Algérie, fin de partie !

Algérie, fin de partie !

« Dans le monde nouveau qui est désormais le nôtre, la politique locale est ethnique et la politique globale est civilisationnelle. La rivalité entre grandes puissances est remplacée par le choc des civilisations » (1).

Les présidents algériens, une émanation des militaires.

Il est sidérant de constater qu’au milieu des grands bouleversements économiques et géopolitiques que connaît la planète toute entière, une contrée reste immuable face au changement et imperméable devant le développement et le progrès. Comme si « La fin de l’Histoire » chère à Francis Fukuyama (2), qui parlait dans son célèbre ouvrage du sommet de génie humain que représente le développement économique et la puissance politico-militaire américaine, ne se situe plus aux USA mais en Afrique du Nord, précisément en Algérie.

Depuis la chute du bloc communiste, il y a plus d’une vingtaine d’années, le monde connaît des mutations inédites. La fin de la guerre froide a permis à des peuples européens de s’émanciper de la tutelle soviétique, d’autres réclament leur indépendance au sein même de l’Europe occidentale à l’instar des Catalans et des Flamands et des pays jadis connus sous le vocable de « en développement » émergent et deviennent de nouvelles puissances économiques qui contraignent l’Occident à revoir sa stratégie. Les pays du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) imposent un nouvel équilibre planétaire. Certes, le capitalisme s’est affirmé comme modèle économique mais les différentes crises qu’il a connues notamment celle de 2008 incitent les États et les organisations à plus de régulation dans les marchés. Parallèlement, la démocratie comme système de gouvernance pénètre dans des sphères géopolitiques jadis connues pour être des dictatures inébranlables, l’Amérique latine en est le meilleur exemple. Quelle belle leçon de démocratie qu’ont donné les États-Unis, cette nation multiethnique, à l’humanité en élisant en 2008, pour la première fois de son histoire et pour la première fois en Occident, un Noir à la plus haute fonction de l’État. L’alternance au pouvoir n’a été que davantage affirmée en France qui bascule à gauche après 17 ans de présidence de droite. C’est le cas au Royaume uni, en Espagne, en Allemagne et dans quasiment tous les pays de culture démocratique. Même le « Monde Arabe », citadelle imprenable de dictature, terreau d’idéologie religieuse rétrograde, terre sainte des polices politiques et foyer permanent de répression, de violence et de corruption et contre toute attente explose. De révolution en contre-révolution, de soulèvement en répression, la partie Nord de l’Afrique bouge et balaye des autocraties trentenaires insupportables pour les peuples qui enfin peuvent respirer à la chute de leurs bourreaux.

La fin du parti unique en Algérie a coïncidé avec la chute du bloc soviétique, mais après plus de deux décennies de bouleversements internationaux et de mutations politiques historiques, ce territoire vaste comme quatre fois la France, riche en matière primaire et en pétrole dix fois plus et avec la moitié en nombre d’habitants reste sclérosé, borné et allergique à tout changement. Comme si l’Algérie existe dans une autre galaxie ou survit à la marge de l’Histoire ! En cinquante année de pseudo indépendance, le même personnel politique grabataire, dépassé par le temps et vomi par les peuples, se régénère et s’accroche encore et encore à un pouvoir qu’il croit intrinsèque, et cela au détriment des ceux qui de droit, à savoir les peuples et de ceux qui ont lutté pour la libération du territoire. L’actuel locataire du « palais présidentiel », après 15 années de gâchis et de fourberie politique adossée à une répression sauvage et à une corruption sans limite, aspire à mourir sur le trône. Et une armada de courtisans, de valets et de politiciens de pacotille, nourris tous à la sève corruptrice du régime, ne cesse de se mettre à plat ventre pour réclamer un quatrième mandat présidentiel, comme si l ‘individu en question n’était pas déjà ministre, putschiste au passage, tenez-vous bien, il y a 50 ans. Et que dire de ses ministres et députés, de ses préfets et sous-préfets, de ses juges et procureurs. Des charognards de tout acabit, qui au nom du socialisme, qui au nom du trotskisme, du berbérisme, du nationalisme ou de l’islamisme, des idéologies vides de sens mais qui servent toujours à des populistes avides, gravitant comme des mouches autour du pot afin d’endormir les habitants le plus longtemps et ainsi tirer le maximum de dividendes tout le temps. Toute cette mascarade politicarde se joue devant « une vaillante » Armée de mercenaires qui s’est accaparée par l’assassinat et la violence des rênes du pouvoir et des richesses du territoire, richesses tellement grandes qu’on achète avec même le silence occidental!

