Mohamed Laksaci et Karim Djoudi n’ont pas les mêmes chiffres et ne font donc pas le même diagnostic sur les finances publiques. Après une nouvelle mise en garde de la Banque d’Algérie sur la croissance de la dépense publique, le ministre a répondu via l’agence APS. Presque un dialogue de sourds.
Les échanges des derniers jours sont une sorte de remake de la mini-polémique entre la villa Joly (Banque d’Algérie) et Ben Aknoun (ministère des Finances) qui avait déjà animée la scène publique à la veille de l’été 2012. A la surprise générale l’institution dirigée par Mohamed Laksaci avait délivré, contrairement aux « usages » dans un domaine généralement comme réservé au ministère, un véritable « warning » sur les finances publiques nationales. Elle estimait dans son rapport de conjoncture pour l’année 2011 que « désormais, l’équilibre budgétaire requiert des niveaux de prix des hydrocarbures supérieurs à 112 dollars le baril pendant que les recettes budgétaires totales restent fortement dépendantes de celles, très volatiles, des hydrocarbures ». Sur le même sujet, Karim Djoudi s’était quelques jours plus tard voulu au contraire très rassurant en taclant au passage sévèrement les responsables de la Banque centrale. «La tendance baissière du prix du pétrole nous impose d’être prudents mais nous ne devons pas perdre de vue deux éléments importants : nos dépenses effectives constatées en fin de l’exercice sont basées sur un baril à 75 dollars et nos capacités de financement, cumulées grâce au Fonds de régulations des recettes (FRR), aux réserves de change et au remboursement de la dette, sont considérables », avait expliqué en juin 2012 le ministre à la Radio nationale. La Banque d’Algérie revient à la charge Apparemment peu convaincue par ces explications, la Banque d’Algérie est revenue à la charge au début du mois de septembre dernier, cette fois au titre des dépenses de l’Etat pour l’année 2012.Le constat et encore plus dur que l’année dernière. M. Laksaci attire l’attention de l’Exécutif sur la tendance haussière que suivent actuellement les dépenses publiques, ce qui représente « un risque majeur pour les finances publiques. La volatilité des prix du pétrole sur le marché international constituant une menace permanente et sérieuse pour le budget de l’État ». Suivent une série de chiffres figurant dans le rapport annuel de la Banque centrale sur l’évolution économique et monétaire de l’exercice 2012. Ils indiquent notamment que « le poids de la dépense publique a pris des proportions importantes, passant de près de 45% en 2011 à 50% du PIB en 2012. Alors que ces ratios sont de l’ordre de 27% au Maroc et 26% en Tunisie en 2011 » Une situation, jugée « défavorable » par les locataires de la villa Joly, qui considèrent qu’elle illustre de façon très claire la « vulnérabilité significative du budget de l’État ». Le chiffre le plus significatif et le plus neuf cité par M. Laksaci concerne la forte croissance des dépenses budgétaires totales en 2012, évaluée au niveau vertigineux de 22,5%. Un rythme qui « n’est pas soutenable »avait conclu le Gouverneur de la Banque d’Algérie. Un dialogue de sourds ? Il n’en fallait pas plus pour Karim Djoudi monte à son tour au créneau. L’argumentation du ministre des finances est très proche de celle de l’année dernière. Il concède tout d’abord que «l’évolution de la situation budgétaire s’est caractérisée ces dernières années par une augmentation sans précédent des dépenses publiques engendrées par l’émergence d’une demande soutenue en termes à la fois d’équipements publics, de prise en charge des dépenses de fonctionnement liées à ces programmes et enfin en termes d’effets induits par les décisions visant à améliorer le pouvoir d’achat des fonctionnaires et des catégories démunies». Mais Karim Djoudi ajoute aussi que « le prix d’équilibre du baril de pétrole a évolué de 67 USD en 2008 à 99 dollars US en 2012 ». Pour 2013 en revanche « le déficit en prévision de clôture enregistre un repli substantiel pour s’établir à 1.138 milliards de dinars pour un prix d’équilibre situé à 71 dollars US le baril ». L’argumentaire du ministre des finances se poursuit par l’évocation « des décisions éminemment politiques » qui ont induit les augmentations des dépenses publiques. Dans un tel contexte poursuit M.Djoudi « le département des Finances s’est attelé à rappeler, tant dans les présentations de lois de Finances que dans les notes régulières qu’il diffuse, la nécessité de conduire avec prudence la politique budgétaire car elle est déterminante dans la formation de la croissance économique. ». Le ministre conclut son argumentaire, manifestement destinée à prendre le contre-pied des « avertissements » successifs de la Banque d’Algérie, par un auto-satisfecit général délivré à la politique budgétaire au cours de la décennie écoulée. « Depuis une décennie, la gestion prudente des finances publiques a permis de consolider l’épargne publique logée dans le Fonds de Régulation des Recettes (FRR) qui est passée de 171,5 milliards de dinars en 2001 soit 4% du PIB, à 2.931 milliards de dinars en 2006 représentant 34% du PIB puis à 5.634 milliards de dinars en 2012 soit 35% du PIB ». Ainsi qu’on peut le constater le chemin reste encore long qui mène à une harmonisation des données chiffrées utilisées par les deux institutions ainsi qu’à celle de leurs diagnostics respectifs sur l’état de nos finances publiques.