Le professeur Abdellatif Benachenhou est il candidat à quelque chose ? Officiellement non. Son discours, très diffusé, ces dernières semaines sur la nécessité de changer rapidement l’allocation de la ressource économique en Algérie pourrait laisser penser le contraire. Evaluation des limites d’un prêche plus pertinent dans le contenu que dans le mode opératoire.
Abdelatif Benachenhou, l’ami du président Bouteflika, a quitté le gouvernement en 2005 au terme d’un second passage au ministère des finances en cinq ans, jugé peu fructueux par son tuteur politique. Et s’est, depuis, replongé, entre autres, dans ses travaux académiques éditant quatre ouvrages en six ans. Mais son retour ces dernières semaines sur la scène du débat économique est remarquable.
Chez « mes amis » du forum des chefs d’entreprises (FCE), il y a un mois, à la rencontre « Conjoncture » de HSBC Algérie, la semaine dernière, au petit déjeuner du cercle d’action et de réflexion autour de l’Entreprise (CARE), ce lundi matin, le professeur distille le nouveau Benachenhou sous toutes les latitudes. Première posture, l’ancien ministre des finances recadre son image : « oui je suis l’ami du président, mais cela n’interdit pas de se dire des vérités » a-t-il répondu à Maghreb Emergent. Exemple ? « Je n’ai jamais été favorable aux ordonnances législatives. J’estime que c’est à chaque fois une occasion manquée de faire œuvre de pédagogie auprès des parlementaires. Discuter d’un projet de loi permet de faire l’apprentissage d’un dossier technique » en économie. La prudente prise de distance par rapport au président Bouteflika, auteur de 16 ordonnances législatives dont la loi sur les hydrocarbures de 2005, est, peut être, tardive. Elle ne va pas plus loin. Interpellé durant le point de presse chez HSBC Algérie sur l’impossibilité d’obtenir le changement de politique économique qu’il réclame en cas de quête de 4e mandat par le président Bouteflika , le professeur Benachenhou botte en touche. « Ceux qui pensent qu’avec le quatrième mandat c’est la garantie de la catastrophe et qu’avec un changement c’est la garantie du bond en avant se trompent. Nous n’avons de garantie ni dans un cas ni dans l’autre ». Mais pour ne pas rester sur une réponse de Normand, la réponse à la question, une nouvelle politique économique est elle possible avec le même attelage présidentiel et politique, « la réponse est clairement oui, je pense qu’elle peut être progressivement engagée ».
Alignement progressif des prix intérieurs de l’énergie
Peut être alors avec Abdelatif Benachenhou aux commandes ? Après tout le professeur peut revendiquer une position axiale sur l’échiquier de la gouvernance économique algérienne. Il a participé aux meilleurs mandats présidentiels, ceux de l’ouverture économique, de l’attraction des IDE, et de la montée du privé national. Il peut se permettre d’être critique avec la suite. Et ne s’en prive pas. « Même une bonne idée peut devenir excessive » dit-il de la politique de rattrapage des infrastructures – et surtout des dépenses budgétaires qu’elle en coûte. « Aujourd’hui mon sentiment est que nous sommes partis trop loin dans ce rattrapage ». Il est proche du patronat, mais ne manque pas de le tancer : « le taux de marge des entreprises du secteur concurrentiel en Algérie augmente ces dernières années, pendant que celui des entreprises du secteur monopolistique baisse tendanciellement» relève t’il. Le privé s’enrichit, le public perd de l’argent. Mais le premier n’investit pas assez. Ce qui va conduire très vite au cœur du propos. Avec un taux d’épargne de plus de 40% et un taux d’investissement « effectif » de seulement 2%, c’est tout le modèle de croissance algérien par la dépense publique qui s’étrangle. Et là, l’ancien ministre des finances, qui était hostile à une trop forte accélération des dépenses en 2004-2005 est plus à l’aise pour « évaluer » les résultats. Le diagnostic du professeur Benachenhou sur les politiques publiques algériennes de ces dernières années est cinglant. Mauvaise allocation de la ressource à tous les étages de son affectation. D’abord la ressource qu’il nomme « souveraine », celle des revenus énergétiques.
Elle va pour plus de 80% à l’Etat. «C’est trop ». Il faut redonner une partie de cette ressource à ceux qui créent réellement de la richesse. Et là le professeur a en tête en particulier les entreprises du secteur de l’énergie. Sonatrach et Sonelgaz cèdent l’équivalent de 6% du PIB algérien en revenus à la communauté nationale. Intenable. Les acteurs de la croissance n’ont plus les moyens d’investir. « Il ne faut pas faire peur au peuple. Un alignement progressif des prix intérieurs de l’énergie ne va pas provoquer le chaos. Il faut l’expliquer aux députés et à l’opinion » Faute d’évaluation, le gouvernement actuel ne connait pas l’efficience des « aides économiques » qu’il décerne sous forme d’exemptions fiscales et de soutien au prix. Si on y ajoute les 22% du PIB consacrés aux transferts sociaux, le système courre au collapsus.
Mieux vaut rester candidat à rien
Pour soutenir l’urgence d’une politique économique nouvelle qui redistribue autrement la ressource financière, le professeur Benachenhou en a peut être trop fait. Dans son exposé devant les invités d’HSBC Algérie, il a évoqué une baisse de 20% en volume de la production algérienne d’hydrocarbures depuis 2005. Un chiffre choquant qui a provoqué une polémique ouverte avec le représentant du ministère de l’énergie Ali Hached, ne concédant qu’une baisse de 5% à 6%, soutenu en cela par l’ancien PDG de Sonatrach Abdelmadjid Attar. Une autre source près du ministère de l’énergie n’a pas hésité a rappelé en marge de la discussion publique que la baisse de la production dans le secteur de l’énergie est due « à la mauvaise loi sur les hydrocarbures de Chakib Khelil qui a bloqué l’élan des investissements étrangers sur notre amont pétrolier avant 2005 ». Un épisode résumé par Abdelmadjid Attar sous la formule, « mauvaise gestion du secteur de l’énergie ». Autant que de prendre de vraies distances tactiques avec son ami président, Abdelatif Benachenhou a besoin ; pour espérer rétablir un triple A dans sa note de crédibilité de sacrifier sa proximité jamais démentie avec Chakib Khelil. Une connivence rappelée de manière tonitruante par Abdelaziz Rahabi , au conférencier de mardi dernier à l’hôtel Sofitel. « Le problème n’est pas tant celui de la politique économique à conduire que celui de la transparence dans sa conduite et de la qualité de la gouvernance » a déclaré l’ancien ministre de la communication. Il a illustré son propos avec trois exemples de contrats « non transparents » de l’ère de Bouteflika et de Benachenhou. En tête, ceux du secteur de l’énergie « qui coutent aujourd’hui un scandale hors norme au pays». Le professeur Benachenhou ferait bien de rester candidat à rien. Et faire réfléchir les Algériens sur leur avenir.