Depuis 1989, l’Algérie a connu un général-président, un président général après avoir connu l’assassinat d’un exilé installé président, une guerre civile qui a coûté 200 000 morts, 30 000 disparus, des centaines de journalistes et intellectuels abattus et un Printemps noir en Kabylie où les gardiens du temple ont tiré à bout portant sur 128 jeunes manifestants kabyles pacifiques, tout cela sans que le régime ne chute. L’Occident, prompt à renverser Saddam, à pourchasser Ben Laden, à dénoncer Mugabe, à convoquer Gbagbo, à condamner Milosevic, à massacrer Kadhafi, à faire fuir Benali, à contester Moubarak et démettre Morsi ne souffle mot sur Bouteflika, Mediène, Nezzar and co! A priori, cette terre amazighe ancestrale serait frappée de malédiction et condamnée à l’obscurité éternelle. Faux, nous dit l’histoire ! La conjugaison des intérêts du pouvoir algérien et les pays occidentaux qui ne veulent plus de conflit syrien en Afrique du Nord est éphémère et l’Histoire ne peut s’arrêter. Les récents événements nous le montrent amplement. L’occident est entrain d’accompagner, comme le font les ministres algériens d’ailleurs, la fin du régime algérien, pour ne pas dire la fin de l’Algérie. Et face à un danger imminent, la position la plus rentable est de tirer le maximum d’intérêt. Que l’occident l’anticipe ou pas, il y aura une chute de régime en Algérie, la chute sera brutale et une nouvelle configuration politique se dessinera en Afrique du Nord et ce n’est pas un clown devenu par la magie algérienne premier ministre qui va arrêter ce processus inéluctable.

En cinquante année de règne, la junte militaire avec façade civile, et malgré l’exorbitante corruption sociale et le clientélisme politique, n’a pas pu construire une légitimité politique ni consolider la paix sociale. De putsch en putsch, d’assassinat en assassinat et de fraude en fraude, la hideuse image du pouvoir algérien ne s’est pas améliorée d’un iota ni aux yeux des administrés ni aux yeux des partenaires étrangers, tout le monde sait. Les rapports internationaux sur la corruption, sur la liberté d’expression et la bonne gouvernance, sur l’éducation et la recherche, sur l’information et la culture placent tous l’Algérie dans les cases noires. N’en parlons pas du terrorisme international dont ce pays reste un principal pourvoyeur notamment en amnistiant des égorgeurs d’enfants, en apportant du soutien à toute dictature en fin de règne et en recevant à grande pompe tous les nervis adeptes d’Al Qaida et autres groupuscules terroristes. Au plan interne, malgré l’apparente stagnation due principalement à la surveillance accrue de la police politique qui n’hésite pas à bastonner des syndicats, à intimider des militants et à mettre en taule même des blogueurs, la société bouillonne, certes en rangs dispersés, mais des énergies nouvelles tendent à faire pression sur les tenants absolus du pouvoir et de la richesse nationale.

Ce qui se passe en ces moments mêmes dans la vallée du M’zab, dans le sud algérien, renseigne de la faiblesse, si ce n’est l’absence totale de l’État comme garant de sécurité, de stabilité et de paix sociale. Les graves atteintes à une communauté par une autre, soutenue par les forces de répression étatiques, dénote également de l’absence du sentiment national, de cohésion sociale et surtout de conflit ethnique latent. Sinon comment expliquer que des hordes de délinquants arabes s’en prennent à des citoyens réputés paisibles en incendiant leurs quartiers et en saccageant leurs commerces et c’est la police même qui encadre ces attaques en lançant des bombes lacrymogènes à l’encontre de ces citoyens et en arrêtant pas les bourreaux mais les victimes qui osent dénoncer cette vandetta à huis-clos ? Les graves événements que connaît la vallée du Mzab sont un indicateur majeur de la déliquescence quasi absolue de l’Algérie, ils sont le prélude à un proche délitement. Jamais ce territoire jadis amazigh, conquis par les musulmans au 7eme siècle, n’a connu dans la période récente notamment depuis la colonisation française de si violents affrontements entre Arabes et Berbères. Ce qui se passe dans le sud algérien nous rappelle également le 14 juin 2001 mais à une échelle plus large, une échelle populaire. En cette fatidique date, les citoyens kabyles, conduit par les Archs de Kabylie, sont descendus sur Alger pour remettre « La plate-forme d’El Kseur » à la présidence de la république. La plate-forme contenait des revendications sociales, économiques et d’autres politiques. Le régime algérien, qui a autorisé la marche dans un premier temps pour l’interdire par la suite, a usé de tous ses moyens répressifs et propagandistes pour « casser » cette formidable mobilisation qui allait faire basculer l’Algérie. Des bandes de délinquants, libérés la veille de la marche des prisons algéroises, s’associent à la police pour s’attaquer aux manifestants, incendier les magasins et ainsi avorter la marche qui finit dans un bain de sang et dans la désolation totale. 12 années plus tard, les mêmes scènes se reproduisent, cette fois-ci loin de la capitale. Il est à signaler que lors du Printemps noir de Kabylie qui a duré plus de trois ans, aucun incident à caractère raciste ou ethnique n’a été signalé en Kabylie, malgré le silence assourdissant des populations et intellectuels arabophones. Cela dit, les forces de répression et l’Armée, et le rapport Issad (3) l’a clairement déterminé, ont excellé dans les violences racistes et la discrimination envers les citoyens tout au long des événements.

