Diplomates européens et responsables algériens s’interrogent sur les raisons qui obligent le gouvernement algérien à tenir à un projet dont la faisabilité relèverait de l’utopie.
Il s’agit, en toute évidence, du projet de construction automobile que le groupe français Renault envisagerait de réaliser sur le territoire algérien.
L’on s’avance à dire que le constructeur implanterait carrément une usine pour fabriquer des véhicules avec un taux d’intégration qui augmenterait crescendo, au fur et à mesure, que des PME de production de pièces détachées voient le jour en Algérie. «Le rêve !», s’exclament les plus téméraires des industriels qui pensent véritablement que le gouvernement délire.
C’est classique, le monde connaît «les utopies à la française qui sont, selon R. Rolland, paix universelle, fraternité, progrès pacifique, droits de l’homme, égalité naturelle». Ce que le Petit Robert définit comme «conception ou projet qui paraît irréalisable. Chimère, illusion, mirage, rêve, rêverie».
Des responsables algériens, bien au fait de la chose économique, se disent étonnés d’un «tel acharnement, au sujet d’un soi-disant projet français de construction automobile, alors que des constructeurs asiatiques pourraient venir, selon eux, sans condition «du moins pas aussi contraignantes que celles posées par les patrons de Renault». Selon des responsables d’institutions économiques nationales, ces derniers ont exigé que leur soit assurée, en premier, l’exclusivité sur le sol algérien, pendant 5 ans et plus.
«C’est-à-dire que les autorités algériennes ne doivent donner aucune autre autorisation de construction automobile à aucun autre pays ou aucune autre marque que celle de Renault,» nous explique l’un d’eux qui affirme «ne pas comprendre pourquoi l’Algérie accepte, elle, de telles conditions qui frisent les limites de l’atteinte à sa souveraineté».
D’autant que le constructeur français exige encore des autorités algériennes qu’elles ne lui imposent aucun degré d’intégration. «Le constructeur estime que s’il accepte de construire sa voiture en Algérie, il a toute latitude de ramener les pièces de rechanges de n’importe quelle destination étrangère, » précise encore nos sources.
Troisième condition, toute aussi contraignante que les deux premières, est que Renault a exigé de vendre les véhicules qu’il construirait dans le cadre du projet d’usine, uniquement en Algérie puisque c’est l’usine de Tanger qui vendrait en Afrique et au Moyen-Orient, selon les spécialistes. «Les trois conditions pénalisent lourdement l’Algérie en termes de profits financiers, de relance industrielle, et de création d’emplois,» pensent-ils.
L’on apprend du côté du ministère de l’Industrie que les autorités algériennes pensent réserver au constructeur français un site qui se situerait à l’ouest du pays, près de Mostaganem.
Avant qu’il ne soit envoyé au secteur du tourisme, Mohamed Benmeradi, alors ministre de l’Industrie, s’était grandement enorgueilli d’un hypothétique lancement de ce projet, en faisant des déclarations à tout-va, à l’effet de garder l’espoir de sa réalisation. Benmeradi est parti de l’industrie en laissant dans les tiroirs d’immenses promesses. Aujourd’hui, c’est le nouveau et sympathique Premier ministre qui semble avoir pris le relais à ce propos mais dans le sens inverse.
Rompu, entre autres, à l’espièglerie Abdelmalek Sellal a, dès sa première déclaration au sujet de ce projet, en marge des débats sur son plan d’action à l’Assemblée, prévenu que «nous ne sommes pour le moment, pas parvenus à un accord». Il a glissé toutefois que «les négociations se poursuivent toujours». Il serait pourtant étonnant que Sellal veuille lui aussi, en faire son rêve comme c’était le cas de Benmeradi.
«UN PACTE DES ACTIONNAIRES» POUR Y CROIRE
L’on s’interroge alors si les autorités algériennes ont-elles bien assimilé la signification des propos tenus par le patron de Renault, à l’inauguration de son usine à Tanger, au Maroc.
Il ne s’est aucunement gêné de titiller les Algériens, du bord de l’Atlantique, en leur faisant comprendre implicitement, qu’ils n’étaient pas sur son agenda et que même s’il ne s’installerait pas, lui constructeur français en Algérie, aucun autre constructeur étranger ne pourra le faire.
«C’est à croire que certains de nos gouvernants n’arrivent pas à se débarrasser des attitudes du colonisé face à un tel discours, disons- le, néocolonialiste !» s’exclame un responsable d’une institution économique, bien navré d’une telle situation.
«Les Français font marcher les Algériens au rythme du bâton et de la carotte,» ajoute- il. Les analystes sont par ailleurs, persuadés qu’après avoir réalisé un aussi lourd investissement à Tanger, un industriel comme Renault, ne peut, en aucun cas, accepter d’en lancer un autre, tout aussi lourd, à quelques kilomètres à peine, c’est-à-dire à l’ouest de l’Algérie.
«La boucle est ainsi bouclée autour d’un projet qui ressemblerait presque à une véritable fable, » estiment des responsables dans le secteur industriel. C’est ce que pensent beaucoup de diplomates européens en poste en Algérie qui eux aussi, se demandent pourquoi l’Algérie tient-elle tant à un tel projet qui traîne en longueur ». Un seul diplomate français a, par contre lui, affirmé que «les deux parties, algérienne françaises avancent bien, il faut y croire».
L’on s’attend même, selon lui, qu’après la signature l’été dernier d’un «mémorandum d’entente» entre les deux parties, il est «fort probable que SNVI et Renault signent le pacte des actionnaires au moment où le président François Hollande effectuera sa visite d’Etat à Alger, en décembre prochain.
Nos sources françaises estiment que «c’est un peu pour montrer que les relations entre les deux pays se portent bien et qu’avec Hollande des dossiers en suspens pourraient même être concrétisés».