Chaque semaine, un quotidien national, un hebdomadaire ou bien un blog nous parle de la corruption, ce mal qui nous gangrène tant et si bien qu’il en est devenu un sport national. Nous sommes abreuvés de détails, de noms, de lieux et d’ouvertures d’enquête avec des mandats d’arrêts nationaux et internationaux.
Pour expliquer les lenteurs de la lutte contre la corruption, il est souvent fait état de lenteurs administratives et d’obscures freins et interventions.
Procédures…
Certes, ces interventions et ces pressions doivent exister car, au fil des années de copinages de toutes sortes, de nominations à des postes clefs au titre du « bni hammis » (népotisme) et, surtout, depuis ces derniers années, par les liens des mariages qui font que chacun devient beau-parent de l’autre et que de ce fait, des liens familiaux et des liens de sang s’interpénètrent pour avoir en commun des petits enfants qui doivent avoir eux aussi une part de la fortune et du trésor algérien.
Mais toutes ces raisons n’expliquent pas tous ces blocages, ces lenteurs et ces silences. Ne sont-ils pas, en fait, le reflet de notre incompétence et de nos ignorances que nous cherchons à cacher?
Les services de police, de gendarmerie, de sécurité ainsi que les services extérieurs algériens font leurs enquêtes au mieux, souvent au péril de leur vie, et mettent à la disposition du pouvoir judiciaire un ensemble d’éléments et d’indices corroborés permettant de conclure à des faits de corruption. Une information peut être alors ouverte par le détenteur de la poursuite judiciaire.
Nous sommes alors devant l’appareil judiciaire, où seuls les preuves et les aveux ont cours. Se mettent alors en branle tous les poids et contre-poids des juges, avocats, experts financiers et comptables, auxquels viennent se greffer la maîtrise des textes réglementaires, les lois algériennes, les subtilités des contrats et les pratiques bancaires, tant en Algérie que dans les paradis fiscaux.
Tout un chacun, fort de son bon droit, peut introduire une action en justice et perdre son action en raison des failles contenues dans son dossier et ce par la seule application du droit, des textes juridiques ainsi que les conflits de lois rencontrés dans l’application du droit international privé, car nous nous trouvons alors devant les tribunaux, où la Justice parle de preuves de relevés bancaires et non d’indices et de « on dit ».
Il est certes facile, en application des conventions judiciaires, d’établir un mandat d’arrêt qu’il soit national ou international (ce n’est après tout qu’un formulaire à remplir), mais faut-il encore le justifier par des preuves, des témoignages, des relevés bancaires, des titres immobiliers à l’étranger, etc.
Les accords judiciaires avec les autres Etats soumettent ces actes à des documents et à des preuves qui doivent toutes être traduites dans la langue du pays et adressées par voie diplomatique pour être pris en charge par les autorités judiciaires et sécuritaires des autres pays. D’où ces lenteurs.
Nous nous devons de prendre conscience que les corrompus ont pris à leur service des professionnels de la magouille financière, des cabinets fiduciaires internationaux, des conseillers juridiques, des notaires spécialisés, etc.
Un manque de connaissances
Nos universités forment des promotions de milliers d’universitaires chaque année. A travers l’ensemble du territoire national, l’Algérie accueille des milliers de juristes et d’avocats – qui, pour certains, sont docteurs en Droit – , des milliers de diplômés des Ecoles supérieures de commerce, de comptabilité, de finance, d’informatique ou encore de mathématiques. Mais, en fait, combien sont spécialisés en droit des affaires français, suisse, luxembourgeois ou en droit financier des pays du Golfe ou des paradis fiscaux d’Asie, à l’image des Iles Moustiques?
Combien d’entre eux ont la maîtrise de la langue anglo-saxonne communément utilisée dans la création de société off-shore organisées en « poupées russes », s’emboitant les unes dans les autres? Combien maitrisent l’outil informatique qui permet de créer une double comptabilité, ou jonglent avec les équations mathématiques financières?
La lutte contre la corruption se doit d’être déclarée cause nationale au même titre que le cancer car toute l’Algérie en souffre et ne pas se contenter de dénoncer uniquement les lenteurs dues à des interférences obscures qui, certes existent, mais ne justifient pas ces lenteurs.
Former nos magistrats, savoir contrôler les contrôleurs
Il faut que nos universitaires, docteurs en droit, avocats, financiers, fiscalistes, comptables, informaticiens, mathématiciens dans le domaine des logarithmes financiers, et surtout nos magistrats, se spécialisent dans ces créneaux de pointe pour lutter efficacement contre la corruption algérienne qui, elle, a su s’entourer d’ entreprises de conseils internationales spécialisées dans le contournement de la réglementation nationale, et ainsi faciliter les détournements et les placements d’argent sale dans des paradis fiscaux (Golfe arabe, Asie, Suisse, Luxembourg, Iles Moustiques…). Ils ont également fait étudier les droits immobiliers et les modes d’acquisitions de biens pour eux, leur famille et leurs alliés dans des Etats n’ayant pas d’accords bilatéraux avec l’Algérie.
Un livre édité dans ce vaste domaine serait le bienvenu, mais ne pourra servir qu’à vulgariser la notion complexe du détournement financier car seul un groupe de citoyens motivés et de formations pluridisciplinaires, composé d’experts incorruptibles contrôlant les contrôleurs, pourrait mettre à jour des circuits de corruption. A condition de les mettre à l’abri de toutes pressions sécuritaires et financières.
Aucune obscure intervention ne pourrait ainsi venir bloquer l’ouverture d’une information judiciaire pour corruption si des preuves flagrantes et multiples étaient indexées et jointes au dossier.
Voleurs en col blanc condamnés, corrupteurs oubliés
Aujourd’hui, à l’ère de l’informatique et des réseaux sociaux, en l’espace de quelque secondes l’ensemble du monde pourrait être informé et le contenu des faits, et surtout les preuves de la corruption, seraient immédiatement partagés, ce qui aurait tendance à annihiler les « pressions et les interventions obscures ».
Par contre, il y a lieu de se questionner du devenir des suites données par les services des exécutions judiciaires sur les conséquences immobilières et financières des procès de corruption, jugés et devenus définitifs (procès de la BEA, de la SONACOM). Au fil des années, des procès ont en effet été tenus, des voleurs en col blanc ont été condamnés, des biens ont été saisis par voies judiciaires, des condamnations financières ont été prononcées. Mais aucune autorité, aucune presse ne nous explique à nous, simples citoyens, le devenir de ces procès et les saisies exécutoires tant en Algérie qu’à l’étranger. Et cela depuis de longues années.
De même, la loi met au même niveau le corrompu et le corrupteur. Pourquoi lancerait-on un mandat d’arrêt contre un voleur en col blanc et non contre le corrupteur? Le corrompu n’existe que parce qu’il y a un corrupteur! Il faut y mettre fin.