David Desforges, Avocat à la Cour, Jones Day, revient sur la problématique d’une exploitation des gaz de schiste comme relais du gaz naturel en Algérie, pays économiquement dépendant des hydrocarbures, où les ressources en eau demeurent stratégiques.
Les hydrocarbures constituent l’épine dorsale de l’économie algérienne. Ils représentent 60% des revenus fiscaux de l’Etat, 30% de la richesse nationale et 95% des exportations. L’Algérie est au 10ème rang mondial et au 2ème rang africain pour ses réserves de gaz (4580 milliards de m3), au 16ème pour ses réserves de pétrole (12,3 milliards de barils) et figure en 6ème place parmi les exportateurs de gaz. On estime par ailleurs que les revenus issus des hydrocarbures ont permis à l’Etat algérien de constituer des réserves de change de l’ordre de 173 milliards de dollars. Une situation qui permet enfin au pays de jouir d’un endettement extérieur à faire pâlir de jalousie le plus vertueux des Etats membres de l’Union européenne : 2% du produit intérieur brut.
Cet Eldorado statistique ne peut cependant pas camoufler une autre Algérie. Celle où 23% de la population vit sous le seuil de pauvreté, celle d’un chômage apparemment maîtrisé (10 %) mais qui chez les jeunes (16-24 ans) atteint 21,5%. Celle d’un pays jeune où près de la moitié de la population a moins de 19 ans, où la proportion des jeunes chômeurs sur le total des chômeurs atteint quant à elle 43,2% et où 72% des demandeurs d’emploi sont âgés de moins de 30 ans. Une autre Algérie qui, témoin des changements considérables que vit le monde arabo-musulman, s’interroge nécessairement sur son avenir politique mais aussi économique.
Le gaz de schiste comme relais du gaz naturel
Ces éléments ne sont sans doute pas étrangers et ne peuvent pas être déconnectés des annonces faites, par les voix de M. Youcef Yousfi, Ministre algérien de l’énergie et des mines et du Directeur Général de la Sonatrach, en matière de gaz de schiste.
Le pays dit en effet disposer aujourd’hui d’un potentiel en gaz de schiste sept fois supérieur aux ressources gazières conventionnelles. Ces ressources seraient proches de celles des Etats-Unis, soit 22.000 milliards de m3 environ. Ce potentiel est peut être d’autant plus considérable, y compris en gaz naturel d’ailleurs, que l’Algérie n’a à ce jour été explorée que sur 50% de sa superficie.
Une ressource suffisante donc pour prendre le relais du gaz naturel dont les gisements devraient commencer à décliner à partir de 2030 et du pétrole que l’Algérie pourrait être contrainte d’importer dès 2020. De quoi continuer à alimenter le pays et ses clients et, en même temps qu’un gisement de gaz, la promesse de perspectives économiques, d’emplois directs et d’emplois indirects.
Les propos tenus par M. Yousfi en ouverture du Workshop sur les gaz de schistes qui s’est tenu à Oran fin février 2012 selon lesquels il convenait de « ne pas se précipiter dans de telles opérations qui exigent l’utilisation de hautes technologies et une connaissance exacte des coûts et des répercussion géologiques et environnementales » ont cependant laissé certains observateurs sur leur faim.
La question de l’organisation d’un large débat public sur le sujet a notamment été éludée par le ministre qui a précisé que le projet n’en était qu’au stade de l’évaluation du potentiel et de la faisabilité d’une exploitation de ces hydrocarbures non conventionnels.
Mais, en Algérie comme ailleurs, où elle connaît des fortunes diverses, la perspective de l’exploration et de l’exploitation des gaz de schiste alimente sans surprise un certain scepticisme, du point de vue environnemental notamment.
La localisation des gisements actuellement en cours d’étude demeure imprécise. Une zone au sud-ouest du pays de l’ordre de 800.000 km² est évoquée par la Sonatrach. Rien en tout cas qui permette aux populations locales d’appréhender l’incidence éventuelle d’une exploitation de gaz de schiste sur les réserves en eau albienne des zones concernées.
Car en l’absence de technique alternative à la facturation hydraulique grande consommatrice d’eau, l’impact de cette exploitation sur la ressource en eau demeure l’une des principales préoccupations.
