Algérie-France, tourner la page des illusions

Algérie-France, tourner la page des illusions

La seule fois où les Algériens ont fait montre de réalisme, c’était lors de la visite de Nicolas Sarkozy à Alger. Il faut dire que l’ex-président français n’avait rien fait pour se rendre sympathique aux yeux des Algériens.

Stigmatisation des enfants d’immigrés d’origine surtout algérienne, entreprise de réhabilitation des anciens de l’OAS, avec à l’arrière-plan le refus de condamner le colonialisme comme un crime contre l’humanité… Et ce, sans compter cette sourde menace lancée de Benghazi, juste après la mort de Kadhafi, affirmant «dans un an l’Iran, dans deux ans l’Algérie !»

Son ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, s’était même permis d’avertir le régime algérien d’entreprendre des réformes et, suprême humiliation, de lui demander de commémorer le 50e anniversaire de l’Indépendance algérienne dans la discrétion ! Sur la défensive, le pouvoir politique s’était muré dans le silence. Quelque part, l’élection du socialiste François Hollande à la tête de l’Etat français, souhaité au demeurant par les Algériens, est tombée à point nommé. Sa visite en Algérie a ainsi lieu dans une configuration géopolitique qui n’est plus celle de 2011, année de la chute des dictatures tunisienne, égyptienne et libyenne.

L’Algérie, en raison d’un passé récent, violent et douloureux – Octobre 1988, puis les années sanglantes du terrorisme (des dizaines de milliers de morts, des milliers de disparus) – qui a laissé des traces profondes dans la société, a ainsi échappé au «printemps arabe» ! Disposant de réserves de change de plus de 200 milliards de dollars – les plus fortes du monde arabe après celles de l’Arabie saoudite – ayant déboursé plus de 20 milliards de dollars pour acheter la paix sociale, le pouvoir politique joue sur du velours.

L’Algérie donne l’image d’un pays ayant échappé à la déferlante islamiste qu’ont connue la Tunisie, l’Egypte et le Maroc. Qui plus est, la prudence du pouvoir politique à l’endroit des situations libyenne et syrienne, voire tunisienne, dictée plus par un instinct de préservation du système politique que par une vision prospective de la situation régionale, a joué en sa faveur. Il en est ainsi quand elle pointait le risque que certaines armes puisées dans les stocks de l’armée libyenne tombent aux mains de terroristes islamistes. Aussi, en œuvrant pour une solution politique (et non militaire) au Mali, non pour sauver les islamistes touareg, mais parce qu’aucun pays au monde, fût-il dirigé par une dictature, ne veut d’un conflit à ses frontières, la diplomatie algérienne a donc vu juste.

Sa proposition visant à découpler la question targuie de celle de l’Aqmi a reçu le soutien de Washington et même de certains pays de la Cédéao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Et ce, alors que la France, pourtant aguerrie dans ce genre d’affaires, a fait montre d’une précipitation étonnante quand elle a proposé une intervention militaire au Mali avant la fin 2012. De fait, face à un pouvoir algérien que l’évolution de la situation dans le monde arabe a plutôt servi, en ce sens qu’en Egypte et en Tunisie la crise s’inscrit dans la durée, que la Syrie est au bord de la déflagration, François Hollande aura fort à faire.

D’autant que l’Algérie n’est pas en situation de demandeur. C’est plutôt la France, déclassifiée par les agences de notation, sous la menace d’un risque de récession, qui est dans une position délicate. Elle se trouve dans cette situation où elle a besoin du marché algérien, lequel est le premier marché africain de la France et son troisième débouché hors OCDE.

Aussi le battage médiatique autour de la venue du chef de l’Etat français, voire cet activisme d’une autre époque de la part du lobby profrançais en Algérie, relève d’un schéma de pensée dérisoire, qui n’a pas sa raison d’être, en ces temps de mondialisation capitaliste où seul le réalisme économique et financier prime. De ce fait, Hollande, accompagné d’une forte délégation de patrons français, vient en Algérie pour sauver les parts de marché des entreprises françaises rognées par la concurrence chinoise, turque, italienne et espagnole. Et non pour vanter le modèle social français que le gouvernement socialiste, sous la pression des marchés financiers, est en train de remettre en cause.

H. Z.