Les relations algéro-marocaines connaissent, depuis quelques semaines, sinon une franche normalisation, du moins une certaine détente. Au niveau diplomatique et politique, le ton est assez conciliant en tout cas, des deux côtés des frontières.
Une décrispation qu’illustre, côté algérien, la dernière déclaration de Abdelaziz Bouteflika, le 17 avril dernier à Tlemcen où il était en visite officielle.
Sans «raison apparente», Bouteflika lancera un inattendu «il n’y a aucun problème entre l’Algérie et le Maroc. Le problème du Sahara est un problème onusien. Le Maroc est un pays voisin et frère. Il faut coopérer et nous devons coopérer ». Cette déclaration, Bouteflika l’a faite alors qu’il inaugurait un site culturel. Et pour qui connaît l’homme, il ne dit jamais rien pour rien, contrairement aux apparences. Une sortie certainement calculée mais dont il reste difficile, pour le moment, de saisir l’objectif. Entre Alger et Rabat, les visites au niveau ministériel sont de plus en plus fréquentes. La coopération est même effective dans deux domaines, au moins : l’agriculture mais surtout l’énergie.
Mais est-ce, pour autant, un pas de franchi vers une normalisation réelle et irréversible entre les deux pays ? Nul ne peut l’affirmer de manière tranchée même si quelques signes plaident en faveur d’une évolution dans les rapports bilatéraux. Mourad Medelci aura même comme brisé un tabou en affirmant sa conviction «que les frontières entre l’Algérie et le Maroc ne peuvent rester éternellement fermées». Ce problème des frontières, éternel point de discorde entre l’Algérie et le royaume chérifien, imbriqué en plus dans le problème sahraoui, est un dossier si lourd qu’il est difficile de dépasser par de simples déclarations diplomatiques. Aussi «mielleuses» soient-elles.
Le Maroc n’a jamais cessé de réclamer la réouverture des frontières, unilatéralement fermées par l’Algérie en 1994, à la suite des accusations de Rabat imputant aux services algériens la responsabilité dans l’attentat terroriste qui avait ébranlé Marrakech la même année. Hassan II imposera même le visa pour les Algériens et se saisira de l’opportunité de cet attentat qui s’avéra être l’œuvre des islamistes, pour accentuer les pressions internationales sur une Algérie qui subissait, à cette époque-là, l’enfer terroriste, aggravé par une crise économique et un isolement international sans précédent.
Pis encore : Khaled Nezzar, alors ministre de la Défense nationale et membre du Haut-Comité d’Etat, en visite au Maroc, sur invitation du roi, après que les services algériens eurent localisé avec précision le chef du GIA, Abdelhak Layada, et des éléments à lui, sur le sol marocain, sera surpris par cette phrase du souverain : «La sécurité est un tout» ! Hassan II ne s’embarrassant pas de formules pour exercer un chantage clair sur son invité, au sujet du Sahara occidental.
Résultat : Layada ne sera pas livré de suite aux Algériens, ce qui se traduira, sur le terrain, par des milliers d’autres victimes fauchées par la machine terroriste que l’extradition du chef du GIA aurait pu empêcher. Mais cet égoïsme, le royaume le payera cher au plan économique. La fermeture des frontières se traduira, chez nos voisins de l’Ouest, par des pertes sèches, directes et indirectes. Pour un pays qui vit essentiellement de son agriculture et surtout grâce au secteur du tourisme et des services, se priver de ces centaines de milliers d’Algériens qui s’y rendaient quotidiennement depuis l’ouverture des frontières en 1988 s’était vite fait ressentir. La région Est du Maroc, la moins nantie et développée que l’ouest, et ses grands pôles urbains perdaient, depuis, une opportunité inespérée et qui se fait ressentir à nos jours. A tel point que bien de projets d’investissement seront «gelés» en attendant cette réouverture.
Ceci étant, autre objet de litige concernant les frontières entre les deux pays, celui du bornage. En raison du problème sahraoui, mais pas que cela. Les Marocains n’ont jamais abandonné, en effet, leur prétention territoriale sur une bonne partie de l’Ouest algérien. D’où la guerre dite des «sables» dès l’indépendance de l’Algérie. Et cette situation exceptionnelle fait que, de nos jours, les frontières sont certes respectées de part et d’autre sans pour autant procéder au bornage officiel avec dépôt à l’ONU. C’est dire que les objets fondamentaux des litiges permanents entre les deux pays sont toujours là, entiers. Qu’est-ce qui pourrait expliquer alors ces déclarations «d’intention» de rapprochement entre Alger et Rabat ? Sans doute, la nouvelle situation au Maghreb, qui a subi de brutales évolutions en Tunisie d’abord et en Libye ensuite, expliquent grandement ces repositionnements.
L’Algérie a certes intérêt à stabiliser son front Ouest pour se parer à toute éventuelle «mauvaise surprise» du côté Est. Les deux pays subissant par ailleurs les mêmes vagues de contestation au niveau interne, tant au plan politique que social, peuvent être amenés à une sorte d’alliance de conjoncture. Car le Maroc de 2011 n’a pas vraiment intérêt à avoir affaire à une Algérie secouée par une révolte à la tunisienne, à la libyenne, voire même à l’égyptienne sans risquer d’en pâtir à son tour.
K. A.