Alors que le régime bancal du clan Bouteflika vacille, François Hollande peut soit aider son ancienne colonie à devenir une vraie démocratie ou remettre l’habit des colonisateurs français et piller le pays. Laquelle de ces deux options choisira-t-il ?
Ce que dira François Hollande quand il s’entretiendra avec le président Abdelaziz Bouteflika pendant sa visite en Algérie le lundi 15 juin pourrait avoir une portée historique. Littéralement à bout de souffle, le président algérien réélu en avril 2014 malgré d’importants problèmes de santé ne terminera probablement pas son mandat. Or, tous les moyens de transition démocratiques ont été détruits en Algérie au cours des dernières années. Par la révision constitutionnelle du 12 avril 2008 qui était un coup d’État constitutionnel, Bouteflika s’est octroyé tous les pouvoirs en détournant de son esprit originel la Constitution du président Zeroual de 1996 qui limitait à deux le nombre de mandats du Président. Pour gagner son quatrième mandat, il a même menacé de priver les organisations publiques de subventions, intimidé les organisations patronales et déstabilisé les partis politiques. Malheureusement est arrivée la marée basse des prix du pétrole qui a laissé la baleine qu’est ce gouvernement sur la grève en train de s’étouffer sous son propre poids.
Le combat pour sa succession risque donc d’être sanglant. La récente lettre d’appuis du vice-ministre de la Défense nationale et chef d’état-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, au patron du Front de libération nationale, Amar Saadani, a détruit la neutralité de l’Armée et l’a mise dans la poche de l’autocrate. La secrétaire générale du Parti des travailleurs, Louisa Hanoune, affirme à ce sujet que le gouvernement est en train d’assassiner le pays au nom du président de la République. Elle considère de plus que l’Algérie est dans un état d’esprit prérévolutionnaire et se prépare à mobiliser la jeunesse et les salariés pour barrer la route aux oligarques et autres profiteurs.
François Hollande a le pouvoir d’arrêter le bain de sang avant qu’il ne commence. Le gouvernement français doit être conscient que la sécurité de la France est dans une stabilité économique et politique en Algérie. Le maintien par la force d’une dictature à peine déguisé en Algérie poussera le bouchon un peu plus profond dans le goulot de la bouteille des ressentiments contre la France au risque de la déboucher. Plus qu’à n’importe quel moment de l’histoire commune de l’Algérie et de la France, leurs destins sont liés. En se rendant à Alger, pendant cette transition à haut risque, François Hollande peut aussi bien signer une des plus glorieuses pages de l’histoire de la France que devenir le colonisateur qui aura renié l’héritage de Charles de Gaulle.
Il y a peu de chance que cette situation se règle d’elle-même. La dégradation brutale du marché mondial des hydrocarbures s’annonce durable et devrait avoir des conséquences préoccupantes sur les revenus extérieurs de l’Algérie. Or, cette rente des hydrocarbures, qui représente 95 % des recettes d’exportation, a fortement contribué à acheter la paix sociale au pays pendant le printemps arabe. L’Algérie est donc confrontée à d’importants problèmes tant financiers que sociaux et a fortement besoin d’un accompagnement français pour hâter le processus de diversification de l’économie et surtout débloquer son commerce extérieur. Le premier forum économique Algérie-France qui s’est tenu à Paris le 11 juin montre le regain d’intérêt qu’à la France face à son ancienne colonie. Une partie de son savoir-faire pourrait être transmis aux Algériens qui ont multiplié par trois les relations économiques et commerciales avec la France en 12 ans.
La visite de François Hollande ne doit donc pas être interprétée comme un feu vert donné au scénario d’une succession fantoche. Il ne doit pas être un soutien au régime d’Abdelaziz Bouteflika, mais plutôt un facilitateur de changements à la tête du gouvernement de l’Algérie. Les voies démocratiques qui lui ont permis de prendre le pouvoir en France, soit des élections libres, transparentes, crédibles et incontestables, devraient aussi pouvoir s’appliquer en Algérie. En cela François Hollande a entre les mains l’héritage de Charles de Gaulle qu’il peut soit faire fructifier en donnant une vraie démocratie à l’Algérie, soit amoindrie en agissant en colonisateur et en complotant avec le clan Bouteflika sur le dos du peuple. Quelle voie choisira-t-il ?
Michel Gourd