L’année 2012 se termine et commence bientôt l’année 2013. Dans ce cadre, bine que le pouvoir algérien soit préoccupé essentiellement deux facteurs , l’élection présidentielle d’avril 2014, avec entre temps la révision constitutionnelle, devant éviter tous remous sociaux avant cette date et ce qui se passe au Sahel risquant une déstabilisation de la région, il est bon de dresser le bilan socio économique de la situation actuelle afin d’entrevoir l’année 2013. Synthèse d’un ouvrage à paraître, c’est l’objet de cette contribution.
Aisance financière et importance de la dépense publique
Les réserves de change, moyen et non facteur de développement, ont été estimées à 56 milliards de dollars en 2005, 77,78 milliards en 2006, 110 milliards en 2007 à 138,35 milliards de dollars en 2008, à 147,2 milliards en 2009, à 157 milliards de dollars fin 2010 à 188 milliards de dollars fin 2011 et à 193 milliards de dollars en octobre 2012 sans compter par la banque d’Algérie et essentiellement grâce à la rente des hydrocarbures sans compter les 173,6 tonnes d’or. Plus de 90% des 86% de ces réserves y compris les DTS au FMI sont placées à l’étranger respectivement en bons de trésor américains et en obligations européennes. L’Algérie connait un niveau de la dette extérieure à moyen et long terme faible étant inférieur à 4 milliards de dollars (principal et service de la dette) et la dette intérieure à moins de 1 milliard de dollar. Comment expliquer depuis près de deux années la distorsion cours vente au cours officiel existant un écart de près de 50% avec le cours sur le marché parallèle de la valeur du dinar.
La monnaie est un rapport social traduisant la confiance ou pas entre l’Etat et les citoyens, étant est un signe, moyen et non facteur de développement autant que les réserves de change. Toute dévaluation, pour une économie productive, dynamise les exportations et toute réévaluation les freine. Il existe actuellement une corrélation d’environ 70% entre la valeur actuelle du dinar et ce stock de devises via la rente des hydrocarbures, sinon le dinar flotterait à plus de 300 dinars un euro. Encore que se pose le problème de la cotation du dinar qui n‘obéit pas toujours aux règles économiques comme en témoigne les dérapages tant par rapport à la cotation du dinar par rapport à l’euro et au dollar alors que le dollar a subi une appréciation de 10/15% par rapport à l’euro. Ces mesures ponctuelles sont été édictées principalement pour freiner les importations suite à l’importante augmentation des salaires et ont des répercussions négatives tant pour les opérateurs qui s‘approvisionnent à l’étranger que sur le pouvoir d’achat des citoyens. Comme cette politique monétaire répond au souci de gonfler artificiellement le fonds de régulation des recettes et la fiscalité des hydrocarbures variant entre 60/70% et donc de voiler l’importance du déficit budgétaire et l’inefficience de la dépense publique puisque les calculs se font après reconversion de la devise en dinars. Cette aisance financière a permis une dépense publique sans précédent depuis l’indépendance politique. Cela explique l’importance de la dépense publique. Elle est passée successivement de 55 milliards de dollars en 2004, à 100 milliards de dollars en 2005 puis à 140 milliards de dollars fin 2006 et qui a été clôturée entre 2004/2009 à 200 milliards de dollars, mais faute de bilan on ne sait pas si l’intégralité de ce montant a été dépensé. Quant au programme d’investissements publics 2010/2014, le gouvernement a retenu des engagements financiers de l’ordre de 286 milliards de dollars) et concerne deux volets, à savoir le parachèvement des grands projets déjà entamés entre 2004/2009, l’équivalent de 130 milliards de dollars (46%) et l’engagement de projets nouveaux soit l’équivalent de près de 156 milliards de dollars. Qu’en sera-t-il des restes à réaliser pour les nouveaux projets inscrits au 31/12/2004 à la fois faute de capacités d’absorption et d’une gestion défectueuse ? Dans un contexte de ralentissement économique, mondial, l’Algérie maintient son programme d’investissement public massif cependant avec un important déficit budgétaire pour les années 2010/2012.
Système financier bureaucratisée et dépérissement du tissu productif
Après plusieurs années d’ouverture, le marché bancaire algérien est à dominance publique puisque 90% du financement de l’économie algérienne dont 100% secteur public et plus de 77% secteur privé, se fait par les banques publiques avec une concentration au niveau des actifs de plus de 39% au niveau d’une seule banque, la BEA, communément appelé la banque de la Sonatrach. Seulement 10% du financement de l’économie sont pris en charge par les banques privées, avec une concentration de plus de 52% pour les actifs pour trois banques. Contrairement à ce qui passe en Europe où les banques se recapitalisent, le système bancaire algérien est en surliquidités n’arrivant pas à transformer le capital argent en capital productif. Cette surliquidité est alimentée, d’une part, par l’importance des dépôts du secteur des hydrocarbures, l’augmentation de la collecte de l’épargne des particuliers, stimulés par les injections de revenus des plans de relance publics. Cependant, le système financier algérien non autonome est fortement connecté au pouvoir politique, dont l’Etat est actionnaire à 100%, le privé local ou international étant marginal.
