Algérie : In challah mon frère !

Algérie : In challah mon frère !

Ailleurs, les gens s’organisent, résistent, se révoltent. Ailleurs, les gens croient au ciel mais avec des pieds rivés au sol pas question de les décoller pour des étoiles filantes. Ailleurs, on pense à demain pas à l’autre monde où personne n’est revenu avec le mode d’emploi. On dit que la piété soulage apaise rend heureux, où se trouve l’adresse de ce nirvana chez nous ?

La religion est instrumentalisée par le pouvoir et ses relais.

D’après une étude américaine, 80% des informations qu’on reçoit tous les jours nous sont inutiles. Cette enquête a été faite en Amérique au bled où un gratte-papier de journaliste peut tout connaître de son président et, preuve à l’appui, peut le faire tomber. Et ce mec le plus puissant du monde, une fois remercié avec honneur ou déshonneur, est obligé de donner des conférences, d’écrire ses mémoire et de faire l’ambassadeur honorifique pour s’en sortir financièrement. Que dire des informations que nous recevons chez nous en Algérie où rien ne se passe à part de temps en temps un vote non-vote pour singer les autres. Les états d’âme, la maladie, la mort les déplacements d’un Raïs parachuté avec masque et armure en Superman au secours de sa seule personne ; les résultats du bac, la date du Ramadan des fêtes de l’Aïd, le nombre des hadjs ; l’encensement du terroriste-repenti, l’augmentation des salaires, les kilos de kif saisis, le festival X au festival Y, le tout orchestré par le sempiternel discours sur le miracle de la révolution algérienne, la damnation du colonialisme et de l’ennemi extérieur aussi visible qu’un ovni via des médias greffés aux multiples facettes du parti unique. Il est loin le temps où des ministres inauguraient des usines des écoles à grandes pompes et avaient quelque chose à dire à part la fermeture des bars comme si tous nos maux se nichaient dans le verre d’un soulard. Bien sûr, ce n’était pas parfait mais ces ex-sidis avaient assez de cervelle pour ne pas prendre comme bouc émissaire le raisin fermenté. « Sire Juge, nous sommes plus malins que toi/et, quoique ivres, nous sommes plus sobres que toi/ Tu bois le sang d’autrui/Nous, le jus de la vigne : / sois juste, qui de nous est le pire, dis-moi ? » (Omar Khayyâm)

Pour l’Algérien qui se lève le matin, la seule information qu’il veut savoir si oui ou non l’épicier du coin a reçu son quota de lait, si le boulanger est ouvert, si son cœur va résister aux embouteillages aux chaînes aux névroses quotidiennes. Le soir, c’est d’autres peurs qui prennent le relais. Un mal soudain qui exige un hôpital fissa avec un toubib insomniaque assez débrouillard et cool sans oublier la baraka du médicament disponible. Que la pluie commence à larmoyer et c’est l’angoisse du déluge sans arche de Noé. Le téléphone sonne, la porte résonne et c’est la hantise de la décennie noire. Ailleurs, les gens paniquent pour une fermeture d’usine, un chômage prolongé, le recul de la retraite, le nombre d’émigrés… Chez nous, toute solution est accrochée au ciel. On a oublié que même pour les prophètes, Dieu n’a pas fait le boulot à leur place. Ils ont souffert, combattu, rusé et planifié pour répandre la parole divine avec plus de sueur que de miracle. Le fatalisme nous a tués. Inchallah, mon frère, inchallah. Si Dieu le veut, mais qui peut savoir ce que Dieu veut vraiment ? Tu as le cancer, le diabète, le cœur, la tension, toutes les maladies avouables ou pas, tu peux crever avant d’être soigné, personne n’est responsable que ta déveine. C’est Dieu qui l’a voulu, ton heure est arrivé. Les inondations les séismes le terrorisme c’est ton mektoub. Si tu es un harraga noyé, arrêté, condamné, si tu dors dans un taudis avec ta smala avec autant de dossiers déposés que d’années d’indépendance, si tu croupis en prison sans savoir quel djinn tu as écorché, c’est encore ce satané mektoub. Au point où tu te demandes si ce n’est pas Bliss qui a rédigé et signé ton destin. « Il n’est pas élégant d’abuser de la malchance ; certains individus comme certains peuples, s’y complaisent tant qu’ils déshonorent la tragédie ». (Cioran).

Ailleurs, les gens s’organisent, résistent, se révoltent. Ailleurs, les gens croient au ciel mais avec des pieds rivés au sol pas question de les décoller pour des étoiles filantes. Ailleurs, on pense à demain pas à l’autre monde où personne n’est revenu avec le mode d’emploi. On dit que la piété soulage apaise rend heureux, où se trouve l’adresse de ce nirvana chez nous ?