Dans le sillage de ces événements qu’a connus la Kabylie, la région berbérophone des Aurès a connu également des exactions de la police et de la gendarmerie algériennes. Les cas de tortures dans la région de Tkout dans des commissariats de police, rapportés par le quotidien Le Matin, à l’époque, ont valu la suspension dans un premier temps au journal et sa totale interdiction par la suite avant que son directeur Mohamed Benchicou ne soit jeté en prison. La dissociation entre berbérophones (pour ne pas dire Berbères) et arabophones (pour ne pas dire Arabes) est clairement établie. Un autre indice nous montre le degré avancé de désunion populaire en Algérie, c’est le phénomène religieux. La nébuleuse islamiste, bien que présente à une échelle réduite depuis la colonisation française, son extension à de larges catégories sociales, à la faveur de son expression politique des années 90 et son corollaire que représente le terrorisme, a déteint pratiquement sur tout le territoire algérien à l’exception des régions berbérophones notamment la Kabylie. Il ne s’agit pas de retourner au clivage qu’a connu la guerre de libération entre Arabes et Kabyles à propos de la conduite de la révolution mais de constater des faits contemporains et de prendre compte des réalités actuelles.

Certes la revendication pour la culture et l’identité amazighe a été souvent portée par la Kabylie mais le déni identitaire a été ressenti, quelquefois refoulé, par tous les Amazighs en Algérie. Aucun président de la république pendant les cinquante années de sa présidence n’est d’origine amazighe, exception faite du général Zeroual qui a tenu les règnes du pouvoir dans une période trouble où l’intérêt des citoyens pour la vie était plus fort que celui pour la politique. Le conflit inter-ethnique à Ghardaia, alimenté par des cercles officiels, n’est que l’expression d’un désaccord total entre les composantes de ce qu’on appelle abusivement le peuple algérien. Berriane, également dans le sud algérien a connu les mêmes affrontements, il y a quelques années. Les affrontements entre Touaregs et Arabes à Tamanraset, à l’extrême Sud algérien, durent depuis l’indépendance, affrontements ravivés à la faveur du soulèvement de l’Azawad contre l’État malien. Inutile de rappeler les tensions permanentes dans les campus et cités universitaires entre étudiants Amazighs et Arabes. Kamel Amzal, étudiant kabyle tué à l’arme blanche à la cité universitaire de Ben Aknoun en 1983, a été la première victime de l’islamisme intégriste. A Bouzaréah, à la faculté des sciences humaines d’Alger, un des plus grands campus universitaires en Algérie, même si les étudiants fréquentent les mêmes bancs des amphithéâtres, à l’heure du déjeuner chaque étudiant rejoint sa communauté culturelle et la distinction est clairement marquée entre « Restaurant kabyle » et « Restaurant arabe ». A travers ces faits et d’autres, il apparaît clairement que « la nation » algérienne, malgré la propagande étatique et le populisme partisan, n’existe pas et les algériens dans leur diversité d’origine, d’opinion, de religion, de langue et de territoire évoluent différemment et aspirent donc à vivre différemment, parfois en opposition les uns des autres. S. Huntington affirme que « Tous ceux qui sont en quête d’identité et d’unité ethnique ont besoin d’ennemis. Les conflits les plus dangereux aujourd’hui surviennent de part et d’autres des lignes de partage qui séparent les civilisations majeures du monde » (4).