Ainsi, le système financier algérien est déconnecté des réseaux internationaux expliquant d’ailleurs le peu d’impact de la crise financière mondiale sur l’Algérie, démontrant une économie sous perfusion de la rente des hydrocarbures. Selon le FMI, le produit inférieur brut l’Algérie arrive est de 158,97 milliards en 2010, 183,4 milliards de dollars en 2011 et une prévision de 188,6 milliards de dollars en 2012. Globalement, les exportations hors hydrocarbures de l’Algérie ont atteint 2,15 milliards de dollars (msd usd) en 2011 sur un total de 73,39 milliards de dollars en 2011, contre 57,05 milliards en 2010. Les importations ont fortement augmenté de 14,78 % à 46,45 milliards de dollars, contre 40,47 milliards l’année 2010. Les services en 2010 ont atteint 11,90 milliards de dollars et en moyenne 12 milliards de dollars pour 2011/2012.Les exportations hors hydrocarbures environ 2% étant constituées de déchets d’hydrocarbures et ferreux et semi ferreux à plus de 60%. C’est que plus de 90% du tissu économique est constitué de PMI/PME organisées sur des structures familiales, ne possédant pas de management stratégique, ne pouvant pas faire face à la concurrence internationale où selon l’enquête de l’0NS 83% du tissu économique global étant caractérisé par la tertiarisation avec prédominance du commerce de détail avec un commerçant pour quatre habitants. Les importations de biens couvrent 70/75% des besoins des ménages et des entreprises dont le taux d’intégration ne dépasse pas 10/15%. On peut démontrer facilement que le taux de croissance officiel hors hydrocarbures de 5/6% a été permis pour 80% via la dépense publique et qu’il ne reste pour les entreprises véritablement autonomes créatrices de richesses, pouvant évoluer dans un environnement concurrentiel mondial, moins de 20% du produit intérieur brut. Mais fait important, le PIB peut voiler d’importantes disparités et l’indice du développement humain combinant 1/3 du taux de croissance, 1/3 le système éducatif et 1/3 le système de santé élaboré par le PNUD est beaucoup plus fiable. Le rapport Doing Business 2013 du 23 octobre 2012 sur l’environnement des affaires, classe l’Algérie à la 152ème sur 185 pays perdant 2 places par rapport à 2012 et dans son rapport de 2012, le FMI note que l’Algérie doit faire plus pour diversifier son économie , notamment pour dynamiser l’emploi surtout parmi les jeunes dont le taux de chômage dépasse largement les 23%. C’est que la majorité des entreprises algériennes ne peuvent être compétitives et encore moins innovantes du simple fait qu’elles disposent d’un faible savoir à la fois technologique et managérial. Le report de trois années horizon 2020 du dégrèvement tarifaire avec l’Union européenne suffira t-il ? Qu’en sera t-il si l’Algérie adhère à l’OMC ?
Le tissu industriel qui représente moins de 5% dans le PIB trouvent son explication surtout dans les contraintes d’environnement qui touchent tant les entreprises algériennes qu’étrangères. L’entrave aux affaires en Algérie est due surtout à l’accès aux financements, la bureaucratie d’Etat, le foncier, la corruption, l’inadéquation de la main-d’œuvre formée, la politique du travail considérée comme restrictive ainsi que le système fiscal et la qualité de la vie. Il en écoule que le bilan de l’investissement, en dehors des hydrocarbures tant local qu’étranger est mitigé. La sphère informelle marchande est dominante, contrôle plus de 65% des segments de produits de première nécessité auxquels plus de 70% des ménages consacrent presque l’intégralité de leurs revenus (marché fruits et légumes, poisson, viande rouge et blanche , textile et cuir ) et plus de 40% de la masse monétaire globale en circulation avec la prédominance du cash et limitant la politique monétaire de la banque centrale avec une importante intermédiation financière informelle mais avec des taux d’usure. L’importance de cette masse monétaire captée, favorise une concentration du revenu au niveau de cette sphère avec des tendances monopolistiques et souvent oligopolistiques et alimente la demande au niveau du marché parallèle de la devise. Cela n’est pas le produit du hasard et on ne saurait isoler les relations dialectiques entre la sphère régie le droit de l’Etat et la sphère informelle qui a ses propres codes, existant en Algérie des liens diffus entre la logique rentière et l’extension de la sphère informelle. Le système rentier et cela n‘est pas propre à l’Algérie favorise l’Etat de non droit la corruption à travers l’évasion fiscale.