Face aux catastrophes naturelles, l’Etat et les intégristes ont un même langage : c’est la faute aux mœurs dissolues. Les inondations d’El Harrach, le séisme de Boumerdes ont été plus efficaces que les couteaux des barbus pour intérioriser notre culpabilité et la faire remonter à tous les péchés originels. Certes en Europe, au Moyen-âge, les religieux avaient le même coupable pour apaiser leurs ouailles jusqu’à ce que la science vienne mettre son grain de sel et expliquer que la nature est rarement responsable. Au Bangladesh, les inondations font régulièrement des victimes parfois des centaines de milliers. On sait que c’est à cause des fleuves et qu’il suffit de construire des digues pour enrayer la malédiction mais les responsables corrompus ont d’autres priorités que celui de sauver leurs parias. On sait que la mer est vivante qu’elle a besoin de sable, d’espace et même de forêt pour respirer. On ne bâtit pas à proximité, la preuve un tsunami ne présente aucun danger pour les bateaux, la menace vient du rivage entravé. Nos sages aïeux le savaient, eux qui respectaient la nature. On sait qu’un séisme est dû à une faille terrestre et là où ça se produit ça recommencera et c’est à l’homme de prendre ses précautions. Non, les entrepreneurs véreux, les autorités complices peuvent construire n’importe où, n’importe comment s’il y a catastrophe le bouc émissaire est désigné d’avance. Notre tissu social est à fabriquer, notre solidarité se fait spontanément donc désorganisée.

Henri Miller, le grand écrivain américain affirmait que pour échapper aux psys, à chaque fois qu’il allait à sa banque retirer de l’argent, il n’oubliait pas les mendiants qui se trouvaient sur son chemin. Avec son franc-parler et son je-m’en-foutisme, il était assez intelligent pour mettre le doigt là où ça se fissure, quitte à être moins riche que prévu. La démocratie ne peut fonctionner qu’avec une base unie cimentée. Ah, si au lieu de faire des grèves pour l’augmentation des salaires on les a fait pour limiter la casse dans nos hôpitaux, nos écoles, protéger nos rues de la pollution de la drogue, des SDF avec la construction de foyers, pour sauvegarder nos espaces verts, afin de passer des vacances sans être obligé d’envahir la « petite » Tunisie. Si au moins, on a fait notre printemps arabe au moment où des milliers d’Algériens se faisaient massacrer où des milliers de leurs assassins se faisaient pardonner et « concorder »… Et avec ce dernier vote, certains se sont révélés contaminés par le même microbe, sensibles aux mêmes éléments que nos caïds : l’argent et le pouvoir. Les autres, la majorité silencieuse, semble accepter son sort. Comment bâtir de l’humain avec une telle mélasse ? Comment faire sortir un peuple d’une telle populace ? Les caméras étrangères ne nous filment qu’en casseurs ou en demandeurs d’aumônes. Sur le même cargo à la dérive à chacun son gouvernail détraqué pour le sauve-qui-peut.

Par exemple qui sait combien l’Arabie Saoudite s’enrichit de notre religiosité chaque année grâce au pèlerinage. Nous avons des abonnés et en famille s’il vous plaît avec des enfants hadjs sans parler de la Omra. Même l’Etat trouve son compte encourage et paie pour nombre de privilégiés. Le pèlerinage est un luxe, il faut être riche pour laver ses os ou avoir la chance de bosser au bon endroit au bon moment.

Or, le vrai pèlerinage est abnégation, pauvreté, sacrifice censé à la portée de tous si la santé le permet. Les préceptes religieux parlent d’une fois dans la vie pas d’un tourisme annuel. Tout cet argent aurait pu servir là où l’Etat est défaillant. (Heureusement que les responsables de la Mecque nous imposent des quotas et oublient souvent de nous souhaiter la bienvenue…) Chez nous, le nombre de mosquées aurait pu être une aubaine pour nos SDF si elles s’ouvraient à eux aussi facilement qu’elles s’ouvrent aux fanatiques. Et si c’est toutes ces frustrations cette mal-vie ce désamour qui ont forgé notre immobilisme au grand bonheur de nos geôliers ? Avec autant d’églises fermées que nous avons de mosquées ouvertes, l’Occident malgré les crises qui le secouent régulièrement, nous est pourtant indispensable sans aucune réciprocité de notre part à part la vente du pétrole et l’achat d’armes. On demande l’aide de Dieu quand on a accompli 100% du chemin pas 0%. « C’est au sommet de la montagne qu’on commence à monter. » On l’a vu avec ce printemps arabe, cette force populaire que personne ne soupçonnait. On l’a vu chez les autres, l’exemple de la Belgique est assez édifiant, sans pétrole sans gouvernement, elle ne s’est pas écroulée malgré ses émigrés aussi nombreux que ses autochtones. En son temps, le cheikh Mohamed Abdou a eu ce coup de gueule : « Au pays des infidèles j’ai trouvé l’Islam mais pas les musulmans et au pays des croyants, j’ai trouvé les musulmans mais pas l’Islam. » On se demande ce qu’il aurait dit aujourd’hui sur l’Algérie de 2012, c’est vrai qu’un chercheur n’est pas forcément un « trouveur » encore moins quand il n’y rien à trouver.

Mimi Massiva