Algérie-Députés nationalo-islamistes ou islamo-nationalistes ?

Algérie-Députés nationalo-islamistes ou islamo-nationalistes ?

L’Algérie est l’un des rares pays à avoir été épargnés par le souffle de l’obus du «printemps arabe». Tout se passe comme si de rien n’était. Eh bien, non! Il suffit de regarder autour de soi pour noter les changements. Bons ou mauvais ?

Si l’Égypte, la Tunisie et la Libye sont passées par la «révolution» faussement démocratique avant de sombrer dans une solution islamiste, l’Algérie, elle, au grand bonheur de ses dirigeants, a sauté une case. Elle va directement à l’essentiel en aggravant, à la faveur des élections législatives du 10 mai prochain, son degré d’islamisation, voire de théocratisation. Quelque chose de l’ordre de l’air du temps nous dit que la prochaine Assemblée nationale sera majoritairement islamiste. Depuis des mois, les pronostics se ressemblent. Et si tout le monde s’accorde à projeter une Assemblée islamiste, hégémoniquement islamiste, ce n’est guère par déduction sondagière ou par fatalité devant l’irrégularité annoncée du scrutin que par intuition. Oui, par intuition ! Tout nourrit cette intuition. Le pouvoir de Bouteflika n’a échappé au naufrage du «printemps arabe» que pour arriver plus sûrement au même résultat que dans les pays où ses homologues ont été balayés. Une nouvelle dose d’islamisme est concoctée pour venir noyer ce qui reste de pluralisme, fruit du sacrifice des enfants d’Octobre 1988. Le boycott du RCD sortirait-il les démocrates du jeu ? Le retour de Djaballah et d’autres leaders islamistes tiédis par la tactique politique à la tête d’attelages souvent hétéroclites indique la volonté de glisser le curseur dans le sens de l’exclusion des démocrates des strapontins qui leur étaient jusqu’alors consentis. L’étrange participation du FFS doit revêtir un double sens. On y voit, en premier lieu, l’inévitabilité d’une présence découlant de l’absence du RCD. Quand ce dernier boycotte, le FFS y va. Et inversement ? En second lieu, on constate que le parti d’Aït Ahmed a, d’une certaine façon, gagné une sorte d’attestation de respectabilité islamo-compatible par sa participation à la Conférence de Sant’Egidio, formule vers laquelle la politique de Bouteflika ne cesse de s’acheminer. L’éjection des généraux dits éradicateurs a facilité ce long processus de démolition des digues qui contenaient l’islamisme. Il sera difficile de contredire la prédiction selon laquelle, même si les élections ne sont pas truquées, les islamistes seraient gagnants. Le pouvoir le veut. Il l’a programmé de longue date. Depuis de longues années, on assiste à une islamisation galopante du climat national. Cela s’est fait par doses anodines, couche après couche, dans la réalisation d’une sorte de sédimentation de l’inexorable. Alors, législatives jouées d’avance ? Tout est paré pour ! L’introduction d’el adhan à la télé et à la radio en temps réel, le tintamarre ininterrompu sur la mosquée Bouteflika, dépense somptuaire incompréhensible dans un pays qui manque du minimum vital en matière d’infrastructures pour l’éducation et la santé, la réhabilitation dans l’impunité de terroristes islamistes accueillis comme des héros et d’autres faits de la vie quotidienne et symbolique, montrent bien que le Rubicon de l’islamisation est franchi en catimini. Déjà, dans l’Assemblée sortante, les voix nationalo-islamistes tonitruaient presque en solo. La prochaine Assemblée inversera les termes de l’équation. Elle sera majoritairement islamo-nationaliste. Dans tous les cas, c’est un symptôme de l’uniformisation autour de la Nation et de l’islam ne formant qu’un, au détriment du pluralisme et des différences qu’un pays comme l’Algérie a su se forger au cours d’une histoire tourmentée. Désormais, un des courants idéologique et politique existant en Algérie imposera sa loi à tout un pays par la force de son activisme et par la faiblesse de la compromission, tout cela mêlé à des considérations géostratégiques qui remettent en selle un «islamisme modéré» béni par les Etats-Unis et l’Europe. Il sera encore davantage l’éteignoir des quelques libertés subsistantes. A l’appréhension du triomphe islamiste total aux législatives s’ajoute celle de savoir que cette Assemblée sera en quelque sorte constituante. Elle doit réviser certains points de la Constitution. Passe sur le nombre de mandats du président de la République. La présidence à vie, c’est fini ! Cela a été réglé dans la rue à Tunis et Place Tahrir ! Encore que… Un autre aspect : l’officialisation de tamazight. Cette mesure symbolique d’une portée considérable dans la définition de la Nation ouverte et plurielle est plus que jamais un enjeu. L’Alliance de l’Algérie verte, coalition du MSP, d’El Islah et d’Ennahda, dit déjà qu’elle s’y opposera. Evidemment, ça ne fera que compliquer une question qui fait l’objet d’un combat vieux de plusieurs décennies. Cette pérennité est à la fois due à la corrélation de la question amazighe avec la question démocratique, et aussi au fait qu’il s’agisse de la réparation d’une injustice durable, la négation des origines d’une bonne partie de la population algérienne. Les résistances conservatrices nationalistes et islamistes, dans lesquelles s’est fondu le bon vieux baathisme, résistances à la nécessité d’officialiser la plus vieille langue de ce pays, se transportent dans les travées de l’Assemblée où elles occuperont plus de sièges que jamais. Il ne fait pas de doute que la surdité, la crispation névrotique par rapport à cette question est davantage de l’ordre de la pathologie que de la politique. Cette dernière est la science du compromis susceptible de souder l’unité nationale. L’opiniâtreté à garder une position de raideur cadavérique à l’égard de tamazight, elle, divise. Mieux ou pire, elle pousse à la radicalité des victimes de l’ostracisme. Autre hic : l’abstention. Si Bouteflika lui-même se mouille pour réduire l’abstentionnisme, c’est qu’il leur est cauchemardesque. Ce spectre dévalue toute élection sur le plan international. Cela constitue pour les électeurs leur seul moyen de résistance. C’est une façon pour eux de dire aux hommes du pouvoir : «Faites votre cuisine comme bon vous semble, ce sera sans nous.» Le désintérêt pour les élections tient sur deux pieds : la conviction que celles-ci ne changeront rien et qu’elles sont truquées. Quel islamisme entrera à l’Assemblée ? On parle d’islamisme modéré. Sa supposée modération vient de sa différence avec l’islamisme des années 80-90. Ce qui distingue l’islamisme de Madani et Belhadj est que ce dernier avait certainement un contenu idéologique. L’islamisme d’aujourd’hui est un islamisme situationniste et pragmatique, voire cynique. C’est celui de petits affairistes saupoudrant de religion absolutoire les petits écarts à la morale et à la loi qui engendrent l’enrichissement fulgurant et certainement illicite.