Le couple chômage et inflation
Le chômage et l’inflation sont des maladies chroniques du corps social. Le taux d’emploi est fonction du taux de croissance et des structures des taux de productivité et la population algérienne qui était de 35,6 millions d’habitants au 1er janvier 2010, l’Office des statistiques ((ONS) l’estime à 37,1 millions d’habitants au 1er janvier 2012. La population active dépasse les dix millions et la demande d’emplois additionnelle varierait entre 300.000 à 400.000 personnes par an, nombre d’ailleurs sous estimé puisque le calcul de l’ONS applique un taux largement inférieur pour les taux d’activité à la population féminine, représentant pourtant la moitié de la population active et dont la scolarisation est en forte hausse. Pourtant le taux de chômage officiel est estimé à 10% entre 2011/2012 mais incluant les sureffectifs des administrations, des entreprises publiques, les emplois dans la sphère informelle et les activités temporaires de moins de six mois, pour partie des emplois improductif. Quant au taux d’inflation qui se répercute sur le pouvoir d’achat, pour le gouvernement algérien, il a été de 1,6 % en 2005, 3% en 2006, à 3,5 % en 2007, 4,5% en 2008, 5,7% en 2009, moins de 4% en 2010, et 4,5% en 2011 avec une retour accéléré en 2012 qui dépassera largement les 8/9%. Le taux d’inflation officiel est biaisé, étant comprimé artificiellement par les subventions et reposant sur un indice largement dépassé, alors que le besoin est historiquement daté. Un agrégat global comme le revenu national par tête d’habitant peut voiler d’importantes disparités entre les différentes couches sociales. Une analyse pertinente devrait lier le processus d’accumulation la répartition du revenu et le modèle de consommation par couches sociales. Certes, le SNMG a plus que doublé en passant de 6.000 à 20.000 dinars, (200 euros au cours officiel), la dernière augmentation ayant lieu en septembre 2011, mais devant déflater par le taux d’inflation réel pour déterminer le véritable pouvoir d’achat. Aussi, une interrogation s’impose : comment est-ce qu’un Algérien, qui vit au SNMG, (200 euros par mois, soit 6,6 euros par jour alors que le kilo de viande est de 10 euros) fait face aux dépenses incontournables. La cellule familiale, paradoxalement, la crise du logement (même marmite, même charges) et les transferts sociaux qui ont atteint plus de 18 milliards de dollars en 2012 jouent temporairement comme tampon social (voir notre interview à la télévision internationale El Qarra TV).
Quelle leçon tirer de ce bilan économique ?
Il est évident qu’existe une non proportionnalité entre les impacts économiques où le taux de croissance avec cette dépense publique aurait du avoisiner 10/15% à prix constants. La société des hydrocarbures transforme un stock physique en stock monétaire où elle a pu engranger 560 milliards de dollars entre 2000 et juin 2012 selon les données des bilans financiers de Sonatrach allant certainement vers 600 milliards de dollars fin 2012. Si on observe la ligne du temps entre 1970/2012 en Algérie, on remarque que plus le prix du pétrole est bas plus il y a émergence de potentiel de développement en ressources matérielles et ressources humaines. En revanche, plus le prix du pétrole s’accroît plus le potentiel de développement décélère, stagne et tend au final à régresser. Or, l’Algérie ne saurait donc vivre dans une ile déserte et est concernée par l’actuelle crise mondiale rendant urgente l’instauration d’un Etat de droit et une bonne gouvernance condition de la réussite de la réforme globale. La politique socio-économique doit s’inscrire dans une démarche cohérente, évitant les instabilités juridiques et le manque de visibilité au sein de grands espaces, d’où l’importance de l’intégration du Maghreb pont entre l’Europe et l’Afrique.
Ces mutations liées à une société participative et citoyenne conditionneront le développement durable hors hydrocarbures. Comme je l’annonçais au niveau international et dans les colonnes de la presse algérienne, il y a de cela quatre années, fait qui vient d’être confirmé le 25 décembre 2012 par le PDG de Sonatrach lui même annonçant des gisements en déclins, sans de nouvelles découvertes substantielles tenant compte de la forte consommation intérieure et des réserves rentables économiquement, l’Algérie pourrait être sans hydrocarbures traditionnels horizon 2025/2030, avec 50 millions d’habitants, Et surtout face aux nouvelles mutations énergétiques mondiales qui s’annoncent horizon 2017, le marché américain lui étant fermé lui procurant actuellement plus de 35% des recettes de Sonatrach, les USA devenant exportateur grâce à la révolution du pétrole et gaz de schiste obligeant le géant russe Gazprom à abaisser ses prix. Cela pourrait se produire également en Chine et en Inde qui ont d’importantes réserves.et surtout qu’ils maitrisent la technologie, le savoir richesse plus pérenne que toutes les réserves d’hydrocarbures. Cela pose la problématique de la transition d’une économie de rente à une économie productive rentrant dans le cadre de la Re-mondialisations. Et comme fondement la moralité, si l’on veut éviter ce cycle de la décadence, cette société anomique de décadence mis en relief par le grand sociologue maghrébin Ibn Khaldoun. L’Algérie est un pays à fortes potentialités pouvant devenir un pivot au sein des espaces euro-méditerranéen et euro-africains. Espérons pour 2013 et les années à venir pour notre chère Algérie, un avenir meilleur.
Pr Abderrahmane Mebtoul, expert international