Algérie-France : le passé ne doit pas étouffer l’avenir

Algérie-France : le passé ne doit pas étouffer l’avenir

Les célébrations du cinquantenaire de l’indépendance ont commencé ce week-end à Paris au 101, rue de l’Université, une annexe du Palais Bourbon (Assemblée nationale), où l’association France-Algérie a organisé un colloque consacré à l’avenir de la relation entre les deux pays. L’association est désormais présidée par Jean-Pierre Chevènement, un souverainiste qui compte parmi les plus fervents amis de l’Algérie. Il a réuni autour de lui un panel de personnalités qui ont à cœur de féconder ce sentiment car entre l’Algérie et la France, “il existe quelque chose de puissant, d’indéfinissable, mais de palpable que j’appellerai l’identité franco-algérienne qui transcende nos appartenances nationales”. Côté algérien, il y avait le ministre, Chérif Rahmani, mais aussi l’ancien Premier ministre, Sid-Ahmed Ghozali, l’ancien chef de la diplomatie, Lakhdar Brahimi, et l’ambassadeur Missoum Sbih, arrivé juste avant la clôture. Un retard qui l’a rendu si visible qu’il a été interpellé sur l’absence des responsables algériens sur le front médiatique et sur la réticence de l’Algérie à délivrer des visas aux journalistes français alors que leurs homologues algériens ne rencontrent aucun obstacle. Le monde des affaires était représenté par le patron de Cevital, Issad Rebrab. Côté culture et médias, il y avait Boualem Sansal, Rachid Boudjedra, Hocine Yacef, Malek Chebel et Omar Belhouchet. Outre M. Chevènement, il y avait, pour la France, la vice-présidente du Sénat, Bariza Khiari, le sénateur Jean-Pierre Raffarin, l’ambassadeur Xavier Driencourt et ses prédécesseurs, Hubert Colin de la Verdière et Alfred Siefer Gaillardin. À leurs côtés, des hommes d’affaires, des universitaires et des figures des médias comme Jean-Daniel et Jean-Pierre El-Kabach, tout deux nés en Algérie. Le colloque se voulait “résolument prospectif” avec l’objectif de dessiner “le contenu de ce que pourrait être un partenariat de longue durée dans les domaines économique, culturel et diplomatique”. Boualem Sansal a planté sa plume acérée d’écrivain pour dénoncer les gouvernements des deux pays qui “ne sont amis que lorsque cela les arrange” pendant que les deux peuples ne comprennent pas qu’on les embête avec ces histoires de passé sans cette “tripatouillée”. Alors qu’est relancée la coopération économique désormais visible avec le métro et le tramway d’Alger ou les agences BNP et Société Générale qui essaiment à travers le pays, l’avenir n’est que prometteur dans le domaine. Principaux atouts relevés : une situation financière saine et robuste, une abondance de liquidités en dinars, des cadres compétents qui ont juste besoin d’adapter leur formation théorique, une langue commune, une proximité géographique et un effet rattrapage qui fait de l’Algérie un pays où beaucoup de choses sont à développer. Les ajustements juridiques de 2009 n’apparaissent plus rédhibitoires en ces temps de crise internationale marquée par le retour de l’État, même dans les pays les plus libéraux. Les hommes d’affaires français croient déceler en Algérie “une volonté clairement affichée de développer l’investissement et l’emploi des jeunes”. Avec un secteur industriel hors hydrocarbures qui représente 5% du PIB, il y a fort à faire. Mais attention : en Algérie, il faut avoir une vision à long terme ! a prévenu Laurent Dupuch à l’adresse de ceux qui seraient tentés par des “coups”. Cette vision est largement partagée par Issad Rebrab qui a présenté son parcours et ses projets. Le patron de Cevital a entamé sa carrière par l’ouverture d’un cabinet d’expertise comptable en 1968, suivie, trois ans après, d’une participation de 5 000 dollars dans une unité de transformation métallurgique avant d’écrire une success story qui l’a conduit à bâtir le premier groupe privé du pays. En 2011, le chiffre d’affaires du groupe va dépasser les deux milliards d’euros et le nombre de collaborateurs franchira la barre des 12 000 contre 700 lors de la création de Cevital en 1998. M. Rebrab ne s’est pas privé de déplorer les pesanteurs administratives qui empêchent la réalisation d’un port à Cap Djinet de 55 000 hectares, projet qui a soulevé l’admiration de Jean-Pierre Chevènement par sa capacité à attirer vers le Maghreb proche des délocalisations orientées vers l’Asie du Sud-Est ou les pays du Golfe. Quant à la relation bilatérale, M. Rebrab a évoqué une certaine “méfiance” réciproque qui l’empêche de se hisser au niveau des espérances. “Le niveau des relations est en deçà de ce qu’il devrait être”, a confirmé Sid-Ahmed Ghozali. Pour celui qui fut le jeune patron de Sonatrach, l’énergie peut constituer un puissant levier pour relever ce niveau. Intervenant sur le thème de la géopolitique, Jean-Pierre Raffarin a estimé que l’Algérie “est l’un des pays les plus pertinents pour le XXIe siècle” de par son potentiel de croissance, sa capacité d’investissement et sa position intercontinentale stratégique. À l’heure où s’organisent les pôles et où émergent les “pays-continents”, l’Algérie peut devenir le pivot du continent Eurafrique dans le monde multipolaire, selon le sénateur. A contrario, Lakhdar Brahimi estime que “la région du Printemps arabe offre la perspective d’une coopération féconde”. Cet angle d’attaque lui a permis de rappeler les contentieux entre les deux pays : le Sahara occidental, la Libye, le Moyen-Orient et l’Iran. Sur une question internationale comme le Sahara occidental, “la France a choisi de s’activer aux côtés du Maroc” ; au Moyen-Orient, les Occidentaux ont fait le choix de parler des “besoins de sécurité d’Israël” plutôt que des “droits spoliés des Palestiniens”. Quant au nucléaire iranien, “le danger vient-il des armes qui n’existent pas encore ou de celles qui existent”, s’est demandé l’ancien chef de la diplomatie dans une allusion à l’arsenal israélien. Au demeurant, si l’Iran est aujourd’hui “la puissance importante de la région” alors qu’elle n’en était qu’une des puissances, c’est le résultat de l’invasion de l’Irak. Sur tous ces sujets, M. Brahimi a suggéré “un dialogue ambitieux avec la France”. Seul ministre en exercice à intervenir lors du colloque, Chérif Rahmani qui a fait deux propositions concrètes : faire de l’Algérie le siège de l’Agence pour les villes durables envisagée dans le cadre de l’UPM et créer en Algérie un centre pour les technologies nouvelles (biotechnologies, start-up, business center). Un autre moyen de privilégier l’avenir. “J’ai voulu que ce colloque soit tourné vers l’avenir, non parce que le passé ne devrait pas être assumé, avec ses lumières et avec ses ombres. Rien ne peut faire que le passé n’ait pas existé et que pendant 132 ans le système colonial n’ait pas pesé lourdement sur notre relation.” Mais “le passé ne doit pas étouffer l’avenir” et “nous devons bâtir un pôle solide entre les deux rives de la Méditerranée”, a jugé M. Chevènement. Et citant Jacques Berque, il a souligné : “Nous ne nous sommes pas entrelacés pendant plus d’un siècle sans qu’il n’en demeure quelque chose.” A. O.