Préoccupation parce que dans le climat aride ou semi-aride de l’Algérie, le rechargement des nappes phréatiques est faible. C’est donc dans les nappes profondes que les exploitants iraient pomper l’eau nécessaire à l’exploitation du gaz.
Préoccupation car – sous réserve de précision sur la ou les régions concernées – l’utilisation massive d’eau par l’Algérie pourrait être à l’origine de tensions avec ses voisins. Certains bassins hydrographiques complexes sont en effet partagés comme celui de Mjradah Wadi, commun à la Tunisie et à l’Algérie ou celui de Deraa qui alimente également le Maroc.
Préoccupation politique encore car, comme l’a résumé devant la presse le vice-président de l’Association algérienne de l’industrie du gaz organisatrice du Workshop d’Oran avec l’Union internationale de l’industrie du gaz, la question est « une question de choix politique qui se pose dans ces termes : voulez-vous utiliser l’eau pour produire du blé ou pour produire de la lumière ? »
Et pourtant… que d’eau, que d’eau
Paradoxalement, l’annonce d’une éventuelle perspective « gaz de schiste » en Algérie et la publication le 20 avril dernier dans Environmental Research Letters, la revue de l’Institut de Physique britannique (IOP), d’une étude réalisée par le British Geological Survey et l’University College de Londres, se télescopent presque.
Selon cette étude, qui établit pour la première fois une cartographie des nappes phréatiques du continent, le volume total des eaux souterraines en Afrique équivaudrait à cent fois celui des eaux de surface. Selon cette étude toutefois, toutes ces ressources ne seraient pas accessibles. Si dans un grand nombre de régions de simples pompes manuelles pourraient permettre l’exploitation de cette eau à des fins de consommation humaine, dans beaucoup d’autres les possibilités de puits offrant un débit supérieur à 5 litres/seconde seraient beaucoup plus limitées. Enfin, précise l’étude, l’essentiel de cette ressource serait situé en Lybie, au Soudan, en Egypte, au Tchad et… en Algérie.
Nul doute – sans jeu de mots – que cette information apportera de l’eau au moulin du débat sur les gaz de schiste en Algérie. Le pays devrait retrouver tous les ingrédients qui entretiennent ailleurs l’opposition parfois nourrie entre supporteurs et opposants à l’exploitation de ces hydrocarbures qui semblent vouloir révolutionner la géopolitique de l’énergie.
Un pari risqué ?
Les ressources en gaz du schiste du Sahara algérien sont connues depuis longtemps. L’intrusion des gaz de schiste sur la scène énergétique algérienne et mondiale aujourd’hui est imputable à trois facteurs, au moins.
Un facteur technique d’abord. Ces hydrocarbures longtemps ignorés car réputés inaccessibles le sont devenus grâce au développement et au perfectionnement de la fracturation hydraulique en forage horizontal. En outre, relativement proche chimiquement du gaz naturel, sa transformation n’exige apparemment pas d’ajustements techniques considérables pour pouvoir être traité par des installations existantes. Les coûts associés au gaz de schiste se situent à l’amont de la filière plus qu’à l’aval.
Un facteur structurel propre à l’Algérie ensuite. Comme on l’a vu, la ressource conventionnelle pourrait commencer à décliner dès 2030. A l’échelle des investissements de prospection et de forage à consentir, 2030 c’est demain dans un pays à ce point dépendant de ses ressources pétrolières et minières.
Un facteur conjoncturel enfin. Si la récession en Europe et en Amérique du Nord conduit à la fermeture d’unités industrielles traditionnellement consommatrices de gaz, la demande gazière demeure soutenue par les besoins énergétiques des pays émergents. Bien qu’élastique, le prix du gaz ne va pas s’effondrer. Par ailleurs, l’épisode de Fukushima et la volonté affichée par certains de sortir du nucléaire viendra soutenir la demande de pétrole et de gaz. De tous les gaz.
Forte d’une expérience reconnue en matière gazière, de cadres et d’experts réputés, l’Algérie annonce ses ambitions et dispose d’atouts réels dans le domaine des gaz de schiste. Tout comme le chemin qui mène à la roche mère recélant ce précieux hydrocarbure, le chemin qui conduira l’Algérie vers l’exploitation de ces gaz sera difficile. Et le débat a déjà commencé.
Avis d’expert proposé par David Desforges, Avocat à la Cour, Jones Day.