En matière civilisationnelle, qui d’autre que l’Algérie (Afrique du Nord en général) serait bien placée pour connaître un choc. Le conflit entre une idéologie orientaliste religieuse et une résistance des autochtones aspirant au progrès et à la liberté ne date pas d’aujourd’hui. Ainsi, les distinctions (dissociations) socioculturelles ont eu des répercussions politiques et on trouve une cartographie partisane identique à la cartographie culturelle. Nonobstant les fraudes massives qu’organise le régime algérien à chaque échéance électorale, les mobilisations populaires et les votes s’expriment en fonction d’abord de l’origine ethnique du ou des candidats. L’islamisme n’échappe pas à cette tendance. C’est là une des explications majeure de l’absence en Algérie d’une opposition démocratique forte. Le régime étant implanté par la violence sur tout le territoire a pu avoir des représentants locaux dans chaque région à travers une clientèle nourrie par la rente et la corruption. Le FLN et le RND se sont greffés sur ces catégories sociales (anciens maquisards et fonctionnaires de l’État). Le courant islamiste, s’appuyant sur une religion présente depuis 14 siècles et devant l’inculture populaire et l’absence de perspectives économiques, rentabilise un populisme triomphant auprès de larges couches de la société sans distinction de région ou de culture, il arrive même à contester le régime en place et les deux courants (nationaliste et islamiste) se retrouvent finalement autour d’un lien idéologique unificateur qui est l’arabo-islamisme pour partager le pouvoir et gouverner le pays. Reste le courant démocratique, berbérophone généralement et souvent francophone qui n’arrive pas à constituer une force alternative aux deux courants cités à cause principalement de l’absence de leader rassembleur, d’un projet commun, elle-même due à la diversité culturelle, linguistique, régionale et religieuse des populations.

Pour qu’il y ait un mouvement démocratique national, il doit y avoir une population revendiquant la démocratie, or en Algérie peu d’habitants et de régions proportionnellement, aspirent et militent en faveur d’un régime démocratique fondé sur la légitimité populaire. La seule région connue dans ce sens reste la Kabylie, et devant son isolement ethnique et politique, la démocratie restera un vœu pieu en Algérie. Ainsi, se dessinent des régions socioculturelles très différentes qui n’ont aucun creuset commun. Au-delà de l’aspect purement linguistique et culturel, la Kabylie n’a pas beaucoup de choses à partager avec les Oasis du Sud. Les gens de l’Est (Constantinois) n’ont aucun trait commun avec ceux de l’Ouest (l’Oranie) et Alger, censée être la synthèse des cultures algériennes, à l’instar de toutes les capitales du monde, ne représente qu’une agrégation hybride de cultures locales noyées par l’islamisme et ravagées par le népotisme. Les candidatures à la succession de Bouteflika pour 2014 brassent largement cette configuration d’autant plus que la majorité des postulants sont issus du régime même et de ses mutations sociales. Il n’y a pas (plus) d’opposants au régime algérien.

Cette situation de relocalisation du politique, aggravée par Bouteflika et son cercle, est le prélude à un proche effritement de l’Algérie et une nouvelle configuration politique verra le jour. Une quinzaine de ministres de l’actuel président, et depuis son intronisation, sont originaires du même patelin que lui, Tlemcen dans l’Ouest algérien. Les habitants du Sud, notamment les Amazighs se sentent exclus des richesses du pays et surtout de celles qui sont extraites sous leurs pieds, un vaste mouvement des chômeurs y a vu le jour. L’Ouest algérien est soudé depuis 15 ans autour du personnage du président. L’Est, terreau de hauts gradés de l’Armée ne se retrouve plus dans l’actuelle autocratie et le vent du Printemps tunisien souffle de ce coté. Un Mouvement pour l’Autonomie du Pays Chawi vient de voir le jour. le Centre est largement récupéré par le courant islamiste et la Kabylie est à un stade avancée dans sa quête d’émancipation. L’histoire de l’humanité nous a appris que le monde est instable et qu’il n’y a pas une fin de l’histoire, elle avance toujours et dans le sens des libertés. L’homme est condamné à être libre disait Sartre et les civilisations s’entrechoquent disait Huntington. Si la valse des courtisans autour du Mort-vivant qui fait office de semblant de président s’intensifie à l’approche de l’élection présidentielle d’Avril 2014, si le FFS et la figure charismatique de son fondateur nationaliste se sont ralliés armes et bagages au régime, si la dernière des trotskiste crie à la menace impérialiste, si « l’Algérie Verte » se rue vers le Qatar, si Sadi Sadi quitte la politique, si les ministres français vont et viennent à Alger et si Fekhar crie au génocide des Mozabites, c’est que l’explosion frappe à la porte et Boudiaf aura la réponse à sa question : l’Algérie, fin de partie.

Ahviv Mekdam,