L’Algérie qui vient de retarder le lancement de la 3G, tant attendue, à fin décembre, fait partie des dix derniers pays au monde à ne pas s’être dotée de cette technologie.
Quand en janvier dernier, la Somalie s’est équipée de la 3G, les Algériens s’étaient déchaînés en sarcasmes sur les réseaux sociaux. La raison ? L’Algérie figure parmi les dix derniers pays à ne pas encore être équipé de cette technologie qui permet de bénéficier d’un accès Internet à très haut débit. Ce n’est pas faute d’en parler puisque les premiers tests ont été réalisés en… 2004 ! Après de multiples promesses politiques jamais tenues, les 11 millions d’utilisateurs Internet viennent à nouveau de voir s’évanouir le rêve qui devait se réaliser le 1er décembre : le lancement de la 3G dans quatre grandes villes : Alger, Oran, Constantine et Ouargla.
Quelle excuse cette fois ?
Une histoire de licence provisoire et de licence définitive. « La téléphonie mobile 3G+ ne pourra être lancée qu’une fois le décret exécutif d’octroi de la licence signé et notifié aux trois opérateurs », a annoncé la ministre de la Poste et des TIC, Zohra Derdouri, ancienne présidente de l’ARPT (autorité de régulation). Pour rappel, Moussa Benhamadi, son prédécesseur avait alors avancé que la mise en service se ferait avant le 1er décembre (une page Facebook a même été créée pour l’occasion par les internautes algériens). Plus fort, l’actuelle ministre a même annoncé la 4G pour janvier prochain.
Pourquoi le dossier traîne-t-il depuis presque dix ans ?
Un problème de mentalité. Plusieurs raisons expliquent les blocages. Pour Mustapha Zebdi, président de l’Association de protection et orientation du consommateur et de son environnement (Appoc), si l’Algérie de 2012 n’est toujours pas équipée de la 3G, c’est d’abord parce que « le monopole d’internet par Algérie Télécom est en jeu ». « En tant que client, je ne suis déjà pas satisfait du service rendu par Algérie Télécom, explique-t-il. Si un privé me propose un meilleur service à un prix plus raisonnable, je ne vais pas hésiter. »
En 2012, Azouaou Mehmel, DG d’Algérie Télécom, s’était un peu trahi en déclarant que son entreprise avait « subi de plein fouet l’ouverture du marché de la téléphonie mobile à la concurrence » et que « l’avènement annoncé du haut débit mobile pourrait sonner le glas de notre entreprise au cas où nous persistons dans notre façon de faire ». En soulignant qu’Algérie Télécom « n’avait pas encore réussi son passage du statut d’opérateur de réseau régi administrativement à celui d’opérateur de services centrée sur le client ». Il s’est depuis, rattrapé, puis que la semaine dernière, il a déclaré que la 3G n’était pas une «menace» : « Le débit de l’ADSL va suivre le haut débit de la 3G afin de satisfaire une demande et offrir une diversité d’offres et de services », a-t-il promis. Le problème, c’est que personne ne le croit vraiment.
Yasmine Bouchène, geek algérienne fondatrice de jam-mag.com se souvient, à ce sujet, une anecdote édifiante. « Un jour, j’ai discuté avec un entrepreneur web qui était présent lors du lancement de la téléphonie mobile en Algérie en 2002. Il me racontait comment les responsables pensaient que ça ne valait pas la peine et que ce marché ne prendrait jamais. Je pense que pendant longtemps, les responsables ont eu ce type de pensées vis-à-vis de la 3G ou d’autres innovations majeures dans les nouvelles technologies. »
Younès Grar, qui fut conseiller de l’ex-ministre de la Poste Hamid Bessalah, en est aussi convaincu : « Le blocage vient surtout des décideurs qui gèrent Algérie Télécom, les mêmes qui géraient l’ancienne administration des PTT. Ils ont la même culture, la même mentalité et ont peur des nouvelles technologies. En 2013, ils n’ont q’1 million d’abonnés ?! Il est temps que l’Etat se penche sur sa politique de gestion… » Et plus globalement, sa politique de développement des TIC. « Car le programme e-Algérie qui voulait faire entrer notre pays dans la société de l’information en mettant à la disposition de tout citoyen d’un terminal connecté à internet, n’a pas eu les résultats attendus, constate-t-il. Aujourd’hui, compte à peine un million d’abonnés ADSL depuis son lancement il y a dix ans ! Mais je ne crois pas non plus que la 3G soit une menace : Algérie Télécom fera comme tous les autres opérateurs dans les autres pays. Il s’adaptera, sera obligé de revoir sa stratégie commerciale et de développer de nouveaux services via Internet haut débit, comme la télé. » Hasard ou pas, juste après l’annonce du lancement de l’appel d’offres pour la 3G, le ministre a assuré que le développement de la fibre optique dans tout le pays pour une couverture totale d’ici 2015 était une des priorités d’Algérie Télécom.
Quel est l’enjeu commercial ?
Il faut comprendre que le gâteau aiguise les appétits : seuls trois opérateurs se partagent un gâteau de 37,5 million d’abonnés –soit presque autant que la population de 38 millions d’habitants, pour une densité téléphonique de 99,28%. Alors que Nedjma a déjà lancé une clé et une tablette compatibles 3G, Mobilis a ouvert un « centre 3G » et son PDG Saâd Damma a promis qu’il était déjà en mesure « au lendemain de la publication de l’appel d’offres offrir les services de la 3G à plus de 100 000 clients ». A titre de comparaison, « la Mauritanie, qui compte quelque 3 millions d’habitants, a 4 opérateurs !, argumente Mustapha Zebdi. Nous demandons d’ailleurs à ce qu’on ouvre le marché à un quatrième opérateur. C’est le consommateur qui fait les frais de la surcharge : le jour de l’Aïd, on ne peut même pas passer un appel tellement le réseau est saturé. »
Joseph Ged, le DG de Nedjma ne le cache pas : le marché algérien, un des marchés à plus forte croissance, avec l’Indonésie, le Qatar et l’Irak, est l’un des plus importants pour son groupe, rebaptisé Ooredoo. Mais le consommateur, lui, paye aussi très cher son accès à la technologie : selon une étude réalisée par des Britanniques, l’Algérie se classe au 71e rang mondial en termes de prix des services (téléphonie et internet). Alors que dans les années 2000, de souvenir de haut fonctionnaire du ministère des Finance, « la Banque mondiale s’était montrée impressionnée de voir l’Algérie aussi en avance dans le secteur des télécoms », aujourd’hui le pays s’est embourbé à la 131e place dans le classement mondial des TIC du World Economic Forum.
A titre d’exemple, là où dans d’autres pays africains, une offre de 20 Mégabits est facturée près de 30 euros, un seul Mégabit en Algérie coûte quasi 20 euros. « Sa chute de 13 places, en une année, montre qu’elle continue à afficher l’un des impacts les plus faibles mondialement sur le plan économique et social. Il souligne également qu’une mauvaise infrastructure des TIC (119e) combinée avec une faible base de compétences se traduisent par des niveaux très faibles d’utilisation des TIC », enfonce le rapport. A titre de comparaison, le secteur qui représenterait 4% du PIB en Algérie et emploierait 140 000 personnes est de l’ordre de 7% au Maroc et 13,5% en Tunisie.