quand Mme Agli fait remarquer que les lois sont surtout faites par les hommes et souvent à leur mesure.
Laisser les choses mûrir
Mme Bitat insiste encore sur le fait qu’il est nécessaire d’avancer, les choses doivent mûrir. On est arrivé en tout cas à un moment où chacune de nous doit se sentir concernée pour aller de l’avant, décider par exemple de débattre de certains problèmes urgents et faire en sorte que des solutions soient trouvées. Pour cela, il faut se constituer en pôle de pression, comme le sont les hommes aujourd’hui.
On peut avoir des sensibilités différentes, mais l’essentiel c’est de se retrouver pour la solution des problèmes qui nous occupent toutes en tant que femmes.