L’usage du français et de l’anglais prochainement interdit aux partis politiques ? La commission des affaires juridiques, administratives et des libertés de l’Assemblée populaire nationale (APN) a introduit une batterie d’amendements dans le projet de loi organique relatif aux partis politiques, actuellement en discussion. Parmi ces amendements, un article propose d’interdire l’usage des langues étrangères dans les activités d’un parti politique.
Bien que l’énoncé du texte ne le mentionne pas, il est clair que le législateur vise directement le français, langue utilisée en Algérie avec l’arabe, langue officielle, et le berbère.
En introduisant cet article, la commission de l’APN, exclusivement constituée de députés de la coalition présidentielle (FLN, RND et MSP), remet sur le tapis un vieux débat qui fait toujours polémique : la place de la langue française en Algérie.
Le 12 juin 1963 déjà, moins d’une année après l’indépendance du pays, les députés de l’assemblée nationale adoptent une motion en faveur de l’introduction de la langue arabe dans les débats du Parlement.
Plus de quatre décennies plus tard, la question n’est pas encore tranchée en dépit d’une série de lois et de décrets instaurant l’arabisation totale à l’école et dans l’administration.
Pour mettre en forme cette politique d’arabisation totale, le régime de Houari Boumediene a dû même recourir, au cours des années 1960 et 1970, à l’importation massive de coopérants arabes, essentiellement des Egyptiens, des Syrien et des Irakiens.
Un nouveau palier a été franchi en 1991 avec l’adoption de la loi 91-05 dite de généralisation de la langue arabe. Promulguée le 16 janvier 1991, celle-ci impose l’usage unique de la langue arabe dans tous les secteurs d’activités officielles.
L’article 5 stipule que « tous les documents officiels, les rapports, et les procès-verbaux des administrations publiques, des institutions, des entreprises et des associations sont rédigés en langue arabe. » L’usage d’une langue étrangère dans les délibérations et débats lors des réunions officielles est interdit. Le texte prévoit de fortes amendes pour les contrevenants.
Gelée en 1992, réactivée en décembre 1996 et mise en vigueur le 5 juillet 1998, cette loi n’a pourtant jamais fait l’unanimité autant qu’elle est rarement appliquée au pied de la lettre.
Si tous les documents officiels sont rédigés en langue nationale, si encore les programmes dans les différents cursus scolaires sont totalement arabisés, le français continue d’être largement et fréquemment utilisé en tant et si bien qu’il est considéré comme une seconde langue officielle.
Le président Bouteflika qui avait promis de briser tous les tabous au lendemain de son élection en 1999 s’exprime fréquemment en français et a même assisté des sommets de la Francophonie bien que l’Algérie n’adhère pas cette organisation.
En octobre 2002, au 9eme sommet de la francophonie tenu à Beyrouth, le président algérien avait prononcé un discours dans lequel il faisait l’éloge de la langue française.
« Mais l’Algérie est aussi un pays africain, qui partage avec tous les pays de ce vaste continent des inquiétudes et des espérances, affirme-t-il à l’époque. La langue française qui, pendant longtemps et pour une grande partie de l’Afrique, a été la langue de la colonisation, doit devenir aujourd’hui la langue de l’émancipation et du progrès.»
Il en va de même pour les ministres et les hauts cadres de l’Etat qui s’expriment régulièrement en français et dont les progénitures sont scolarisés dans des écoles étrangères en Algérie et dans grandes les universités occidentales.
C’est dire qu’en dépit de cette arabisation forcée, le français demeure une langue de référence en Algérie.
Certes cet amendement qui vise à interdire les langues étrangères est le fait de députés appartenant à la frange la plus conservatrice du pouvoir.
N’est-ce pas cette même frange de parlementaires qui avait bataillé par le passé pour faire adopter une loi criminalisant le colonialisme français avant que le texte ne soit retiré ?
Certes encore, ce texte fera l’objet de débats et donc susceptible de passer à la trappe.
Mais son introduction aujourd’hui pose un problème de légitimité autant qu’il met en évidence l’hypocrisie des responsables et des élus.
Est-il raisonnable qu’une assemblée nationale, la moins bien élue depuis l’ouverture démocratique de 1989 avec un taux de participation de moins de 30 % aux législatives de 2007, puisse légiférer sur des textes de loi qui remettent en cause le pluralisme politique et démocratique ?
Est-il raisonnable qu’une assemblée croupion, majoritairement dominée par trois partis politiques, celle-là même qui a voté toutes les lois introduites depuis 2007 sans lever le doigt, puisse aujourd’hui décider de l’avenir des Algériens?
Les principaux amendement introduits par la commission de l’APN
– Introduction de nouvelles clauses parmi les dispositions de l’article 9 interdisant la formation de partis politiques militant pour des objectifs contraires aux valeurs de la révolution de novembre et à l’éthique de l’Islam.
– Les magistrats, les membres de l’Armée nationale populaire (ANP) et des corps de sûreté ainsi que les membres du Conseil constitutionnel sont explicitement exclus de toute adhésion à un parti politique.
– La promotion de la vie politique et la moralisation de sa pratique, le renforcement des valeurs du 1er novembre 1954, la consécration de l’action démocratique et la promotion des droits de la femme et de l’Homme ainsi que les valeurs de tolérance.
– Le choix des dirigeants d’un parti politique par les militants doit se faire dans un cadre transparent à travers des instances démocratiquement élues.
– Il est fait obligation aux partis politiques de transmettre leur règlement intérieur au ministre de l’Intérieur dans un délai n’excédant pas un mois à compter de la tenue du congrès.
– Interdiction d’utiliser les langues étrangères dans les activités du parti politique.
– Les partis politiques sont passibles de dissolution dans le cas où ils exercent des activités autres que celles énoncées dans leurs statuts, s’ils dérogent aux dispositions de cette loi organique ou encore s’ils ne présentent pas de candidats pour quatre échéances législatives ou locales consécutives.
– Conformité des dossiers des partis politiques déposés avant la promulgation de cette loi organique auprès du ministère de l’Intérieur avec les dispositions de cette loi organique.
(Source APS)