Algérie, les modestes économies d’Amar Saadani (3)

Algérie, les modestes économies d’Amar Saadani (3)

Dans le courrier que nous a adressé son avocat Jean-Yves Dupeux, Amar Saadani niait qu’il possédait au moins un appartement en France (voir le volet II de notre enquête) et prétendait ne pas détenir le moindre pécule dans une banque française.

Comment le patron du FLN peut-il contester possèder quelques fonds bancaires à Paris ? Par quel miracle aurait-il, sans compte en banque, acheté au moins un appartement à Neuilly sur Seine, financé les études de ses enfants en France et en Angleterre et réglé les frais d’un grand cabinet d’avocat parisien? Si pour régler de telles dépenses, Amar Saadani ne possède effectivement pas de compte bancaire en France, cela signifierait qu’il utilise des valises de billets. Ce que nous ne pouvons imaginer.

Paris, village algérien

Certes, Amar Saadani est loin d’être le seul dignitaire algérien à posséder des biens immobiliers en France. Ainsi le ministre de l’industrie et des mines du tout nouveau gouvernement de Bouteflika, Abdesslam Bouchouareb, possède un superbe appartement au cœur de Paris, quai Montebello, face à la Seine et à Notre Dame. Le mardi 6 mai, les services du cadastre de la ville de Paris ont confirmé à « Mondafrique » qu’Abdesslam Bouchouareb possédait un tel bien. Il faudra qu’il explique dans quelles conditions il a pu s’en rendre propriétaire.

Autre exemple de cette boulimie immobilière, l’ancien ministre gouverneur d’Alger et ex ministre des PME, Chérif Rahmani, possède trois pieds à terre dans les quartiers chics de Paris, d’après une enquête qui avait été menée par le Canard Enchainé, sans être démentie. Détail cocasse, ce technocrate brillant était présenté dans un article de Bernard Henri Lévy paru dans « le Monde » en 1998 comme « un quadra » novateur fâché avec « les caciques du FLN ». Apparemment, il partage avec ces mêmes caciques, dont Amar Saadani, un certain gout pour l’immobilier parisien.

Nicolas Sarkozy dans la boucle

On se souvient aussi comment en 2006, le concessionnaire des grandes marques de voiture de luxe en Algérie, Mourad Oulmi, avait acheté l’appartement de Nicolas Sarkozy, situé ile de la Jatte. Monsieur Oulmi est dans les petits papiers du régime de Bouteflika. Pour preuve, les démêlés judiciaires qu’il avait eu avec son prédécesseur, Ahmed Mouffok, se sont bien terminés : Mouffok croupit en prison et lui vend 15000 véhicules de prestige (Audi, Volkswagen) chaque année, dont une bonne part au gouvernement et à la gendarmerie. Une partie de ces profits apparemment est recyclée sur les bords de la Seine.

Toujours à Neuilly, Mourad Oulmi a créé en 2012 la société Expimo, spécialisée dans l’achat, la décoration et l’aménagement de biens immobiliers. Cette agence se trouve, rue Louis Philippe, à trois cent mètres de l’appartement d’Amar Saadani. Les deux hommes se connaissent… Certains à Alger prétendent même que « Mourad Oulmi a vendu son appartement à Saadani ». A suivre… Le monde est petit.

La transaction pour l’achat de l’appartement de Nicolas Sarkozy a été négociée par le Crédit Agricole Genève. Il existe quelques facilités dans les transferts de l’argent algérien entre la Suisse et la France.

Vous avez dit 300 millions!

Pour autant, Amar Saadani a-t-il transféré de l’Algérie vers la France trois cent millions d’euros? Dans le papier contesté par le patron du FLN, nous avions en effet cité ce chiffre, indiqué par des sources à Alger dignes de foi.

Nous ne pouvons pas fournir la preuve bancaire de l’existence de tels montants. Un journaliste n’est ni un magistrat, ni un policier. Il n’a pas les moyens, dans les affaires financières, de produire des extraits de compte bancaire, à moins qu’ils soient versés dans un dossier judiciaire auquel il a accès. En revanche, un ensemble d’éclairages nous ont permis de juger ces confidences plausibles.

1) Amar Saadani a été mis en cause dans le scandale de la Générale des Concessions Agricoles (GCA), où on estime que des centaines de millions de dollars ont été détournés. Comment peut-il, là encore, nier qu’il est présumé coupable par une grande partie de la presse et de l’opinion ? Le premier novembre 2009, le journal El Watan, réputé pour son sérieux, écrivait: « Les déballages ont pris pour cibles de gros poissons. Des personnalités de haut rang, assumant des charges au sein de l’Etat et surtout ayant des liens étroits avec Bouteflika. Saïdani est en effet l’ex-président de l’APN (3e homme de l’Etat), membre de la commission exécutive du FLN, et ex-président des bruyants comités de soutien de Bouteflika ».

Après enquête, poursuit El Watan, « les résultats ont révélé que le trou creusé dans les deniers publics (…) s’élève à environ 30 milliards de dinars (3000 milliards de centimes), soit l’équivalent de 300 millions d’euros.»

2) De tels chiffres de détournements n’ont, hélas, plus rien d’inhabituel dans l’Algérie de Bouteflika. Une véritable dérégulation de la corruption s’est produite, ces dernières années.

Lors du scandale de la Sonatrach qui a éclaté voici quatre ans, les chiffres de commissions indues, cités par les experts financiers du FBI américain pour les seuls contrats passés avec l’oncle Sam, approchent les deux milliards de dollars. Dans un autre dossier gangrené par la corruption, celui de l’autoroute Est-Ouest, le devis initial a explosé de trois à quinze milliards de dollars en raison notamment des détournements opérés.

3) Enfin la carte de résident demandée par Amar Saadani en 2011 aux autorités françaises peut être considéré, à lui seul, comme un aveu de culpabilité. En quoi un ancien patron de l’Assemblée, qui deviendra secrétaire général du FLN, a-t-il besoin d’un tel document ?

A moins qu’il ne veuille disposer d’une base arrière juridiquement sure, si son clan perdait l’avantage et que la justice algérienne le poursuivait dans le dossier de la Générale des Concessions Agricoles..